Hypérion
Festival d’Avignon in:
Hypérion, d’après le roman Hypérion de Friedrich Hölderlin, traduction de Philippe Jaccottet, adaptation de Marie-José Malis et Judith Balso, mise en scène de Marie-José Malis
Hölderlin né en 1770, et mourut fou en 1743 ; dès le début de son existence, ce fut une suite de deuils: son père, puis son beau-père, ses petites sœurs et il eut une éducation marquée au petit séminaire, par l’apprentissage du grec ancien, du latin et de l’hébreu.
Hypérion, ce grand roman qu’il écrivit en 1794, met en scène un jeune grec, dont le pays est occupé par les Turcs depuis le XVII ème siècle, qui veut redonner à son pays un véritable destin national.
C’est, comme le dit justement Marie-José Malis, « un texte qui très profond sur les catégories de la politique, celles qu’il faudrait inventer pour dépasser les échecs que nos révolutions ont connus. Beaucoup pensent qu’Hölderlin a dressé dans ce texte les tâches de la modernité politique, tâches qui sont encore les nôtres ».
Un texte dont nous ne nous sommes jamais lassés, même à travers la traduction française. Hypérion avait déjà été adapté par le metteur en scène exceptionnel que fut Klaus-Michael Grüber dans le grand stade de Berlin, celui-là même où Hitler vociféra lors des Jeux Olympiques, et pour Avignon, dont on a pu voir récemment une captation sur Arte.
Klaus-Michael Grüber avait aussi réalisé un magnifique spectacle au Théâtre des Amandiers de Nanterre, à partir de La Mort d’Empédocle dont nous et tous ceux qui avaient pu le voir, avons encore en mémoire les images incandescentes de beauté.
Marie-José Malis a été, dit-elle, très influencée par ce spectacle et aussi, par la célèbre Electre de Sophocle mise en scène par Antoine Vitez, avec -décor de Yannis Kokhos- ses hauts murs de vieille maison athénienne, et derrière, la mer bleue. C’est à ces deux mises en scène-culte dans l’histoire du théâtre au vingtième siècle, qu’elle a entrepris de relier son travail.
Note à benêts: la chose était prévue pour une durée de quatre heures avant qu’un SMS nous avertisse qu’en fait, le spectacle allait durer cinq heures, entracte compris…. Bref, quelque chose de pas très professionnel, d’autant plus que plusieurs d’entre nous avaient réservé pour un autre spectacle juste après. Ce mépris du public n’appelle aucun commentaire.
Nous entrons dans la salle Benoît XII qui restera ensuite éclairée. après le début du spectacle. A Hambourg, il y a plus de vingt ans, le grand Peter Zadek le faisait déjà, mais avec une toute autre exigence artistique. « Je veux surtout pratiquer notre théâtre, » dit Marie-José Malis, avec une rare prétention, il est frontal, adressé aux gens ». Alors qu’on a surtout l’impression chez elle, d’un procédé facile, et sans véritable signification.
Sur la scène, un beau décor signé Jessy Ducatillon, hyperréaliste: un petit café, minable au store rouge bien vieilli, à l’enseigne ANDREAS en caractères cyrilliques, avec trois tables dépareillées, une dizaine de chaises tubulaires dont la peinture rouge s’écaille; à droite, une affiche pour des voyages en Egypte et le rideau de fer d’un garage Peugeot sans doute définitivement fermé. Bref, ce genre de boutiques comme on en voit encore dans des villages méditerranéens où l’argent ne coule guère. Cette scénographie est sans doute le seul élément positif de cette pseudo-création qui pourrait se passer de décor.
En silence, se sont assis cinq hommes et deux femmes, et trois jeunes comédiennes amatrices, selon le programme. La salle, on l’a dit, restera éclairée et la scène elle sera dans une demi-obscurité permanente. On se demande bien pourquoi! De temps en temps, théâtre dans le théâtre! un des acteurs manipule un levier électrique (bidon bien sûr, et on n’y croit pas un instant). Il y a alors un légère modification d’éclairage. Quelle innovation! Quelle intelligence scénique!
