Vingt ans de mousson d’été
Les vingt printemps de La Mousson d’été !
Depuis vingt ans déjà, l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson accueille à la fin août, La Mousson d’été. Fondée en 1995 par Michel Didym, comédien, metteur en scène, et actuel directeur du Centre dramatique national de Nancy, elle met à l’honneur les lectures de textes dramatiques contemporains et quelques spectacles. Mais c’est avant tout par la lecture et donc l’écoute, que résident l’exigence et l’objectif de cette manifestation théâtrale.
Au fil des étés, il y a eu une diversité d’auteurs de plus en plus grande, venant de différents pays d’Europe et d’autres continents : Philippe Minyana, Patrick Kermann, Bernard-Marie Koltès, Ghérasim Luca, Rémi de Vos, Xavier Durringer, Armando Llamas, Werner Schwab, Aziz Chouaki, Mahmoud Darwich, Hanoch Levin, Karin Serres, Saadallah Wannous, Giusseppe Manfridi, Nathalie Fillion, Christophe Pellet….
Promotion et découverte des écritures actuelles: La Mousson d’été a ainsi révélé, au public amoureux de l’écriture poétique et dramatique, de nombreux écrivains, magnifiques et novateurs, de cette fin du 20ème siècle et du début du 21ème siècle. Sans oublier les acteurs, metteurs en scène, musiciens, traducteurs, et universitaires qui participent à cette manifestation…Comme en témoigne La Mousson d’été 1995-2014. Vingt ans d’écritures contemporaines de Maïa Bouteillet publié aux Solitaires intempestifs, c’est une période importante et emblématique dans l’évolution esthétique et éthique du théâtre.
La Mousson d’été accueille aussi les ateliers de l’Université d’été européenne sous la direction de Jean-Pierre Ryngaert, assisté de Pauline Bouchet, animés par Mathieu Bertholet, Joseph Danan, Nathalie Fillion et Jean Pierre Ryngaert. Conférences et débats, ont aussi permis de réfléchir, en ce vingtième anniversaire, à la mutation du spectacle à l’ère des nouvelles technologies et de l’art numérique qui font partie désormais de la création dramatique. Ce qui perturbe sans doute ses codes esthétiques, une certaine pratique du théâtre et la réception des œuvres auprès du public comme des professionnels. La conférence, brillante et vivante de Michel Corvin, Par quel bout un lecteur peut-il prendre les textes du théâtre d’aujourd’hui ? en a été la savante et juste illustration.
Mais ces changements sont loin de faire peur à l’équipe de La Mousson d’été. « En vingt ans de Mousson, nous sommes passés par toutes les peurs, que nous avons tous ensemble travaillé à comprendre et à dépasser. Ce dépassement, nous voulons en faire le cœur de la recherche et de la découverte dans l’écriture dramatique et l’associer à notre avenir de Théâtre » dit Michel Didym.
La Mousson d’été 2014 a en effet invité les auteurs et le public à réfléchir sur cet étrange phénomène: la peur, et « les multiples facettes de ce sentiment irrationnel et irrésistible (…) La peur est en train de prendre une place de plus en plus importante dans notre vie. Elle envahit la politique, la vie quotidienne et la vie culturelle. » a dit aussi Michel Didym.
Sous ce signe, La Mousson d’été nous a proposé une riche variété de lectures, où ont pris place l’humour (parfois grinçant!), la cruauté, le désespoir. Et où a dominé une pensée sensible et prégnante de notre histoire socio-politique, loin des sentiers battus, toute en intelligence et délicatesse.
Nous n’avons pu goûter à toutes les mises en espace, comme celles notamment d’Extase et Quotidien. Un tableau moral de Rebekka Kricheldorf (Allemagne) dirigée par Frédéric Sonntag ou de Décalage vers le rouge de Yannis Mavritsakis (Grèce), dirigée par Véronique Bellegarde. On a pu voir aussi Vitrioli de cet auteur, mise en scène par Olivier Py au dernier festival d’Avignon.
Mousson d’été 2014 fort réussie, avec quelques lectures marquantes, surtout les deux derniers jours, comme La Revanche de Michele Santeramo (Italie), texte français de Frederica Martucci, dirigée par Laurent Vacher. Vincenzo, un agriculteur, suite à l’usage de pesticides, ne peut pas avoir d’enfants à moins de suivre un traitement très coûteux. Au même moment, on l’exproprie d’une terre où doit passer une ligne de train… S’ensuivent rencontres et situations tragi-comiques. C’est une belle évocation d’une « réalité contemporaine en Italie et ailleurs ».
La lecture de That moment de Nicoleta Esinencu (Moldavie), texte français d’Alexandra Lazarescou, a été dirigée par Véronique Bellegarde. La pièce est fondée sur un fait réel qui a eu lieu, de nos jours, en Moldavie : un père a coupé le doigt de son enfant, et a lui a volé l’argent de son porte-monnaie. Elle met en jeu diverses problèmes sociaux et politiques, le mensonge et « … de that moment quand tu es « adibas » et que tu rêves de devenir « adidas » » !
A noter également, la lecture de J’appelle mes frères de Jonas Hassen Khemiri (Suède), traduction de Marianne Segol-Samoy, dirigée par Michel Didym. Une voiture explose au centre de Stockholm, panique générale ! S’agit-il d’un acte terroriste ? Amor, jeune homme issu de l’immigration, arpente les rues en essayant de ne pas se faire remarquer… : « Quelle identité adopter quand tout le monde vous regarde d’un œil suspicieux et qu’on devient l’autre, à son corps défendant ? ».
Autre très belle mise en espace, avec une question sous forme de monologue: un prisonnier peut-il, de parloir en parloir, enfermer celle qui a l’art pour liberté ? la lecture dirigée par Daniel Martin de L’homme de longue peine de Jeanne Benameur (France) avec, seule en scène, Marie-Sophie Ferdane.
Le texte du pot de clôture,remarquablement lu par Florian Antoine, Le Brognet de Rémi de Vos, était tellement drôle! et quelque peu autobiographique… Il y eut aussi de magiques Impromptus de la nuit, nouvelles du monde, écrites en résidence à l’Abbaye des Prémontrés par Yannis Mavritsakis et Rémi de Vos. A noter aussi la voix et la présence émouvante d’Odja Liorca, au concert de fin de Mousson d’été.
Et toujours ce dernier soir, La Gazette contemporairement temporaire des Potes-à-Mousson par Christine Murillo et Philippe Fretun qui fut un grand moment de bonheur théâtral! Et un cadeau jubilatoire, émouvant, merveilleux d’esprit et de reconnaissance à Michel Didym, à sa Compagnie Boomerang, à Véronique Bellegarde et à toute l’équipe du festival! Comme pour dire rendez-vous l’année prochaine !
Elisabeth Naud