Festival Teatro a Corte 2014, Turin

Festival Teatro a Corte 2014 de Turin.

Turin, ancienne capitale du royaume de Savoie, offre aux visiteurs une « couronne de palais », anciennes résidences royales et seigneuriales autour de la ville. Un ensemble de bâtiments gigantesques,  du XVll e ou XVlll e baroque, édifiés sur les collines ou au bord du Pô. Ces lieux de villégiatures aujourd’hui restaurés, sont  ouverts au public, et la Région de Piémont met en valeur ce patrimoine en le dédiant à la culture.
Ainsi est née l’idée d’un festival européen de théâtre, fondé en 2001, sous l’égide de la Région et de la ville de Turin, et dirigé par le metteur en scène et directeur du Teatro stabile Astra, Beppe Navello.   » Théâtre à la cour », car il se déroule principalement dans des châteaux et jardins seigneuriaux…
Ce festival est  surtout ouvert aux nouvelles tendances des arts de la scène, mêlant les gestes aux paroles, mariant danse, théâtre de rue et cirque… Donc aucune priorité au texte… C’est en fait le plus souvent la tension entre passé et  présent qui constitue l’originalité de cette démarche.
Le Théâtre du Blog suit depuis plusieurs années ce festival (voir nos précédents articles) qui propose aux spectateurs une découverte de sites classiques, en y présentant des formes contemporaines. Avec,  chaque année, un focus sur un pays.
En 2014, durant trois week-ends, à cheval sur juillet et août, les pays nordiques, en particulier la Finlande (dont le théâtre est peu connu en France), sont à l’honneur. D’un château l’autre, nous  sommes allés explorer de multiples formes mais  aussi mettre à profit les matinées pour visiter des lieux marquants de Turin, dont le fabuleux musée du cinéma installé dans un curieux édifice d’inspiration orientaliste, bâti au XlX ème siècle pour être une synagogue…
Le  septième art bénéficie ici  d’un cadre original aménagé avec imagination et un rien de pédagogie ludique, avec une large collection de machines et objets, depuis l’archéologie du cinéma,  avec des boîtes optiques, lanternes magiques et kinétoscope!

 

Scarti(Déchets) mise en scène de Bobo Negroni

Sur la  scène du Teatro Astra, envahie de journaux, les comédiens s’amusent à confectionner et manipuler des petits bateaux ou des avions en papier. Cette ambiance ludique persiste tout au long du spectacle, conçu à l’origine pour la rue, où garçons et filles, s’interpellent sur la question des déchets que nous produisons, et la menace qu’ils constituent.
Cette toute jeune troupe italienne, Onda Teatro T.urbano, a le sens de l’espace, de la chorégraphie et malgré quelques ruptures du rythme entre monologues, duos et répons choraux, elle utilise au mieux les possibilités plastiques et scénographiques de l’unique matériau fourni par les journaux.
Le spectacle s’est  donc joué  ici,  à cause de la météo. Aussi, fallait-il le remettre dans son contexte et imaginer les réactions du public aux adresses directes qu’il reçoit. Un spectacle fragile mais une compagnie en devenir.

Deep chorégraphie d’Alpo Aaltokoski

Alpo Aaltokoski évolue avec la souplesse d’un félin pris au piège des projecteurs. Dans ce solo, il explore les similitudes entre le corps animal et celui de l’homme, sautant, rampant, rugissant en silence, jouant des omoplates de manière fascinante, se dissimulant dans l’ombre puis resurgissant dans une découpe géométrique de lumière. Il faut saluer les éclairages de Kalle Paasonen, qui structurent la scène en paysage.
La vidéo projetée après l’étonnante prestation du danseur finlandais a été tournée en 2000, au moment de la création du spectacle ; elle souligne et illustre inutilement une démarche artistique  déjà assez forte  pour se passer de cet épilogue redondant. ..
On peut comprendre que, danser en présence des images de son corps, après quelque quinze puis vingt ans ou plus, représente une gageure physique, mais était-ce bien nécessaire ?
La vidéo, avec un habile montage qui décompose les mouvements du danseur et ceux de différentes espèces animales, ne soutient cependant pas la comparaison avec la danse vivante.

