Festival d’Avignon in:
Orlando ou l’impatience, texte et mise en scène d’Olivier Py.
Olivier Py, le nouveau directeur du Festival d’Avignon depuis septembre 2013, est devenu en une quinzaine d’années un écrivain de théâtre et un metteur de scène de théâtre comme d’opéras tout à fait reconnu.
Il avait proposé à Avignon une sorte d’évènement scénique avec La Servante (1995) qui durait 24 heures chrono. Olivier Py a aussi dirigé avec passion et beaucoup d’efficacité le Théâtre de l’Odéon avant d’être brutalement remercié par Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture sur pression de l’Elysée qui avait besoin de la place! Ainsi, allait le monde sous le règne de Nicolas Sarkozy…
Dans le nouveau lieu de travail du festival, La FabricA, tout neuf et remarquablement équipé, situé dans le quartier populaire de Champleury (les HLM sont à cent mètres), il y a répété et mis en scène Orlando.
C’est une sorte de comédie poétique mais aussi allégorique où un jeune homme part à la recherche de son père dans une quête initiatique, sans doute inspirée de sa vie personnelle. Avec une impatience qui tient comme il l’avoue, d’une intense soif spirituelle
Le spectacle commence par une entrée de tous les comédiens et techniciens intermittents sur le plateau, dignes et silencieux pendant qu’une voix off dit le formidable discours de Victor Hugo, Du Péril de l’ignorance. Il dénonçait, de façon prémonitoire, à l’Assemblée nationale en 1848, la réduction des budgets accordés aux ars et lettres, et redisait toute la nécessité fondamentale de « faire pénétrer la lumière dans l’esprit du peuple ». Hugo y explique, dans une nouvelle version de la célèbre phrase évangélique: « l’homme ne se nourrit pas seulement de pain » et que « Le bien-être matériel ne suffit pas ».
Puis commence cet Orlando, qui tient à la fois de la comédie, où il veut aussi dit-il parler de thèmes graves » Par la comédie, je ne traite pas un sujet en particulier mais je traite la « totalité » comme sujet. mon sujet est alors: le théâtre comme totalité et la totalité comme théâtre ».
Effectivement, cette pièce « longue et systémique « comme il dit, lui permet d’inscrire cet Orlando dans un genre particulier qui tient du long poème lyrique à la façon du Soulier de satin de Paul Claudel, qu’il avait autrefois monté et auquel il fait très souvent référence. Mais il y a dans son spectacle, des moments de pure comédie, voire carrément farcesques avec ces scènes de cabinets ministériels qui ont parfois des faux airs de théâtre de boulevard
Ici, tout se passe comme si Olivier Py avait voulu nous offrir comme condensé des thèmes qu’il affectionne. Soit d’abord et surtout un hymne à la vie sur fond de pensée catholique, où Dieu et la grâce tiennent une part importante. C’est ici un mélange où le meilleur frise souvent le moins bon: il y a ainsi de beaux moments d’envolée lyrique avec un rythme qui rappelle parfois celui des Cinq grandes Odes de Paul Claudel mais il a aussi des dialogues (qui parfois n’en finissent plus) moins bien traités! Olivier Py est volontiers bavard et le revendique. Et il parle de tout ce qui l’obsède depuis longtemps. Dieu, toujours et encore Dieu, mais aussi l’amour entre de beaux jeunes hommes, le désir physique et toujours et encore, du théâtre comme lieu de vie et de mort, de l’endroit et de l’envers, symbolisé par ce plateau qui tourne sans cesse et des coulisses. Avec des images cent fois revues chez lui comme chez d’autres metteurs en scène: la petite table de maquillage et l’accessoire fétiche d’Olivier Py, dont il ne peut se priver, cette servante, petite ampoule au bout d’un d’un pied qui reste constamment allumée sur un plateau quand il n’y pas de représentation, et qui doit lui rappeler la lumière rouge du saint-sacrement dans les églises de son enfance…
Les personnages? Il y a d’abord nommé Orlando comme celui de Virginia Woolf, dont la mère, est une comédienne, il y a aussi un metteur en scène un peu déjanté, et qui est visiblement le seul à croire à sa belle étoile, un ministre de la Culture, aussi grotesque que suffisant, qui rappelle sans doute certains qu’il a bien connus… Dans des scènes particulièrement réussies. Olvier Py règle visiblement ici quelques comptes personnels mais c’est vraiment drôle et bien écrit, même si cela frise parfois le théâtre de boulevard avec des mots faciles où le second degré rejoint le premier: Du genre: « Il y a des moments où je doute du magnésium et de la gauche ».
