Souterrain blues
Souterrain Blues de Peter Handke, mise en scène de Xavier Bazin
«Tu tournes les pages comme si tu rendais service aux livres, espèce d’expert-comptable. Toi un lecteur ? Espèce de caricature. (…) Hé! toi, prends congé des livres. Tripote donc autre chose que des œuvres. Tripote ce qui te correspond. Tripote la télécommande.» Qui peut tenir un tel langage, aussi coupant et méprisant, sinon Peter Handke, l’un de nos plus grands écrivains contemporains, provocateur à ses heures, adepte de l’ironie, de l’humour noir et du sarcasme, et dont l’œuvre exigeante et profonde, irradie sens et sensibilité.
L’auteur de Souterrain Blues plonge dans les arcanes de la pensée de nos contemporains, au sens le plus strict du terme car ce sont nos voisins voyageurs. À l’honneur donc, les passagers du quotidien, assis sur une banquette de métro, à moins que ces drôles de vivants ne restent debout, confinés verticalement dans l’habitacle réduit d’un wagon, au moment de la fréquentation la plus intense où grouille une foule anonyme qui rentre désespérément chez elle.
Ces frères d’un enfermement, obligé et passager, sont la cible même de l’ironie moqueuse de Peter Handke, via le narrateur qui interprète « l’homme sauvage ». Personne n’échappe à la vision cassante du personnage – l’admirable acteur Yann Collette dégaine ses sarcasmes avec calme et parcimonie, provocation et retenu-.
Tous, aussi tristes, aussi amers et aussi peu éveillés soient-ils, à l’occasion de ce voyage sous la terre, ils en prennent plein la figure : couples, lecteurs, travailleurs, ressortissants de professions intellectuelles, et y compris les aveugles.
Qu’exige de la vie tout ce petit monde? Que font-ils tous de leur existence? Il semblerait bien que ni le beau ni le bien ni les valeurs humanistes ne soient ici présentes. Ces diatribes blasphématoires sont recevables dans leur gouaille culpabilisante et agressive car elles englobent leur énonciateur qui, de lui-même se moque et s’amuse, insultant et prenant à témoin cet autre qu’il incarne aussi.
Ses invectives n’ont de légitimité qu’à partir du moment où elles prennent racine dans la fulgurance de l’amour de l’autre, l’amour de la vie et de sa lumière. On ne hait bien que ce qu’on aime passionnément : «Va, je ne te hais point », pourrait admettre notre bavard invétéré à son voisin de siège. Mais ce passager désigné par les dieux pour porter la verve d’une parole libre n’en reste pas moins tout à fait abandonné, malgré lui, à un isolement cruel.
Heureusement, surgit à l’improviste une jeune femme inattendue (Véronique Sacri), vivace et bruyante. Décidée et paisible, elle secoue la misanthropie du bougon, prend place dans l’espace vide et s’installe : il n’en faudra pas plus pour que notre antihéros de rame de métro acquiesce et se soumette à la beauté entrevue.
L’espace sombre, métaphore du tunnel existentiel, prend enfin sa lumière de sortie.
Véronique Hotte
Collège de La Salle jusqu’au 27 juillet à 11h45