Collectif in Vitro Julie Deliquet
Festival d’Automne:
Collectif in vitro Julie Deliquet:
La Noce de Bertolt Brecht, Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce et Nous somme seuls maintenant, création collective, mises en scène de Julie Deliquet
La Noce, deuxième spectacle du collectif In vitro, a été créé en 2011 au Théâtre de Vanves qui est devenu en quelques années une véritable rampe de lancement pour jeunes compagnies comme on disait autrefois, ou pour collectifs comme on dit maintenant, et dont nous vous avions dit beaucoup de bien (voir Le Théâtre du Blog).
Réalisé avec toute l’énergie de la jeunesse, et grâce à une belle scénographie de Charlotte Maurel, faite avec des éléments de récupération, ce spectacle lui doit beaucoup, et s’est encore bonifié. La gestuelle et le jeu en général sont plus précis, les costumes ont été heureusement revus mais il reste quelques problèmes de diction: on entend souvent mal les comédiens qui ont tendance à bouler leur texte. Pas grave et cela reste tout à fait corrigible.
Cette fête de mariage ratée imaginée par Brecht, et remise au goût du jour, a été » l’occasion, dit Julie Deliquet, de choisir une écriture différente que celle de Jean-Luc Lagarce », et c’est à « une sorte de voyage généalogique » qu’elle nous convie: chacun des volets de ce triptyque est joué autour d’une table où les participants prennent prennent un repas. C’est en fait le dénominateur commun; merci qui? Merci Antoine Vitez qui, il y a presque quarante ans, avait imaginé ce dispositif pour Catherine d’après Les Cloches de Bâle d’Aragon. Et qui, depuis, a fait des petits…
Donc autour de cette table, on trinque, et on retrinque, on mange un peu et on parle beaucoup. La Noce étant en fait, la seconde des aventures où Julie Deliquet a embarqué ses comédiens; créé il y a déjà plus de trois ans, avec le temps, ce spectacle dont la mise en scène est devenue plus précise, constitue un vrai et bon travail.
Derniers remords avant l’oubli (1987) est sans doute l’une des meilleures pièces de Jean-Luc Lagarce, mort du sida en 95, et souvent jouée par les nouveaux collectifs qui se forment après la sortie d’une école. L’histoire? Trois bons amis se retrouvent, dix-sept ans après l’avoir acquise en indivision, dans une maison de campagne où l’un d’eux a continué à habiter.
Mais le temps a passé et les deux autres, un homme et une femme veulent absolument la vendre; les pièces rapportées, y compris la très jeune fille de l’un d’entre eux, qui ne se connaissent pas du tout, comptent un peu les points sans prendre parti… Ambiance! Les amis ont bien changé, les idéaux ne sont plus tout à fait les mêmes, et les belles et anciennes amitiés ne pèsent évidemment plus grand chose dans la balance!
Les choses ne vont donc pas être faciles à négocier. Même si chacun tente d’y mettre du sien… La direction d’acteurs est impeccable, et Julie Deliquet, passée par l’école Lecoq, possède, c’est évident, une sacrée maîtrise du plateau. Même si comme dans La Noce, on entend parfois mal les acteurs. Mais cela est encore tout à fait perfectible.
Après une courte pause, arrive le dernier volet, Nous sommes seuls maintenant, une « création collective » (appellation très en vogue dans les années 70, cela nous rajeunit!). Sur le plateau, une grande table et une plus petite, habillées du très ancien (16 ème siècle, merci pour la précision, du Vignal) et très célèbre Vichy bleu.
Il y a suffisamment de chaises dépareillées pour douze personnes, autour de la table, où il a plein de bougies, et de la charcutaille en apéro … On est chez François et Françoise,un couple de bobos, accompagnés de leur jeune Bulle de vingt ans; ils viennent d’acquérir une vieille ferme dans les Deux-Sèvres, et avec des amis et leur proche voisin, éleveur de bovins, ils ont improvisé ce apéro/ repas où on rit beaucoup, on boit beaucoup, et pas que de l’eau…
On parle de tout et de rien. Les personnages de parents soixante-huitards, qui ont eu pour idéal une remise à plat des mœurs mais qui ne font guère mieux que leurs géniteurs, sont bien campés, et Julie Deliquet a demandé aux acteurs d’apporter leur petit sac de grain à moudre aux répétitions pour arriver à construire une trame, à partir d’improvisations.
Mais elle dit que « c’est une pièce à part et que le texte est improvisé chaque soir. C’est de la création instantanée, la parole est vraiment collective donc c’est un sacré travail d’écoute ». (Bon, on veut bien!) Avant de reconnaître bien évidemment,que « certaines choses finissent par s’écrire car elles deviennent nécessaires à l’histoire. » Elémentaire, mon cher Wattson! Cela dit, les comédiens sont tout à fait sensibles et expérimentés, entre autres: Jean-Christophe Laurier, Annabelle Simon, Eric Charon: ils savent ce qu’une impro veut dire, et en connaissent à fond toutes les ficelles orales et gestuelles. Leur engagement- des heures et des heures de travail non rémunéré bien entendu, est sûrement total et mérite le respect.
Oui, mais… Il y a quand même dans ce troisième opus de graves défauts dans la conception comme dans la mise en scène. Désolé de le dire aussi brutalement mais ces interminables bavardages sur la campagne et la philosophie de la vie sont vraiment sans intérêt et distillent vite un parfait ennui; le spectacle, très textuel, ne tient donc pas vraiment la route, surtout sur plus de quatre vingt-dix minutes! Ces impros même bien travaillées, ne sont en effet pas fondées sur une dramaturgie suffisamment solide, et l’ensemble fait donc très exercice de style que l’on peut débiter au kilomètre – certes parfois brillant mais souvent naïf- et qui tient trop d’un travail d’école.
Et, comme les dialogues sont souvent à un deuxième degré qui rejoint le premier, là, cela ne va plus du tout! Bref, ce qui aurait pu être un petit hors-d’œuvre sympathique en quarante minutes maximum, devient quelque chose d’estoufadou, et du coup, ce spectacle en trois volets n’en finit pas de finir.
D’autant qu’il y a une erreur cette fois encore rattrapable: douze personnages (!) sont assis la plupart du temps ou debout autour de la grande table de repas tout à fait crédible… mais disposée de telle façon que le public en est exclu. On a en effet la désagréable impression de ne pas faire partie de cette famille élargie où les gens se font plaisir. Cette scénographie aurait dû, dans ce cas de figure, être quadri-frontale, ce qui, de plus, n’aurait pas nui du tout aux autres pièces.
Bon, cela s’apprend et ce sont juste des erreurs de tir! Reste, même encore brut de décoffrage, la consécration d’un collectif, puisque collectif il y a, et qui constitue un des meilleurs éléments de cette nouvelle et jeune génération de chefs de troupe et metteurs en scène comme Muriel Sapinho, Thomas Jolly, Anne Barbot, Jean Bellorini, Jeanne Campbel, Benjamin Porrée, Julien Gosselin, etc…. Ce n’est évidemment pas un hasard!
Et ce que disait en 1953, Malcom Cowley, le conseiller littéraire des éditions Wiking qui éditèrent Jack Kerouac, s’applique fort bien au théâtre français de ce début de XXIème siècle: « Les écrivains dont on se souviendra, ne surgissent pas isolément, mais apparaissent en cohortes et en constellations sur fond d’années relativement vides ».
Bref, que l’on se le dise: il y enfin un vent nouveau sur les plateaux de la douce France théâtrale, et on s’en réjouit par ces temps moroses…
Philippe du Vignal
Théâtre des Abbesses jusqu’au 28 septembre