Oblomov

Festival d’Avignon off:

Oblomov d’après Ivan Gontcharov, conception et mise en scène de Dorian Rossel.

Oblomov5©Laurentd'AsfeldQuand on évoque Oblomov, vient à l’esprit le titre du film magnifique de Nikita Mikhalkov (1979), conçu à partir du roman russe (1859) d’Ivan Gontcharov. O’Brother Company et la Compagnie suisse STT, se sont unies pour ce projet singulier. Le fameux Oblomov est un jeune aristocrate, petit propriétaire terrien qui a choisi de ne pas agir, fuyant les responsabilités et les engagements, préférant la nonchalance et le quant-à-soi.
Il y a chez lui un amas de couvertures chamarrées, un mobilier bourgeois encombrant dont un divan , où cet homme cultivé et au bel embonpoint se prélasse. Oblomov se réfugie dans cet abri et abîme de douceur, dans une situation inédite et risquée: il plonge ainsi dans les souvenirs infinis d’une enfance maternelle et bénie.
Xavier Fernandez-Cavada est bien ce personnage passionné et attaché à tous les vagues à l’âme. Oblomov est en effet la métaphore paradoxale d’un désœuvrement existentiel revendiqué, et incarne à merveille l’anti-héros de notre temps qui s’oppose à l’action comme au dynamisme de gestes faussement créatifs, élevés au rang de valeurs.
Son ami Stoltz (Fabien Joubert), hyperactif, et la belle Olga (Elsa Grzeszczak) dont la mélancolie s’accorderait à la sienne, veulent le sortir de sa torpeur.  Mais le récalcitrant a réponse à tout : «Elle est belle la vie ! Que veux-tu qu’on y cherche ? Des intérêts de l’esprit ? Du cœur ? Mais où est l’axe autour duquel tout ça est en train de tourner ? Il n’y en a pas, il n’y a rien de vivant, rien qui vous touche. Tous des cadavres, des gens qui dorment, bien pire que moi, ces gens du monde et de la société. »
Pour Oblomov, ces êtres ne sont ni vivants ni éveillés. Il est amoureux d’Olga mais s’en détache par crainte de souffrir, et choisit Agafia (Delphine Lanza) qui correspond à son tempérament, c’est une femme simple et fin cordon bleu. Et un fidèle pourtant le veille jusqu’à sa mort, Zakhar (Rodolophe Dekowski), un valet paresseux et désinvolte qui veille aux bottes de son maître comme à un trésor.
L’équipe de Dorian Rossel agit en collectif aguerri : les comédiens alternent les rôles et s’échangent la parole, œuvrant à une composition raffinée et enlevée, déjetant parfois le texte avec précipitation, alors qu’il faudrait plutôt le faire attendre au public pour qu’il l’écoute bien.
Quelques couvertures, des bancs où dormiraient des sans domicile fixe, des anonymes, exclus d’aujourd’hui: des graines d’Oblomov. Et contrairement à la vision critique et sévère d’Oblomov sur ses semblables, ici les acteurs jouent des personnages vivants et éveillés, qui se rassemblent et se ressemblent – portant symboliquement le même manteau d’intérieur. Avec chaleur et gaieté, et une lueur de passion vive dans les yeux.
IIs jouent
Oblomov comme dans un rêve, s’écoutant les uns les autres, à la recherche de quelques minutes de bonheur. Une quête intérieure scénique qui traque inlassablement le sens de la vie.

Véronique Hotte

La Caserne des Pompiers, du 7 au 23 juillet à 15h (relâches les 11 et 18). T: 04 90 84 11 52


Archive pour 10 juillet, 2014

Orlando ou l’impatience d’Olivier Py.

