Hors jeu
Festival d’Avignon off:
Hors Jeu d’Enzo Cormann, mise en scène de Philippe Delaigue
Philippe Delaigue, ancien codirecteur du Centre dramatique national Drôme-Ardèche à Valence, avec Christophe Perton, a repris sa vie de compagnie et revient en Avignon avec un texte de son ami Enzo Cormann qui joue aussi dans cette création.
Un seul personnage: Gérard Smec, un ingénieur quinquagénaire licencié qui entre dans le circuit de la recherche d’emploi, circuit qui broie les êtres, en fait des numéros de dossier et leur fait perdre espoir. Il fréquente régulièrement le Job Store de sa ville et s’introduit souvent dans le bureau de la directrice sans rendez-vous pour des échanges tendus et stériles.
Gérard Smec se voit seulement proposer des postes dans des entreprises de ménage qu’il refuse, et voit fondre sur lui le moment de sa radiation, qui sera pour lui comme une mise à mort. Il ne se sent même plus digne de la femme qu’il aime, au point de la troquer contre un objet qui, selon lui, règlera tous ses problèmes.
Cormann explique comment et pourquoi il a écrit cette histoire : «L’écriture de fiction s’offre en effet comme une possibilité de réinjecter du mouvement (donc de la subjectivité, de la pensée, de l’affect — tous prémisses nécessaires à l’action) dans des représentations figées par l’habitude : nous savons que des gens souffrent, mais nous ne les voyons plus, nous n’y pensons pas, nous ne voulons pas le savoir. Par ailleurs, ces gens, ce ne sont pas des pauvres, des exclus, des asociaux, etc… : c’est nous, c’est moi, c’est toi. Ce sont des femmes, des hommes, jeunes ou vieux, des êtres humains, des concitoyens. Parents, enfants, amants, voisins… ce sont nos semblables : ils pensent, ils désirent, ils aiment, ils angoissent, ils rient et pleurent comme vous et moi. Ce ne sont pas des pions sur un échiquier, des unités dans une statistique, des matricules dans un dossier : ils ont une subjectivité, une histoire, un regard… qui font de chacun d’eux un être unique, un sujet (et non pas un objet) »
La mise en scène de Philippe Delaigue est d’une finesse comparable à l’écriture d’Enzo Cormann il y a disposée autour de lui une série de haut-parleurs, renforçant l’impression de souricière vécue par Gérard Smec. L’habillage sonore et musical, imaginé et parfaitement diffusé par Philippe Giordani, possède des sons aussi gris et aveuglants que la ligne de néon pointée vers nous, et son unité avec le jeu de l’acteur, relève de l’ excellence.
L’ensemble très cohérent, se déroule pour le public comme un lent cauchemar: Enzo Cormann incarne un Gérard Smec bouleversant, chevrotant, comme une bête blessée imprévisible et déterminée. Nous vivons et ressentons l’étau où il entre progressivement et où il va commettre l’irréparable. Un solo, coup de poing, qui, grâce aussi à l’univers musical de Philippe Giordani, est une heure de théâtre très fort…
Julien Barsan
Théâtre de l’Alizé à 18h jusqu’au 27 juillet.