The Humans
Festival d’Avignon in
The Humans, texte et mis en scène d’Alexandre Singh.
Cela se passe dans le grand gymnase Aubanel donc avec l’espace nécessaire à un créateur comme Alexandre Singh, ancien élève des Beaux-Arts de l’université d’Oxford, et habitué des centres d’art contemporain, comme le palais de Tokyo à Paris, où il a déjà présenté plusieurs installations.
Et The Humans a été créé à la Brooklyn Academy of music à New York, comme autrefois les spectacles de Bob Wilson.
De chaque côté de la scène, un musicien, l’un aux percussions et l’autre au synthé, et une sorte d’atelier de sculpture avec sur des rayonnages des bras, têtes, en plâtre bien aligné, et au centre, une sorte de colline d’inspiration cubiste, ainsi qu’une sculpture jeune éphèbe vivant mais d’abord recouvert d’un drap , les tout est blanc, gris ou crème, et au début couvert de toiles blanches, façon Christo revisité; il y aussi sur un promontoire à des toilettes de campagne, référence/citation évidente à Tadeusz Kantor et Bob Wilson n’est jamais non plus très loin. Tous deux, venus des arts plastiques, ont, comme on le sait, profondément bousculé les règles du jeu théâtral depuis les années 1960.
Le travail plastique d’Alexandre Singh, né à Bordeaux de parents indien et français, qui se définit comme « artiste, écrivain et metteur en scène, s’inscrit tout à fait dans cette lignée. The Humans est son premier spectacle.
Cela commence si on a bien compris, avant la création de notre pauvre globe terrestre, où un territoire surgi , divisée en deux un monde apollinien, blanc et bleu, où règne un certain Charles Ray, un sculpteur très autoritaire et un autre monde où il y a une reine et un lapin aux longues oreilles. Il y a aussi un Voix de dieu incarnée par un chat très noir… Mais deux esprits, Tophole et Pantalingua auraient préféré que l’univers ne naisse jamais.
On parle beaucoup de création de l’univers, de la vie de la mort, de l’amour, et il y a un chœur d’éphèbes en jupette blanche, qui commentent l’action et ces malheureux qui ressemblent à des statues grecques n’ont qu’un numéro pour seul nom, et vont se transformer en véritables être humains et acquérir enfin une véritable identité.
Mais on ne sait jamais si Alexandre Singh situe les choses au deuxième voire au troisième degré, comme ces incursions dans les wc de campagne assez fréquentes, et un personnage dépose même son étron sur la scène. En tout cas, la référence aux arts plastiques comme instrument de communication visuelle est constante.
Alexandre Singh ne craint pas de revendiquer des thématiques empruntées au théâtre classique, avec nombre de références au théâtre d’Aristophane, de Shakespeare bien sûr avec La Tempête, et aux opéras de Mozart comme La Flûte enchantée, et parfois à celui d’Euripide et de Molière comme de Woody Allen.
Les emprunts au monde de la performance artistique et au collage surréaliste, sont tout aussi nombreux et relèvent d’une sorte de catalogue fourre-tout peu convaincant où tout se passe comme si Alexandre Signh voulait nous prouver l’étendue de sa culture occidentale (mais ici, pas très bien digérée!) apprise dans une école d’art.
Mais quand il dit que « la pièce de théâtre, (dont il a cherché l’inspiration dans le dessin et la littérature satirique, mais qui ressemble malheureusement à une sorte de panel illustratif) est l’œuvre centrale et le lieu de la communication avec le public », c’est faire preuve d’une certaine naïveté. En fait, Alexandre Signh, quelles que soient ses qualités d’artiste, semble avoir bien du mal à concilier son univers de peintre et sculpteur avec une véritable création scénique.
Les premiers moments du spectacle sont tout à fait intrigants, mais les propositions dramaturgiques de Richard Cran sont si peu claires, qu’après, disons, les vingt premières minutes, le texte de ce théâtre qui se veut expérimental, de plus de deux heures trente sans entracte, se révèle aussi confus que bavard, et d’un remarquable ennui…Et cette loghorrée qui semble être la marque de fabrique des premiers spectacles de ce festival finit par lasser: une partie du public, et plusieurs de nos confrères ont déclaré forfait, et on les comprend.
Nous avons essayé de tenir malgré tout, mais force est de dire que cet incroyable mélange des plus mal foutus qui se ballade, entre des dialogues interminables, des monologues pseudo-philosophiques qui ne nous ne concernent en rien, et des ballets néo-classiques, fait constamment du sur-place. On a la regrettable impression qu’Alexandre Singh qui s’écoute visiblement écrire, peut débiter au kilomètre ce texte aux différents niveaux de langage, de façon très narcissique, et sans se soucier beaucoup du public prié de croire au génie de cette forme assez prétentieuse, qu’il croit sans doute aussi inattendue que provocatrice mais qui, en fait, n’est pas du bois dont on fait les flûtes, et qu’on n’a aucune envie de voir une seconde fois!
Dans une démarche de condamné à mort qui voudrait à tout prix marquer sa présence au monde par une écriture des plus loghorréiques et quand même assez prétentieuse. Mais restent les dernières vingt-cinq minutes, scéniquement intelligentes, bien rythmées, (ce qui n’est pas le cas du reste souvent cahotant) qui sont là du genre sublime, avec un jugement de tribunal/danse de mort où se révèle enfin un bon metteur en scène, aidé par sa chorégraphe et danseuse française baroque Flora Sans qui sait très bien organiser l’espace avec des relations particulièrement efficaces entre danse et et texte et qui sait mettre la communication non verbale au service du spectacle . Alexandre Singh, lui, est un remarquable sculpteur de masques qui font penser aux têtes des personnages de l’enfer du tympan de la basilique de Conques.
Ces personnages grotesques au visage comme au corps monstrueux, sont aussi à l’évidence inspirés par ceux qui furent férocement croqués par Honoré Daumier. Avec des costumes étonnants dessinés par Holly Waddington. Qui en France saurait faire cela? A part, sans doute Joël Pommerat et la grande Christine Bayle, elle aussi, spécialiste de danse baroque.
Et là, on atteint le sublime, d’autant que les acteurs/chanteurs anglais, ont tous ,sans aucune exception, une jeu oral et gestuel surtout, d’une qualité et d’une unité, d’une précision exemplaire (en particulier Philip Edegrley, Samp Crane, Elisabeth Cadwallader), et le chœur de douze jeunes acteurs/chanteurs de Conservatoire Codarts de Rotterdam est d’une rare efficacité. Tous,de plus, passent facilement du parlé au chant. Sublime. Aucune criaillerie, aucun cabotinage mais un esprit de troupe et une unité d’interprétation, qui supplée au texte bavard, ennuyeux et peu convaincant du premier spectacle de ce jeune créateur.
Donc, à à vous de juger, si vous avez envie de payer ce dernier acte… au prix fort, c’est à dire en subissant une interminable loghorrée de 120 minutes qui le précède. Mais encore une fois, les acteurs sont d’un niveau tout à fait supérieur, et dans ce festival, cela reste le plus souvent exceptionnel, et surtout pour des professionnels, cela peut mériter le détour…
Philippe du Vignal
Gymmase du lycée Aubanel jusqu’au 9 juillet à 18 heures.