Nature morte, à la gloire de la ville de Manolis Tsipos, traduction de Myrto Gondicas, atelier-spectacle dirigé par Michel Raskine à l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne.
C’est une volonté affichée d’Olivier Py (et il a bien fait) d’accorder une priorité à celui des pays européens sans doute le plus durement touché par la crise économique, et qui a aussi été, on l’oublie trop souvent, à l’origine du théâtre occidental, donc sans lequel, souvenons-nous, il n’y aurait jamais eu non plus de festival d’Avignon. Où cette année sont donc programmés trois spectacles, Vitriol de Dimitri Dimitriadis, La Ronde du carré de Yannis Mavritsakis, et Nature morte à la gloire de la ville. Ces textes écrits par des auteurs grecs de génération différente ,témoignent chacun à leur façon de la Grèce d’aujourd’hui, en proie à un cataclysme social comparable à celui des années 30 en Allemagne.
Manolis Tispos a trente cinq ans et auteur scénariste et metteur en scène et artiste de performance et sa pièce, Nature morte à la gloire de la ville est une sorte d’œuvre lyrique où s’exprime une grande violence, en rapport évidemment avec la situation explosive que connaît son pays depuis plus de quatre ans.
De par sa forme atypique, de par aussi le délai court entre la livraison du texte français et le début du travail, cet atelier-spectacle, dit Michel Raskine, est un champ de recherche pour les élèves de deuxième année (promotion 26) mais aussi pour le metteur en scène-pédagogue. Au texte de Manolis Tsipos, ont été associés des fragments du Prométhée d’Eschyle
Cela se passe dans un gymnase, juste habillé de quelques pendrillons de velours noir, et doté au fond d’un mur d’escalade; sont accumulés, en ordre comme en désordre, c’est selon, des objets comme une série de fauteuils blanc de jardin , des couronnes de fleurs, des fontaines à eau vides, etc… Le tout en plastique blanc ou coloré, dont on ne voit pas bien la nécessité sinon de remplir ce grand espace. Mais cela ne constitue ni une scénographie ni une véritable machine à jouer.
C’est assez laid, et Michel Raskine semble avoir été davantage préoccupé par la direction de ses élèves comédiens de deuxième année qui doivent se débrouiller avec un texte pas facile. mais qu’il a bien aidé. Il y a ainsi Julien Bodet, Thomas Jubert, Gaspard Liberelle, Aurélia Lüscher, Tibor Ockenfels, Maurin Olles, Pauline Panassenko, Manon Raffaelli et Mélissa Zehner. Tous avec une oralité et une gestuelle impeccable; c’est un travail bien dirigé, d’une grande rigueur, un peu démonstratif, que ce soit dans les solos ou dans le travail choral, mais c’est la loi du genre, et c’est toute l’ambiguïté de ces travaux d’élèves: on a affaire ici à la fois à un atelier mais aussi à un spectacle payant.
Le spectacle dure un peu plus d’une heure et on a donc du mal à repérer des individualités mais cela fait du bien d’entendre ces voix fraîches et de voir les beaux visages de ces jeunes gens, qu’ils jouent ou parfois chantent. C’est vraiment émouvant cette spontanéité dans un jeu encore brut de décoffrage (mais sans criailleries, sans micros HF!) surtout après le terrible ennui que nous a infligé Marie-José Malis avec son Hypérion à quelques dizaines de mètres de là. (voir Le Théâtre du Blog).
La mise en scène de Michel Raskine est simple mais efficace, même s’il aurait pu nous épargner ces continuelles séances de déshabillage/rhabillage qui n’apportent rien. Cette Nature morte est comme un hymne qui nous parle de la jeunesse grecque qui a déjà commencé comme autrefois à s’exiler, avec, en trame, les impitoyables répressions policières imposées sans état d’âme par le gouvernement, des manifestations, comme au temps où les colonels dirigeaient le pays d’une main de fer, l’incroyable pauvreté qui amène les gens à toutes les tricheries possibles pour survivre. Et avec, comme conséquence immédiate, la montée des partis d’extrême droite dont l’histoire nous a appris depuis longtemps qu’ils n’ont jamais trouvé la moindre solution aux graves problèmes sociaux et politiques d’un pays.
Ces jeunes élèves ne deviendront sans doute pas tous comédiens mais ils savent déjà ce qu’est une unité de jeu et un spectacle donné dans des conditions minima, et ce n’est déjà pas si mal après deux ans d’école. Cet atelier-spectacle témoigne en tout cas de la bonne qualité de l’enseignement donné à Saint-Étienne.
Philippe du Vignal.
Gymnase du lycée Saint-Joseph, les 9, 10, 11 et 12 juillet.