Dès les premières minutes, on comprend que l’entreprise va être à ranger au rayon des cas désespérés. Un des comédiens se détache du groupe, s’avance, face public, murmure d’une voix fatiguée quelques vers (au septième rang, on entend à peine!) puis un autre lui succède, etc. De temps en temps, comme résignés, fatigués et rendus tristes par l’épreuve, ils bougent quelques chaises, puis s’alignent tous en bord de scène. Et cela recommence plus de deux heures durant, avec souvent de longs silences entre chaque réplique. Pas un sourire, pas un frémissement d’intelligence du texte, aucune aération visuelle ou sonore. Bref, très éprouvant pour le public et, on a tout lieu de le supposer, pour les pauvres acteurs.
Parfois, l’un d’eux va écrire sur le mur noir, côté jardin, un mot comme: « Pourtant », « Croire », « Diotima », le nom qu’Hölderlin donne dans le texte à sa fiancée. Mais les spectateurs qui ne sont pas du bon côté, n’en voient rien. Là aussi, un vieux procédé, facile et usé, que madame Malis aurait pu nous épargner.
Ses comédiens, visiblement, n’ont pas été dirigés mais l’un d’entre eux semble parfois enfreindre les consignes de la chef, comme Olivier Horeau qui, d’une belle voix grave, fait enfin mieux entendre les beaux vers du grand poète allemand. Mais cela reste très ponctuel, et le ronronnement reprend de plus belle, exaspérant pour qui est venu entendre Hölderlin.
Madame Malis nous répondra sans doute que c’est intentionnel et tout à fait dans l’axe de sa mise en scène… Oui, mais voilà, n’est pas Claude Régy qui veut, et même avec des textes difficiles, il réussit le plus souvent à capter son auditoire.
Donc, comme on n’entend rien ou si peu, les spectateurs, restés quand même étonnamment polis, discutent entre eux, envoient des textos, admirent la rampe de grillage aux tubes fluo qui traverse toute la salle jusqu’à la scène, ou regardent ceux qui partent: cela fait toujours passer un moment…
Ce happening est toujours plus intéressant que ce qui se passe sur scène où la direction d’acteurs est aux abonnés absents, et où, souvent en arrière-fond, une musique symphonique est censée soutenir le texte: autre vieille ficelle insupportable de médiocrité. Quant aux trois jeunes comédiennes amatrices, dont on ne voit pas bien ici la nécessité de leur présence, elle annonent le texte de façon pathétique.
Et, comme Marie-José Malis n’est ni Grüber ni Vitez, et que le spectacle est très statique et les images tout à fait anodines, et comme, de plus, cette eau tiède coule sous une lumière sépulcrale, cela provoque assez vite une hémorragie permanente de spectateurs souvent furieux, et on peut les comprendre… Bien entendu, dans ces cas-là, l’emboîtage est de règle, dès qu’une petite phrase peut s’y prêter. « Du genre: » « Personne ne veut demeurer là où nous bâtissons », ou bien: « O erreur éternelle! Quand l’homme s’arrachera-t-il à tes chaînes? «
On a le désagréable sentiment d’être pris en otage, pendant que madame Malis fait joujou avec Hölderlin, dont la traduction d Philippe Jaccottet, n’est même pas citée en tête du programme! La majorité du public qui, hier soir, était du genre universitaire, semblait quand même indulgente, comme souvent à Avignon, mais quand même pas au point de revenir après l’entracte! Quant à nos confrères, toutes tendances artistiques confondues, ils étaient accablés par ce mépris du public et cette incroyable prétention scénique. Comme nous le disait l’une d’entre eux, non sans raison: « Elle se fout de nous! Citez-moi un spectacle qui, depuis plus de quarante ans de festival d’Avignon, ait été aussi nul, et où pas un moment de vrai théâtre ne réussit à émerger ». La réponse, bien entendu, et même en cherchant loin, est radicalement : non.