Together chorégraphie Alpo Aaltokoski

Ils se cherchent, s’évitent, se trouvent, se quittent puis se retrouvent, jouant à cache-cache dans l’espace découpé géométriquement par les éclairages de Matt Jykylä. La solitude de chacun est, par moments, rompue par des corps-à-corps à la fois puissants et tendres. Les deux hommes s’affrontent, se confrontent, se reconnaissent dans des pas-de-deux non dénués de lyrisme. Ils glissent, plus qu’ils ne dansent, d’une découpe lumineuse à l’autre,  dans un chassé-croisé toujours recommencé.
On retrouve, dans ce duo, toute la finesse et l’exigence technique du chorégraphe finlandais, ménageant des gros plans sur certaines parties des corps dansants, comme sur ce slip rouge, soudaine tache de couleur dans le noir et blanc ambiant, et qui souligne une nudité qu’on ne verra pas.
On aimerait découvrir d’autres spectacles de cet artiste finlandais, mais il faudrait aller à Helsinki ou à Pyhtää, où il se produit  en août.

Pinta(Surface)  mise en scène de Ville Walo,  conception et jeu Salla Hakanpää /

Salla Hakanpää est une jeune circassienne finlandaise, qui se produit pour la première fois seule, face à une corde suspendue aux cintres qui oscille, tel un serpent, et qu’elle va tenter d’apprivoiser. Elle y grimpe, s’y enroule, s’y balance.
Bientôt, l’espace de jeu, insidieusement envahi par l’eau, reflète les mouvements sinueux, les atterrissages et glissades au sol de l’acrobate qui évolue au milieu d’éclaboussures lumineuses. La présence de l’eau et les effets flatteurs des reflets lumineux compensent un côté un peu en force de la performance. Si elle ne manque pas de poigne, l’artiste a en effet du mal à imposer une certaine légèreté.

 

La monumentale Venaria Reale, résidence de chasse des ducs de Savoie, située à quelques kilomètres de Turin, a subi les outrages de l’Histoire mais  a été restaurée dans les style baroque du XVlle siècle. Devenue musée et lieu d’expositions temporaires, elle témoigne de la magnificence, de la mégalomanie et du luxe tapageur des grands de l’époque. Ses jardins sont tout aussi imposants, avec leur perspective s’étirant à l’infini vers l’horizon montagneux.

Boia (Bourreau) de et avec Fiorenza Menni

Des graffitis recueillis sur les murs des villes, des slogans relevés ça et là ou entendus dans des manifestations, des phrases du Voyage au bout de la nuit de Céline, constituent, entre autres, le matériau de ce spectacle. Mis bout à bout, ils forment un long poème/coup de poing, proféré par trois actrices et un acteur, en italien et en anglais, soutenu par les basses d’un synthétiseur et ponctué par les accents heurtés d’une batterie. De revendications politiques, en déclarations d’amour, de mots enragés en mots doux ou obscènes, la performance convainc par la rigueur de sa rythmique, par le montage où alternent colère, humour et poésie.
Fondé sur les sons, les mots et  les voix, le spectacle  paraît un peu statique mais Fiorenza Menni et Andrea Mochi Sismondi, directeurs artistiques du collectif italien Ateliersi, revendiquent le fait de ne pas mettre en images les graffitis. Déjà tracés, ils n’ont plus qu’à se faire entendre…
Donné en pleine nature, dans les jardins de la Vénerie royale, ce concert-performance s’inscrit comme un grand graffiti imaginaire sur les murs du palais, comme l’incursion d’un paysage urbain violent dans un  cadre champêtre et classieux. Un contraste réjouissant.

Lazurd, viaje a travves del agua (Lazare, voyage à travers l’eau) mise en scène d’Ines Baza.

Dépenaillés, encombrés de chaises de sacs et de valises, ils font une entrée timide, s’insinuent discrètement dans l’univers cossu d’une blonde platinée qui se prélasse sur un fauteuil au milieu du plateau. Petit à petit, telle une longue file migratoire, les quatre voyageurs vont prendre possession de l’espace et en chasser la belle.
Rejoints par une cinquième protagoniste (en fait la blonde devenue brune entre temps), ils dansent joyeusement sur des musiques tsiganes, juives, arméniennes ou arabo-andalouses, celles des peuples oubliés. L’eau coule à flot dans une grande piscine circulaire, et les voici bientôt évoluant dans ce bain, se livrant à toutes sortes de rituels, amoureux, religieux…
Entre danse, théâtre, jeux de clowns, les cinq interprètes espagnols de Cie Senza Tempo déploient une belle énergie un peu désordonnée, qui a du mal à faire sens.