Festival d’Avignon in:

Orlando ou l’impatience, texte et mise en scène d’Olivier Py.

olivier-py-met-un-peu-de-tout-et-beaucoup-de-lui-dans-orlando,M159153Olivier Py, le nouveau directeur du Festival d’Avignon depuis septembre 2013, est devenu en une quinzaine d’années un écrivain de théâtre et un metteur de scène de théâtre comme d’opéras tout à fait reconnu.
Il  avait proposé à Avignon une sorte d’évènement scénique avec La Servante (1995)  qui durait 24  heures chrono. Olivier Py a aussi dirigé avec passion et  beaucoup d’efficacité le Théâtre de l’Odéon avant d’être brutalement remercié par Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture sur pression de l’Elysée qui avait besoin de la place! Ainsi, allait le monde sous le règne de Nicolas Sarkozy…

Dans le nouveau lieu de travail du festival, La FabricA, tout neuf et remarquablement équipé, situé dans le quartier populaire de Champleury (les HLM sont à cent mètres), il y a répété et mis en scène Orlando.
C’est une sorte de comédie  poétique mais aussi allégorique où un jeune homme part à la recherche de son père dans une quête initiatique,  sans doute inspirée de sa vie personnelle. Avec une impatience qui tient comme il l’avoue, d’une intense soif spirituelle
Le spectacle commence par  une entrée de tous les comédiens et techniciens intermittents sur le plateau, dignes et silencieux pendant qu’une voix off dit le formidable discours  de Victor Hugo, Du Péril de l’ignorance. Il  dénonçait, de façon prémonitoire, à l’Assemblée nationale en 1848, la réduction des budgets accordés aux ars et lettres,  et redisait toute  la nécessité fondamentale  de « faire pénétrer la lumière dans l’esprit du peuple ». Hugo y explique, dans une nouvelle version de la célèbre phrase évangélique: « l’homme ne se nourrit pas seulement  de pain » et que « Le bien-être matériel ne suffit pas ».
Puis commence cet Orlando, qui tient à la fois de la comédie, où il veut aussi dit-il parler de thèmes graves  » Par la comédie, je ne traite pas un sujet en particulier mais je traite la « totalité » comme sujet. mon sujet est alors: le théâtre comme totalité  et la totalité comme théâtre ».
Effectivement, cette pièce « longue et systémique « comme il dit, lui permet d’inscrire cet Orlando dans un  genre particulier qui tient du long poème lyrique à la façon du Soulier de satin de Paul Claudel, qu’il avait autrefois monté et auquel il fait très souvent référence. Mais il y a dans son spectacle, des moments de pure comédie,  voire carrément farcesques avec ces scènes de cabinets ministériels qui ont parfois des faux airs de théâtre de  boulevard
Ici, tout se passe comme si Olivier Py avait voulu nous offrir comme condensé des thèmes qu’il affectionne.  Soit d’abord et surtout un hymne à la vie sur fond de pensée catholique, où  Dieu et la grâce tiennent une part importante. C’est  ici un mélange où le meilleur frise souvent le moins bon: il y a ainsi de beaux moments d’envolée lyrique avec un rythme qui rappelle parfois celui des Cinq grandes Odes de Paul Claudel mais il a aussi des dialogues (qui parfois n’en finissent plus) moins bien traités! Olivier Py est volontiers bavard et le revendique. Et il parle de tout ce qui  l’obsède depuis longtemps. Dieu, toujours et encore Dieu, mais aussi l’amour entre de beaux jeunes hommes, le désir physique et toujours et encore, du théâtre comme lieu de vie et de mort,  de l’endroit et de l’envers, symbolisé par ce plateau qui tourne sans cesse et des coulisses. Avec des images cent fois revues chez lui comme chez d’autres metteurs en scène: la petite table de maquillage et l’accessoire fétiche d’Olivier Py, dont il ne peut se priver, cette servante,  petite ampoule au bout d’un d’un pied qui reste constamment allumée sur un plateau quand il n’y pas de représentation,  et qui doit lui rappeler  la lumière rouge du saint-sacrement dans les églises de son enfance…
