Rester vivant d’Yves-Noël Genod
Rester vivant par Yves-Noël Genod
Yves-Noël Genod est un fantôme d’Avignon, un gentil fantôme, on y croise souvent sa silhouette de dandy longiligne, surmontée de longs cheveux blonds décolorés. Ce Rester vivant qu’il propose ici devait d’abord marier Houellebecq et Baudelaire, mais petit changement, on reste sur Baudelaire, avec les meilleures feuilles des Fleurs du Mal.
Nous sommes accueillis avec un verre de champagne, bon autant dire qu’il n’y en a pas pour tout le monde. Et la billetterie, l’appel et la liste d’attente ne se font pas exactement dans le luxe, le calme et la volupté, grâce ou à cause de ce spectacle très prisé!
Une fois les formalités d’usage accomplies, nous montons les marches qui mènent à la très belle salle en pierre de la Conditions des Soies, et après qu’il nous ait demandé si nous n’avons pas peur du noir et si nous ne sommes pas claustrophobes, nous nous installons enfin. Yves-Noël Genod nous demande de bien éteindre nos téléphones, ou de les laisser en mode avion mais pas en vibreur, il nous demande aussi de glisser au fond du sac les montres phosphorescentes, bref tout ce qui pourrait créer une source de lumière: l’objectif noir est le noir complet .
La mise en condition faite, il peut entamer un premier poème qui a pour thème les ténèbres puis il s’avance jusqu’à l’interrupteur pour nous plonger dans l’obscurité complète. Pendant un moment, on est surtout à l’écoute de nos sensations, et moins des poèmes : comment on ressent l’espace, les autres, d’où nous parvient la voix, est-ce qu’elle bouge, comment est l’attention du public?
Après un moment d’adaptation, on arrive enfin à s’abandonner un peu à l’écoute, certains y parviennent très bien et malgré l’horaire (19h), nous pouvons tous avoir (ou être !) le voisin qui s’affaisse sur vous à de multiples reprises, et on est alors témoin, sans le voir, de sa lutte contre l’endormissement !
Le ton est juste et respectueux, les vers bien découpés, les diérèses bien marquées aussi et les consonnes finales arrivent après un long temps de pause. Mais le ton de voix varie peu! Comme on n’a rien à voir, on aimerait qu’il y ait des variations, quelques emportements, un peu de folie, d’autant que l’homme a une superbe voix et qu’il ne manque pas de théâtralité.
On ne peut s’empêcher de le chercher dans la pénombre, de deviner où il est , d’autant plus qu’il bouge, et régulièrement, on entend ses bottes crisser sur le sol, on le sent aussi tout près de nous, quand il gravit les gradins dans une totale obscurité.
Malgré tout, Yves-Noël Genod reste prisonnier de son personnage, et quand il quitte Baudelaire pour apporter des commentaires, le public rit: c’est dommage! Ces éléments sont « éclairants » et sont la preuve de la passion et de la connaissance de notre acteur pour Baudelaire; on aimerait même qu’il y en ait un peu plus.
Yves-Noël Genod reste un créateur dans l’instant, et son spectacle sera facile à faire tourner, puisqu’il ne demande ni régisseur son ni lumières. Pratique! Ce moment joue beaucoup sur l’expérience offerte et sur le personnage qui la dispense. C’est un spectacle fait de pas grand chose, une expérience unique à vivre dans un festival, comme un moment de relaxation grâce aux mots, mais pourra-t-il exister plus tard dans un véritable théâtre ?
Julien Barsan
Condition des Soies à 19h jusqu’au 27 juillet.