L’étonnant château Rivoli  fut le siège de la cour de Savoie au Xllle siècle, et sa grandiose rénovation, commanditée au XVllle siècle par Victor Amédée ll, ne fut jamais menée à terme. L’architecte Andrea Bruno, qui l’a restauré en 1980, a gardé le caractère inachevé de l’édifice et a conservé toutes les couches de son histoire. En juxtaposant de grandes baies vitrées et les façades en briques, il produit une collision entre passé et futur qui sied bien  à la vocation de ce musée art contemporain qu’est devenu le château de Rivoli.
Les grandes salles du château, qui accueillent des œuvres créées in situ par des artistes en résidence, se prêtent aussi aux projections de films de danse proposées par Teatro a Corte. Parmi elles,  on retiendra surtout :

The Rain, de  Pontus Lidberg

Il pleut dans les rues, dans les parcs, dans les appartements, dans le bars, sans discontinuer. Les danseurs sont mouillés, leur peau ruisselle. Ils dansent. Des couples se forment, les corps se cherchent, un homme et une femme de bar en bar, deux hommes dans leur salon, deux adolescents, pour leur première nuit d’amour à l’hôtel.
La caméra du chorégraphe suédois saisit en gros, moyens ou larges plans ,  les protagonistes,  qui dansent en solos ou duos, dans la poursuite, l’étreinte et  l’émoi. La pluie crée un ambiance feutrée, intime, érotique ; et agit comme un écran qui se superposerait  à celui de la projection.
Le rythme du film s’accélère grâce à un montage de plus en plus serré, avec quelques fondus enchaînés. Quelque chose de poignant se passe alors , sous cette pluie constante qui contamine l’image, d’une grande finesse.
On aimerait voir d’autres films de Pontus Lidberg et surtout ses chorégraphies pour la scène, bien sûr moins accessibles que des vidéos.

Image de prévisualisation YouTube

Muualla (Ailleurs) chorégraphie et jeu d’Iliona Jäntti, animation de Tuula Jeker

Aérienne, l’acrobate et chorégraphe finlandaise Iliona Jäntti peut vraiment revendiquer ce qualificatif. Il suffit de la voir évoluer, en noir devant un écran blanc qui, peu à peu, se zèbre de lignes et de courbes géométriques.
Lancée à la poursuite d’une sorte de « Pacman » rouge, elle virevolte, se hisse et se balance sur une corde, au gré des projections vidéo qui semblent naître de ses mouvements. L’interaction parfaite entre les arabesques de sa danse acrobatique et les images virtuelles générées sur le mur donne l’illusion que son corps évolue dans un paysage animé et coloré en perpétuelle mutation. Du bel ouvrage, élégant, poétique, fascinant.

Pour en savoir plus sur cette artiste : www.ilmatila.com

Silence encombrant  mise en scène de Barthélémy Bompard

Il y a, à la périphérie de nos villes, des décharges publiques, comme il y a, à la marge de nos sociétés, des  laissés pour compte, oubliés, voués à la déréliction. Les voici rassemblés par la compagnie Kumulus, dans une grande  benne de chantier, installée sur un parking, derrière le château de Rivoli.
Hommes et femmes en haillons, la peau couleur de poussière et de vert de gris,  le corps déformé par d’invisibles prothèses en latex, coiffés de pauvres chapeaux déjà usagés ,  émergent des immondices. Ils traînent leurs carcasses rouillées, avec la lenteur de leurs membres fatigués, tout en extirpant de la décharge un bric-à-brac d’objets usagés : cage à oiseaux, vieux bidons et gamelles, escabeaux, tuyaux en tous genres, fils de fer, lits défoncés et armoires déglinguées. Des jouets aussi : poupée qui parle, crécelle, clochette, tricycle d’enfant… Et des monceaux de bouteilles  en plastique…
La liste est longue comme le temps que les huit comédiens mettent à disposer inlassablement tous ces détritus devant les spectateurs que la poussière éclabousse, que la saleté repousse loin de l’aire de jeu, mais qui n’en demeurent pas moins fascinés. Les éboueurs fantomatiques, obéissant à une savante chorégraphie, procèdent à une installation méthodique, presque rituelle de leurs trouvailles, dans un déballage bruyant qui constitue la bande-son du spectacle qui est savamment orchestrée par Jean-Pierre Charon : aux grincements d’une roue de brouette, répondent une scie ou une crécelle; des bruits récurrents sont ponctués de fracas assourdissants ou de crissements de ferrailles traînées. Des plages de silence s’étirent quand les acteurs s’immobilisent brusquement, avant de reprendre leur activité de plus belle, jusqu’à venir à bout du tas d’immondices devant le public tour à tour amusé, puis médusé, ému, et qui a tout loisir, pendant ce lent ballet muet, de se construire une  histoire,  à partir des objets et des gestes des protagonistes.
La métaphore est claire : ici, on voit et  entend ceux qu’on passe sous silence, ceux qui nous encombrent, confondus avec les déchets qu’ils manipulent. Barthélémy Bompard écrit : « Le capitalisme écrase tout ce qui ne marche pas à son rythme, élimine les fragiles, les inutiles. (…) S’ouvrent ainsi des mondes parallèles, des mondes minuscules, des mondes sans cesse déplacés au gré des bennes et des ramassages. » On portera dès lors un tout autre regard sur ces mondes et leurs cris silencieux. Le coup de poing asséné par c le spectacle est d’autant plus fort que le contraste entre ces oubliés et la richesse ostentatoires des châteaux turinois joue ici à plein.