Mais ce texte aux allures de loghorrée (plus de trois heures!), est vraiment par trop inégal, et mériterait de sérieux coups de ciseaux! Ce que ne fera sans doute pas Olivier Py! Bavard il a toujours été et le restera, mais il sait aussi confier au public nombre de phrases plus authentiques, dites sur le ton de la confidence comme : « A la fin, quand toutes les certitudes nous ont trahi, il reste le théâtre ». « Le théâtre vit et meurt comme toutes sociétés humaines »
Par ailleurs, il a su, comme toujours, constituer une solide équipe ce qui donne une belle unité au spectacle; d’abord avec son scénographe habituel, Pierre-André Weitz qui lui a conçu un dispositif, très astucieux et efficace, comme une sorte de grand joujou en bois, avec un plateau tournant dont il use et abuse un peu partout, et de multiples praticables dont de grands escaliers que plusieurs régisseurs n’arrêtent pas de mettre en place sans que cela soit vraiment justifié. Mais ce dispositif, avec de grands châssis sérigraphiés est une sorte de machine à jouer tout à fait efficace … C’est lui aussi qui a créé d’intelligents et beaux costumes.
La mise en scène comme la direction d’Olivier Py, est solide, et ses acteurs sont des plus expérimentés qui soient, sinon, compte-tenu des faiblesses du texte, le spectacle ne fonctionnerait pas bien. Il y a ainsi Eddy Chignara qui incarne formidablement un ministre de la Culture, et Jean-Damien Barbin, son directeur de cabinet, cheveux longs, coiffé d’un vieux feutre gris, en imperméable minable qui répète la même petite phrase commençant chaque fois par : « Tout le malheur du monde… » mais qui joue aussi un ostéopathe fou,. Il est excellent même s’il a parfois tendance à faire du Jean-Damien Barbien, Il y a aussi Mireille Herbestmeyer en guêpière et escarpins noirs, tout à fait remarquable dans le rôle d’une grande actrice qui change tout le temps de costume comme dans le théâtre de boulevard, aussi délirante qu’émouvante et qui déclare sans l’ombre d’un ridicule: « «Je suis l’allégorie du théâtre éternel.» Elle est par ailleurs la mère insupportable d’Orlando; Philippe Girard, excellent comme d’habitude qui décline un même père à la fois: désespéré, exalté, déshonoré, oublié et recommencé. Il y a aussi Laure Calamy ( Ambre) et Matthieu Dessertine (Orlando).
Certes, cet Orlando est trop bavard, trop long, et ce théâtre dans le théâtre, tarte à la crème du spectacle contemporain, a quelque chose d’un peu branchouille parisien. Cela dit, Olivier Py a le mérite de proposer une vision poétique du monde, où il ne craint pas d’aborder des questions à la fois philosophiques et esthétiques, à travers quelque chose qui ressemble à une comédie.
Alors, malgré une dramaturgie qui demanderait à être revue, ne faisons pas trop la fine bouche! Nous n’avons pas tellement d’auteurs français de cette dimension, à part Valère Novarina et Joël Pommerat qui soient aussi les metteurs en scène de leur œuvre…
Cet Orlando a de sérieux défauts , n’est pas un spectacle grand public mais ne peut laisser indifférent.
Philippe du Vignal
La FabricA, à 18 heures, jusqu’au 16 juillet, 55 Avenue Eisenhower, 84000 Avignon. T : 04 90 14 14 14.