Hagati Yacu
Festival d’Aurillac
Hagati Yacu
Dalila Boitaud-Mazaudier et Cécile Marical ont travaillé longuement, avec l’écrivain Boubacar Boris Diop à l’écriture et à la conception artistique de Hagati Yacu (« Entre nous », en kinyarwanda). Un regard à la fois précis et indigné sur le génocide des Tutsi par les Hutu en avril 94. Elles en ont fait un spectacle conçu pour un espace public en trois épisodes.
Quand on a pas pu voir le premier, on commence par le second dont le thème est: que faisiez-vous en avril 94 ? Le Rwanda était loin des esprits : « Moi, je regardais le foot. Moi, je n’étais pas née, il faisait beau… » A l’autre question posée : qu’est-ce qu’un voisin ? Quelqu’un répond: « Un proche qui peut devenir le plus proche ennemi ».
Ces voix enregistrées disent mieux que tout, la stupeur dans laquelle est tombée la nouvelle du massacre : cette inhumanité est si loin de notre humanité banale, l’écart entre ce que nous croyons être un homme, et ce que sont les hommes.
La mise en scène associe à ces paroles fortes l’excitation attisée par la radio : tuez les tous, méthodiquement. Mais le spectacle est gâché par une mise en scène qui n’est ni à la hauteur des mots ni des faits.
On comprend l’utilisation des palettes, sur scène et pour asseoir le public qui est, du coup, en partie mêlé à l’action : elles peuvent représenter le nombre, l’efficacité industrielle du massacre. Et pourtant l’image est pauvre, à côté de ce qui est dit. Mimer la peur, la mort, la terreur de l’emprisonnement, faire vaguement jouer au public le rôle de prisonniers, est voué à l’échec.
On nous dira sans doute qu’il fallait voir la premier épisode pour apprécier le suivant : on peut attendre aussi que chacune ait son autonomie artistique et son sens propre.
Le troisième épisode fonctionne de façon beaucoup plus convaincante et –qui ne se contredit jamais ?– bénéficie de la mémoire du second.
Dans un gymnase, des grandes bandes de toile blanche sont déployées qui porteront la trace des corps massacrés. Enduits de sang rouge, de sang noir, plâtrés et blanc, les acteurs perdent toute identité, alors que justement la question de l’identité est au centre du génocide : quel est ton nom ?
La transposition plastique répond avec force aux témoignages donnés par les comédiens qui encadrent la scène et le public. Parler de ces horreurs, en empêcher l’oubli : les auteurs et les interprètes sont devenus des militants de la mémoire du Rwanda, avec le soutien des associations qui luttent pour cette cause, et pour une vigilance humaniste « Plus jamais ça » : c’est sans doute le rôle du théâtre dans l’espace public. C’est aussi le rôle de l’artiste d’être à la hauteur de son sujet. Et là, elle est vertigineuse…
Christine Friedel
Spectacle joué du 20 au 23 août.