Image de prévisualisation YouTube

C’est donc par un geste artistique fort, à la fois poétique et politique,  que se termine ce deuxième week-end du festival, qui proposait des formes théâtrales innovantes et variées mais pour certaines, encore un peu fragiles. Il faut aussi souligner la forte présence de l’eau comme élément plastique et/ou dramaturgique. Cela est-il dû au hasard ….

Mireille Davidovici

Teatro a Corte programme du 25 au 27 juillet 2014. Le prochain programme  aura lieu  du 1er au 3 août.
En 2015 Teatro a Corte proposera un focus sur le théâtre allemand. Pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de voir le travail de Kumulus, Silence encombrant se jouera le 4 octobre à Carcassonne (ATP de l’Aude) et les 17-18 octobre à Portes-lès-Valence (26) au Train théâtre. Pour ses autres pièces : www.kumulus.fr


Archive pour 31 juillet, 2014

Festival Teatro a Corte 2014, Turin

Festival Teatro a Corte 2014 de Turin.

Turin, ancienne capitale du royaume de Savoie, offre aux visiteurs une « couronne de palais », anciennes résidences royales et seigneuriales autour de la ville. Un ensemble de bâtiments gigantesques,  du XVll e ou XVlll e baroque, édifiés sur les collines ou au bord du Pô. Ces lieux de villégiatures aujourd’hui restaurés, sont  ouverts au public, et la Région de Piémont met en valeur ce patrimoine en le dédiant à la culture.
Ainsi est née l’idée d’un festival européen de théâtre, fondé en 2001, sous l’égide de la Région et de la ville de Turin, et dirigé par le metteur en scène et directeur du Teatro stabile Astra, Beppe Navello.   » Théâtre à la cour », car il se déroule principalement dans des châteaux et jardins seigneuriaux…
Ce festival est  surtout ouvert aux nouvelles tendances des arts de la scène, mêlant les gestes aux paroles, mariant danse, théâtre de rue et cirque… Donc aucune priorité au texte… C’est en fait le plus souvent la tension entre passé et  présent qui constitue l’originalité de cette démarche.
Le Théâtre du Blog suit depuis plusieurs années ce festival (voir nos précédents articles) qui propose aux spectateurs une découverte de sites classiques, en y présentant des formes contemporaines. Avec,  chaque année, un focus sur un pays.
En 2014, durant trois week-ends, à cheval sur juillet et août, les pays nordiques, en particulier la Finlande (dont le théâtre est peu connu en France), sont à l’honneur. D’un château l’autre, nous  sommes allés explorer de multiples formes mais  aussi mettre à profit les matinées pour visiter des lieux marquants de Turin, dont le fabuleux musée du cinéma installé dans un curieux édifice d’inspiration orientaliste, bâti au XlX ème siècle pour être une synagogue…
Le  septième art bénéficie ici  d’un cadre original aménagé avec imagination et un rien de pédagogie ludique, avec une large collection de machines et objets, depuis l’archéologie du cinéma,  avec des boîtes optiques, lanternes magiques et kinétoscope!

