Discours à la nation
Festival d’Aurillac
Discours à la nation d’Ascanio Celestini et David Murgia, texte et mise en scène d’Ascanio Celestini
C’est probablement le meilleur spectacle de l’édition 2014 de ce festival International de théâtre de rue comme intitulé dans la plaquette, et qui se déroule… dans la belle petite salle du Théâtre d’Aurillac. Ascanio Celestini est un auteur peu connu en France mais dont les textes de ses spectacles sont régulièrement édités, et joués en Belgique. Avec un prédilection pour ce qu’on appelle le théâtre-récit, soit un théâtre où le personnage principal est aussi une sorte de conteur et où s’est illustré avec bonheur le grand Dario Fô, avec Mistero Buffo, en 1969 qui a aussi été joué au Festival d’Avignon ; Mort accidentelle d’un anarchiste, en 1970, et Faut pas payer, en 1974.
Pièces anticonformistes, et très engagées au plan politique et social que le réactionnair e pape Paul VI n’apprécie pas du tout et pour lui, ce Mistero Buffo offense « les sentiments religieux des Italiens ». En 1973, Franca Rame sa comédienne et épouse reçoivent de nombreuses menaces, et elle sera torturée et violée par des néofascistes.
Ils écriront en collaboration Récits de femmes et autres histoires, des monologues inspirés par la lutte des Italiennes pour le droit au divorce et la légalisation de l’avortement.
C’est dans cette même veine que se situent des auteurs comme Marco Paolini, David Enia ou Ascanio Celestini dont en France, Charles Tordjman avait monté La Fabbrica, et Olivier Favier a traduit plusieurs de ses textes. (voir les numéros 12,13, 15 et 16 de la revue Frictions). Ascanio Celestini est tout aussi engagé sur le plan politique et social que pouvait l’être Dario Fo à son époque
Sur scène, une scénographie sommaire faites de casiers à bouteilles en bois et d’éclairages surtout composés de baladeuses accrochées un peu partout, et l’acteur belge David Murgia que l’on connaît en France pour avoir joué dans les mises en scène assez passionnantes de son frère Fabrice Murgia (voir Le Théâtre du Blog).
David Murgia est seul en scène, accompagné parfois par Carmelo Prestigiacomo, et s’en prend avec bonheur aux conflits permanent entre dominés et dominants. Ascanio est très malin et donne la parole aux dominants. Qu’ils soient issus du sérail politique ou chefs d’entreprise. Et c’est un véritable feu d’artifice, sans aucune concession, comique mais à la férocité exemplaire, d’un cynisme absolu, pas loin parfois de Swift! Aucun doute, David Murgia est un excellent acteur et sait donner sens et force à la parole de Celestini…
Les mots claquent, durs, et parfois féroces et on se demande même comment les représentant des syndicats peuvent être aussi dociles, aussi démissionnaires. : « Je suis angoissé.Pourquoi suis-je angoissé ? À cause de l’avenir de mon fils ?À cause du gouvernement et de sa dérive autoritaire ?À cause des guerres et de la pauvreté et de la pollution ? Ai-je une alternative ? Un autre monde est-il possible ? Ai-je mis le doigt sur la coupure de la tronçonneuse existentielle ? Puis-je enfin aller chez le médecin et lui dire «Le mal est là. Mettez-moi un pansement, de la gaze, un plâtre» ? J’envie les camarades. Les maquisards de l’ancien temps qui pendent Mussolini par les pieds sur le Piazzale Loreto, qui le détestent et continuent à lui tirer des coups de feu dans la tête quand il est déjà mort ».
Ascanio Celestini tire à bout portant et c’est un véritable feu d’artifice et d’une férocité exemplaire. Un seul petit reproche: David Murgia parle parfois trop vite et on a parfois du mal à comprendre ce règlement de comptes exemplaire auquel se livre Ascanio Celestini mais, qu’importe finalement ce Discours à la nation est un spectacle d’une rigueur exemplaire, dur, impitoyable, dans la lignée de Dario Fo, et qui fait du bien.
Si vous croisez ce spectacle sur votre chemin théâtral, n’hésitez pas. Les spectateurs à Aurillac lui ont fait un accueil triomphal, et c’est justice…
Philippe du Vignal
Spectacle joué du 21 au 23 août.