Trahisons de Pinter
Trahisons d’Harold Pinter, texte français d’Eric Kahane, mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia
Pinter est de nouveau présent au théâtre du Vieux-Colombier, après L’Anniversaire, réalisé par Claude Mouriéras en 2013 (voir Le Théâtre du blog). Trahisons est une pièce d’une forme unique dans son œuvre. Créée à Londres en 1978, elle clôt sa période intimiste, avant qu’il ne s’oriente vers un théâtre plus politique.
Harold Pinter utilise ici le fameux trio infernal: le mari, la femme et l’amant, qu’il situe dans un milieu d’intellos bourgeois : Elle, tient une galerie d’art; l’Amant, lui, est agent littéraire, et Le Mari, le meilleur ami de l’Amant, éditeur. Mais, fidèle à son « théâtre de la menace », Harold Pinter bouscule les règles du vaudeville et tisse entre les trois, des liens intimes et indéfectibles, quoi que chacun sache des vilenies des deux autres, mais, véritable coup de génie, inverse l’ordre chronologique de l’action.
C’est un jour du printemps 1977; les deux amants, tous deux mariés, se revoient, deux ans après leur rupture, dans un bar anonyme et froid à la Edward Hopper. Et ils vont revivre, à rebours, les épisodes-clefs des sept ans qu’a duré leur liaison: depuis leur rupture à l’hiver 1975 dans le petit studio qu’ils se sont loué dans la banlieue de Londres, jusqu’au coup de foudre initial en 1968.
Ici, pas d’intrigue à dénouer mais une révélation progressive des mensonges de chacun. Qui trompe qui? Qui sait quoi? D’épisode en épisode, dans une combinatoire subtile où alternent les scènes à deux (Femme/Amant, Mari/Amant, Femme/Mari), et les séquences à trois où la question devient vertigineuse, et où le doute nous prend sur la nature de tout lien amoureux ou amical.
Spectateur de ces trahisons plurielles, le public suit comme un feuilleton, cette succession de neuf courts tableaux situés dans des lieux divers et datés au titre précis: hiver 1978 au studio, automne 1974 chez l’Amant, été 1973 à Venise, etc…). Ces différents lieux et époques impliquent de nombreux changements de décor et costumes, qui prennent parfois du temps; le rythme est donc parfois un peu laborieux, malgré un dispositif astucieux de châssis coulissants.
Frédéric Bélier-Garcia, dont la mise en scène est élégante et précise, ne paraphrase pas l’écriture incisive et elliptique de Pinter, toute en creux et cela confère aux comédiens une grande latitude de jeu. Et, de par la dramaturgie et le registre qu’emprunte chacun, il y a quelque chose de musical dans ce trio. Denis Podalydès, le Mari, joue malicieusement d’une naïveté cynique; Léonie Simaga, Elle, féline et lumineuse, bouge avec grâce, mais Laurent Stocker, L’Amant, un peu pataud, est moins convaincant.
Comme les trois personnages connaissent (et nous la connaissons tous) l’issue de la pièce dès le début du spectacle, cela entretient une distance, et permet à cette suite de malentendus, somme toute cruels, de se développer avec humour, et de retrouver, bien qu’en demi-teinte, la dimension comique de tout vaudeville.
Bref, un bonne soirée en perspective ! On attend aussi avec impatience la version de Trahisons par le TGstan belge en juin prochain au Théâtre de la Bastille…
Mireille Davidovici
Théâtre du Vieux-Colombier 21 Rue du Vieux Colombier, 75006 Paris T.01 44 39 87 00 jusqu’au 26 octobre.