 

Scarti(Déchets) mise en scène de Bobo Negroni

Sur la  scène du Teatro Astra, envahie de journaux, les comédiens s’amusent à confectionner et manipuler des petits bateaux ou des avions en papier. Cette ambiance ludique persiste tout au long du spectacle, conçu à l’origine pour la rue, où garçons et filles, s’interpellent sur la question des déchets que nous produisons, et la menace qu’ils constituent.
Cette toute jeune troupe italienne, Onda Teatro T.urbano, a le sens de l’espace, de la chorégraphie et malgré quelques ruptures du rythme entre monologues, duos et répons choraux, elle utilise au mieux les possibilités plastiques et scénographiques de l’unique matériau fourni par les journaux.
Le spectacle s’est  donc joué  ici,  à cause de la météo. Aussi, fallait-il le remettre dans son contexte et imaginer les réactions du public aux adresses directes qu’il reçoit. Un spectacle fragile mais une compagnie en devenir.

Deep chorégraphie d’Alpo Aaltokoski

Alpo Aaltokoski évolue avec la souplesse d’un félin pris au piège des projecteurs. Dans ce solo, il explore les similitudes entre le corps animal et celui de l’homme, sautant, rampant, rugissant en silence, jouant des omoplates de manière fascinante, se dissimulant dans l’ombre puis resurgissant dans une découpe géométrique de lumière. Il faut saluer les éclairages de Kalle Paasonen, qui structurent la scène en paysage.
La vidéo projetée après l’étonnante prestation du danseur finlandais a été tournée en 2000, au moment de la création du spectacle ; elle souligne et illustre inutilement une démarche artistique  déjà assez forte  pour se passer de cet épilogue redondant. ..
On peut comprendre que, danser en présence des images de son corps, après quelque quinze puis vingt ans ou plus, représente une gageure physique, mais était-ce bien nécessaire ?
La vidéo, avec un habile montage qui décompose les mouvements du danseur et ceux de différentes espèces animales, ne soutient cependant pas la comparaison avec la danse vivante.

Together chorégraphie Alpo Aaltokoski

Ils se cherchent, s’évitent, se trouvent, se quittent puis se retrouvent, jouant à cache-cache dans l’espace découpé géométriquement par les éclairages de Matt Jykylä. La solitude de chacun est, par moments, rompue par des corps-à-corps à la fois puissants et tendres. Les deux hommes s’affrontent, se confrontent, se reconnaissent dans des pas-de-deux non dénués de lyrisme. Ils glissent, plus qu’ils ne dansent, d’une découpe lumineuse à l’autre,  dans un chassé-croisé toujours recommencé.
On retrouve, dans ce duo, toute la finesse et l’exigence technique du chorégraphe finlandais, ménageant des gros plans sur certaines parties des corps dansants, comme sur ce slip rouge, soudaine tache de couleur dans le noir et blanc ambiant, et qui souligne une nudité qu’on ne verra pas.
On aimerait découvrir d’autres spectacles de cet artiste finlandais, mais il faudrait aller à Helsinki ou à Pyhtää, où il se produit  en août.

Pinta(Surface)  mise en scène de Ville Walo,  conception et jeu Salla Hakanpää /

Salla Hakanpää est une jeune circassienne finlandaise, qui se produit pour la première fois seule, face à une corde suspendue aux cintres qui oscille, tel un serpent, et qu’elle va tenter d’apprivoiser. Elle y grimpe, s’y enroule, s’y balance.
Bientôt, l’espace de jeu, insidieusement envahi par l’eau, reflète les mouvements sinueux, les atterrissages et glissades au sol de l’acrobate qui évolue au milieu d’éclaboussures lumineuses. La présence de l’eau et les effets flatteurs des reflets lumineux compensent un côté un peu en force de la performance. Si elle ne manque pas de poigne, l’artiste a en effet du mal à imposer une certaine légèreté.

 

La monumentale Venaria Reale, résidence de chasse des ducs de Savoie, située à quelques kilomètres de Turin, a subi les outrages de l’Histoire mais  a été restaurée dans les style baroque du XVlle siècle. Devenue musée et lieu d’expositions temporaires, elle témoigne de la magnificence, de la mégalomanie et du luxe tapageur des grands de l’époque. Ses jardins sont tout aussi imposants, avec leur perspective s’étirant à l’infini vers l’horizon montagneux.