Les personnages?  Il y a d’abord  nommé Orlando  comme celui de Virginia Woolf,  dont la  mère, est une   comédienne, il y a aussi un metteur en scène un peu déjanté, et qui est visiblement le seul à croire à sa belle étoile, un ministre de la Culture,  aussi grotesque que suffisant, qui rappelle  sans doute certains qu’il a bien connus…  Dans des scènes particulièrement réussies. Olvier Py règle visiblement ici quelques comptes personnels  mais  c’est vraiment drôle et bien écrit, même si cela frise parfois le théâtre de boulevard avec des mots faciles où le second degré rejoint le premier: Du genre: « Il y a des moments où je doute du magnésium et de la gauche ».
Mais  ce texte aux allures de loghorrée (plus de trois heures!), est vraiment par trop  inégal, et mériterait  de sérieux coups de ciseaux! Ce que ne fera sans doute pas Olivier Py! Bavard il a toujours été et le restera, mais  il sait aussi confier au public nombre  de  phrases plus authentiques, dites sur le ton de la confidence comme : « A la fin, quand toutes les certitudes nous ont trahi, il reste le théâtre ». « Le théâtre vit et meurt comme toutes sociétés humaines »
Par ailleurs, il a su, comme toujours, constituer une solide équipe ce qui donne une belle unité au spectacle; d’abord avec son scénographe habituel, Pierre-André Weitz qui lui a conçu un  dispositif, très astucieux et efficace, comme une sorte de grand joujou en bois, avec un plateau tournant dont il use et abuse un peu partout, et de multiples praticables dont de grands escaliers que plusieurs régisseurs n’arrêtent pas de mettre en place sans que cela soit vraiment justifié.  Mais ce dispositif, avec de grands châssis sérigraphiés  est une sorte de machine à jouer tout à fait efficace … C’est lui aussi qui a créé d’intelligents et beaux costumes.
La mise en scène comme la  direction d’Olivier Py, est solide, et ses acteurs sont des plus expérimentés  qui soient,  sinon, compte-tenu des faiblesses du texte, le spectacle ne fonctionnerait pas bien. Il y a ainsi Eddy Chignara qui incarne formidablement un ministre de la Culture, et  Jean-Damien Barbin, son directeur de cabinet, cheveux longs,  coiffé d’un vieux feutre gris,  en imperméable  minable  qui répète la même petite phrase  commençant chaque  fois par : « Tout le malheur du monde… » mais qui joue aussi un ostéopathe fou,. Il est excellent même s’il a parfois tendance à faire  du Jean-Damien Barbien,   Il y a aussi Mireille Herbestmeyer en guêpière et escarpins noirs, tout à fait remarquable dans le rôle d’une grande actrice qui change tout le temps de costume comme dans le théâtre de boulevard,  aussi délirante qu’émouvante et qui déclare sans l’ombre d’un ridicule: «   «Je suis l’allégorie du théâtre éternel.»   Elle est par ailleurs la mère insupportable d’Orlando;  Philippe Girard,  excellent comme d’habitude qui décline un même père à la fois: désespéré, exalté, déshonoré, oublié et recommencé. Il y a aussi Laure Calamy ( Ambre) et Matthieu Dessertine (Orlando).
Certes, cet Orlando est  trop bavard, trop long,  et ce théâtre dans le théâtre, tarte à la crème du spectacle contemporain,  a quelque chose d’un peu branchouille parisien. Cela dit, Olivier Py a le mérite de  proposer  une vision poétique du monde,  où  il ne craint pas d’aborder des questions à la fois philosophiques et esthétiques, à travers quelque chose qui ressemble à une comédie.
Alors, malgré une dramaturgie qui demanderait à être revue, ne faisons pas trop la fine bouche! Nous n’avons pas tellement d’auteurs  français de cette dimension, à part Valère Novarina et Joël Pommerat qui soient aussi les metteurs en scène de leur œuvre…
Cet Orlando a de sérieux défauts , n’est pas un spectacle grand public mais ne peut laisser indifférent.

Philippe du Vignal

 La FabricA, à 18 heures, jusqu’au 16 juillet, 55 Avenue Eisenhower, 84000 Avignon. T : 04 90  14 14 14.

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