Pauvre Hölderlin, dont, dans une petite forme, Jacques-Albert Canque à Bordeaux où le poète avait été précepteur, avait, cette saison, si bien honoré l’anniversaire! Pauvre public! Pauvre festival…
Après un entracte de vingt minutes, la salle de quatre cent places ne comptait plus que soixante-dix spectateurs. Cherchez l’erreur! Nous somme restés encore une vingtaine de minutes, histoire de voir s’il y avait la plus petite évolution positive mais, comme le robinet d’eau tiède continuait à couler de plus belle, avec un mien confère, nous nous sommes enfuis sans aucun scrupule, d’autant qu’au dernier rang- nous l’avons testé- on n’entendait strictement rien.
Donc désolé, impossible, de vous en dire plus, mais la vie est courte, donc pas de temps à perdre à regarder les élucubrations de Madame Malis, et il y a des spectacles ici, dans le in comme dans le off, nombreux et tout à fait intéressants à voir. La « metteuse en scène », droite dans ses bottes, devrait quand même se poser quelques questions: est-il normal que la majorité du public déserte son cher Hypérion ? Ce sont sans doute de pauvres demeurés qui n’ont pas fait Normale Sup comme elle, et ne peuvent donc rien comprendre à sa dramaturgie exceptionnelle et à sa géniale mise en scène!
Reste un grave problème: comment cet ovni qu’on oubliera très vite, a pu arriver jusqu’au festival in? Que cette mise en place (ne parlons même pas de mise en scène!) fasse l’objet d’une lecture ou d’une présentation tout à fait confidentielle pour les amis de Marie-José Malis, un soir au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers dont elle vient d’être nommée directrice: pourquoi pas et très bien!
Mais pourquoi Olivier Py a-t-il accueilli ce projet, cela tient du mystère! Enfin, peut-être pas tant que cela, si nos informations sont exactes (on espère vous en dire plus) mais cette programmation reste tout fait regrettable et peu digne du Festival d’Avignon.
En tout cas, cet Hypérion qui doit aussi inaugurer la nouvelle saison du Théâtre de la Commune, risque de mettre à mal la politique théâtrale que Didier Bezace, son prédécesseur, et avant lui autrefois Gabriel Garran, avaient su avec patience, si bien construire. « Aujourd’hui, plus que jamais, dit Marie-José Malis qui semble ne douter de rien, se livre à une analyse géo-politique des plus pointues: « Ce projet me semble nécessaire. (sic). Il suffit de dire que c’est la jeunesse grecque et méditerranéenne qui s’y cherche et une politique de pur soleil ». (sic!)
En tout cas, on souhaite bien du courage aux spectateurs du festival d’Avignon, s’ils veulent revendre leurs places, et on en souhaite encore plus aux futurs spectateurs d’Aubervilliers, en particulier les enseignants des lycées du coin qui en ont déjà acheté pour leurs élèves. C’est vraiment le genre idéal de spectacle, à la fois injurieux pour le public comme pour Hölderlin, qui risque de les dégoûter à jamais du théâtre. Trois mois de prison avec sursis, selon la formule bien connue de Jacques Livchine. Etre nommé directrice d’un centre national est un honneur qui se mérite et qui n’autorise en aucun cas à faire du n’importe quoi.
Ce que nous avons vu ce soir de première est bien triste et participe d’une escroquerie intellectuelle: le texte poétiquement lumineux d’Hölderlin devient ici d’un ennui à couper au couteau. Mais le pire n’est jamais sûr, écrivait déjà Paul Claudel en sous-titre du Soulier de satin, et il est encore temps pour madame Malis, de retirer de l’affiche d’Aubervilliers, (ce que, sûre de son bon droit, elle se refusera sans doute à faire). Mais cet Hypérion est de sinistre augure, quant à sa direction à la tête d’un centre dramatique national… Jack Ralite, ancien maire d’Aubervilliers avec toute l’intelligence et le lucidité qu’on lui connaît (voir sa remarquable Lettre au Président de la République dans Le Théâtre du Blog) semblait accablé par ce qu’il venait de subir pendant plus de deux heures!