Boia (Bourreau) de et avec Fiorenza Menni

Des graffitis recueillis sur les murs des villes, des slogans relevés ça et là ou entendus dans des manifestations, des phrases du Voyage au bout de la nuit de Céline, constituent, entre autres, le matériau de ce spectacle. Mis bout à bout, ils forment un long poème/coup de poing, proféré par trois actrices et un acteur, en italien et en anglais, soutenu par les basses d’un synthétiseur et ponctué par les accents heurtés d’une batterie. De revendications politiques, en déclarations d’amour, de mots enragés en mots doux ou obscènes, la performance convainc par la rigueur de sa rythmique, par le montage où alternent colère, humour et poésie.
Fondé sur les sons, les mots et  les voix, le spectacle  paraît un peu statique mais Fiorenza Menni et Andrea Mochi Sismondi, directeurs artistiques du collectif italien Ateliersi, revendiquent le fait de ne pas mettre en images les graffitis. Déjà tracés, ils n’ont plus qu’à se faire entendre…
Donné en pleine nature, dans les jardins de la Vénerie royale, ce concert-performance s’inscrit comme un grand graffiti imaginaire sur les murs du palais, comme l’incursion d’un paysage urbain violent dans un  cadre champêtre et classieux. Un contraste réjouissant.

Lazurd, viaje a travves del agua (Lazare, voyage à travers l’eau) mise en scène d’Ines Baza.

Dépenaillés, encombrés de chaises de sacs et de valises, ils font une entrée timide, s’insinuent discrètement dans l’univers cossu d’une blonde platinée qui se prélasse sur un fauteuil au milieu du plateau. Petit à petit, telle une longue file migratoire, les quatre voyageurs vont prendre possession de l’espace et en chasser la belle.
Rejoints par une cinquième protagoniste (en fait la blonde devenue brune entre temps), ils dansent joyeusement sur des musiques tsiganes, juives, arméniennes ou arabo-andalouses, celles des peuples oubliés. L’eau coule à flot dans une grande piscine circulaire, et les voici bientôt évoluant dans ce bain, se livrant à toutes sortes de rituels, amoureux, religieux…
Entre danse, théâtre, jeux de clowns, les cinq interprètes espagnols de Cie Senza Tempo déploient une belle énergie un peu désordonnée, qui a du mal à faire sens.

L’étonnant château Rivoli  fut le siège de la cour de Savoie au Xllle siècle, et sa grandiose rénovation, commanditée au XVllle siècle par Victor Amédée ll, ne fut jamais menée à terme. L’architecte Andrea Bruno, qui l’a restauré en 1980, a gardé le caractère inachevé de l’édifice et a conservé toutes les couches de son histoire. En juxtaposant de grandes baies vitrées et les façades en briques, il produit une collision entre passé et futur qui sied bien  à la vocation de ce musée art contemporain qu’est devenu le château de Rivoli.
Les grandes salles du château, qui accueillent des œuvres créées in situ par des artistes en résidence, se prêtent aussi aux projections de films de danse proposées par Teatro a Corte. Parmi elles,  on retiendra surtout :

The Rain, de  Pontus Lidberg

Il pleut dans les rues, dans les parcs, dans les appartements, dans le bars, sans discontinuer. Les danseurs sont mouillés, leur peau ruisselle. Ils dansent. Des couples se forment, les corps se cherchent, un homme et une femme de bar en bar, deux hommes dans leur salon, deux adolescents, pour leur première nuit d’amour à l’hôtel.
La caméra du chorégraphe suédois saisit en gros, moyens ou larges plans ,  les protagonistes,  qui dansent en solos ou duos, dans la poursuite, l’étreinte et  l’émoi. La pluie crée un ambiance feutrée, intime, érotique ; et agit comme un écran qui se superposerait  à celui de la projection.
Le rythme du film s’accélère grâce à un montage de plus en plus serré, avec quelques fondus enchaînés. Quelque chose de poignant se passe alors , sous cette pluie constante qui contamine l’image, d’une grande finesse.
On aimerait voir d’autres films de Pontus Lidberg et surtout ses chorégraphies pour la scène, bien sûr moins accessibles que des vidéos.