Marie-José Malis a pourtant réalisé des spectacles intéressants, quoique déjà singulièrement bavards et elle pourrait donc revoir, sans narcissisme et avec un peu plus d’humilité, la conception même de cet Hypérion et le mettre vraiment en scène, surtout le rendre audible, et le réduire à soixante-dix minutes maximum. Cela limiterait peut-être déjà l’étendue des dégâts! Ce qu’elle ne fera sans doute pas… On aimerait bien aussi avoir l’opinion de madame la Ministre de tutelle, sur ce spectacle, si elle vient le voir en Avignon. Ce qu’elle ne fera sans doute pas non plus.
Notre amie Véronique Hotte a vu ce spectacle quelques jours après nous et semble avoir eu une réaction légèrement plus positive, donc, vous aurez prochainement un autre son de cloche.
Philippe du Vignal
Deuxième son de cloche:
Hypérion, une méditation sur la Révolution française… Le jeune homme grec de la pièce déplore la servilité de son pays durant l’occupation de la Grèce par les Turcs au XVII ème siècle et se demande sans s’illusionner comment il serait possible de se relever, mais « La gracieuse illusion d’un bonheur futur m’aura leurré.» Roman d’amour épistolaire, philosophique et politique, Hypérion est à la fois un hymne à la jeunesse fougueuse, à son engagement et un constat pessimiste :« Où pourrais-je m’enfuir, si je n’avais pas les jours aimés de la jeunesse ? »
Pour la metteuse en scène Marie-José Malis, Hypérion est français car écrit par un spectateur de la Révolution française qui dévoile ce que son pays a été et ce qu’il est devenu, mais universel, invectivant par le verbe, au-delà des frontières, toutes les jeunesses du monde et les figures de notre temps : « Beau, jeune, vrai, l’Olympe est l’État libre. »
Hypérion incite à l’action contre les fanatismes, les opportunismes et l’ignorance. Depuis le Printemps arabe et les récents événements de la place Tahir du Caire, les possibles ouvertures et le désenchantement qui suivit, jusqu’à la détresse grecque, s’établit un inventaire des tentations gauchistes, droitières et nihilistes pour construire une politique nouvelle.
« Pourtant, ne cesse de répéter Hölderlin, c’est bien à partir du constat d’échec que se réinvente une politique de pur désir, d’amitié, d’amour, de regard tourné vers la nature et que peuvent se comprendre les tâches symboliques d’une modernité politique citoyenne, liberté, égalité, fraternité. Le beau, le bien, l’art et la jeunesse de l’âme et de la Nature sont de vraies valeurs, séparées de la peinture caméléon où plongent les hommes aveuglés par leur intérêt. En l’être jeune, « est la richesse, il n’est pas encore en conflit avec lui-même et parce qu’il ne sait rien de la mort, il est immortel. »
L’idée maîtresse du roman, selon Malis, via Pasolini: on ne peut faire de révolution, s’il n’y a pas une conversion poétique de la sensibilité et de l’esprit. Une nouvelle beauté doit apparaître aux hommes, beauté qu’ils trouveront dans ce qu’ils redoutent aujourd’hui et qu’ils méprisent, la pauvreté, la perte, le manque. L’amour d’Hypérion pour Diotima porte sa part de mystère divin. S’accomplit ainsi un éloge de l’âme, éternellement jeune, fascinante, indestructible.
Cette parole politique est ici mise à l’honneur, grâce à une déclamation claire et engagée, une diction qui prend son temps et dont a pleine conscience le comédien, à travers la puissance poétique et la musique du texte qu’il énonce.
Cette façon de dire, rare car non spectaculaire, exigeante et non complaisante, audacieuse et provocatrice, touche directement l’énonciateur mais aussi le public. Chacun doit sentir que ce que l’on dit, a des conséquences sur sa propre vie. Les acteurs imposent la méditation, s’adressant à la salle éclairée, face public. Isolés ou en chœur, buste tendu vers le ciel pour l’accueil en soi du monde et de l’autre, infiniment patients et attentifs dans le silence installé. Un moment précieux de théâtre, d’élévation rare de la pensée, et de la sensibilité.
Véronique Hotte
Salle Benoît XII jusqu’au 16 juillet.