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Muualla (Ailleurs) chorégraphie et jeu d’Iliona Jäntti, animation de Tuula Jeker

Aérienne, l’acrobate et chorégraphe finlandaise Iliona Jäntti peut vraiment revendiquer ce qualificatif. Il suffit de la voir évoluer, en noir devant un écran blanc qui, peu à peu, se zèbre de lignes et de courbes géométriques.
Lancée à la poursuite d’une sorte de « Pacman » rouge, elle virevolte, se hisse et se balance sur une corde, au gré des projections vidéo qui semblent naître de ses mouvements. L’interaction parfaite entre les arabesques de sa danse acrobatique et les images virtuelles générées sur le mur donne l’illusion que son corps évolue dans un paysage animé et coloré en perpétuelle mutation. Du bel ouvrage, élégant, poétique, fascinant.

Pour en savoir plus sur cette artiste : www.ilmatila.com

Silence encombrant  mise en scène de Barthélémy Bompard

Il y a, à la périphérie de nos villes, des décharges publiques, comme il y a, à la marge de nos sociétés, des  laissés pour compte, oubliés, voués à la déréliction. Les voici rassemblés par la compagnie Kumulus, dans une grande  benne de chantier, installée sur un parking, derrière le château de Rivoli.
Hommes et femmes en haillons, la peau couleur de poussière et de vert de gris,  le corps déformé par d’invisibles prothèses en latex, coiffés de pauvres chapeaux déjà usagés ,  émergent des immondices. Ils traînent leurs carcasses rouillées, avec la lenteur de leurs membres fatigués, tout en extirpant de la décharge un bric-à-brac d’objets usagés : cage à oiseaux, vieux bidons et gamelles, escabeaux, tuyaux en tous genres, fils de fer, lits défoncés et armoires déglinguées. Des jouets aussi : poupée qui parle, crécelle, clochette, tricycle d’enfant… Et des monceaux de bouteilles  en plastique…
La liste est longue comme le temps que les huit comédiens mettent à disposer inlassablement tous ces détritus devant les spectateurs que la poussière éclabousse, que la saleté repousse loin de l’aire de jeu, mais qui n’en demeurent pas moins fascinés. Les éboueurs fantomatiques, obéissant à une savante chorégraphie, procèdent à une installation méthodique, presque rituelle de leurs trouvailles, dans un déballage bruyant qui constitue la bande-son du spectacle qui est savamment orchestrée par Jean-Pierre Charon : aux grincements d’une roue de brouette, répondent une scie ou une crécelle; des bruits récurrents sont ponctués de fracas assourdissants ou de crissements de ferrailles traînées. Des plages de silence s’étirent quand les acteurs s’immobilisent brusquement, avant de reprendre leur activité de plus belle, jusqu’à venir à bout du tas d’immondices devant le public tour à tour amusé, puis médusé, ému, et qui a tout loisir, pendant ce lent ballet muet, de se construire une  histoire,  à partir des objets et des gestes des protagonistes.
La métaphore est claire : ici, on voit et  entend ceux qu’on passe sous silence, ceux qui nous encombrent, confondus avec les déchets qu’ils manipulent. Barthélémy Bompard écrit : « Le capitalisme écrase tout ce qui ne marche pas à son rythme, élimine les fragiles, les inutiles. (…) S’ouvrent ainsi des mondes parallèles, des mondes minuscules, des mondes sans cesse déplacés au gré des bennes et des ramassages. » On portera dès lors un tout autre regard sur ces mondes et leurs cris silencieux. Le coup de poing asséné par c le spectacle est d’autant plus fort que le contraste entre ces oubliés et la richesse ostentatoires des châteaux turinois joue ici à plein.

Image de prévisualisation YouTube

C’est donc par un geste artistique fort, à la fois poétique et politique,  que se termine ce deuxième week-end du festival, qui proposait des formes théâtrales innovantes et variées mais pour certaines, encore un peu fragiles. Il faut aussi souligner la forte présence de l’eau comme élément plastique et/ou dramaturgique. Cela est-il dû au hasard ….

Mireille Davidovici

Teatro a Corte programme du 25 au 27 juillet 2014. Le prochain programme  aura lieu  du 1er au 3 août.
En 2015 Teatro a Corte proposera un focus sur le théâtre allemand. Pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de voir le travail de Kumulus, Silence encombrant se jouera le 4 octobre à Carcassonne (ATP de l’Aude) et les 17-18 octobre à Portes-lès-Valence (26) au Train théâtre. Pour ses autres pièces : www.kumulus.fr

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