Intérieur de Maeterlink

 

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Intérieur de Maurice Maeterlink, mise en scène de Claude Régy

Il avait déjà  mis en scène cette pièce en 1985  mais ce spectacle ne nous avait pas spécialement marqué…
Un texte court mais monté comme au ralenti, sur une adolescente qui s’est noyée dans un étang,  une mort que l’on doit annoncer à ses parents.
L’écrivain belge (1862-1949) avait aussi écrit La Mort de Tintagiles dont le thème: l’assassinat d’un enfant est proche de celui d‘Intérieur. Une pièce qu’admirait beaucoup le grand Tadeusz Kantor qui  l’avait montée deux fois…

Cette fois, le système Régy semble  un  peu grippé et cela commence mal: il nous fait comprendre qu’un spectacle de lui, cela se mérite et nous fait attendre plus d’un quart d’heure debout. Puis une charmante hôtesse japonaise nous demande qu’une fois entrés dans la salle, nous nous taisions… Demande aussi rappelée à l’entrée sur de grandes pancartes mais la climatisation, elle, fait un bruit inconvenant!

Le grand plateau est inondé de silence et on a droit à une magnifique peinture aux lumières d’aube grise: sur une belle plage de sable blanc, deux  puis trois locuteurs vêtus, lui, d’une grande chasuble et elle, d’une robe longue, ses cheveux longs tombant sur les épaules, vont dire en les distillant à la syllabe près les courtes  phrases de Maeterlink en japonais bien sûr. La plupart surtitrées « afin de se préserver l’atmosphère du spectacle » (sic). Donc, atmosphère, atmosphère… comme disait Arletty dans sa célèbre réplique!
Dans le fond,  deux jeunes femmes, elles aussi en robe longue grise et aux longs cheveux tombant sur les épaules, veillent sur le  corps habillé de blanc d’un adolescent déposé sur le sol. Le tout dans une lumière sépulcrale… Des références à la peinture et au ténébrisme évidentes: Le Caravage, bien sûr, mais aussi Bassano, José de Ribera, de la Tour…

Comme dans le bunraku japonais, des interprètes oraux et, dans le fond, des interprètes gestuels. Sans l’aide d’aucune musique ou bande-son. Dans le silence total observé par le public, on entend même les chaussons des personnages crisser sur le sable. La plupart des acteurs viennent du théâtre nô et, dit Claude Régy, « sont d’une disponibilité exceptionnelle et ont tout à fait accepté de se défaire de leur habitudes ».
Paroles, gestes et déplacements sont ici d’une extrême lenteur, comme dans un mauvais rêve. Avec, pour le metteur en scène, un refus absolu de toute psychologie et une volonté de mettre en condition le public par le silence et la lenteur du jeu. Un choix respectable mais il faut y être tout à fait disponible. Chaque phrase, même surtitrée, peut prendre alors une force évidente, même quand on n’est pas un fanatique du théâtre de Maeterlink.

Un travail d’acteurs  impressionnant, exigeant un grand métier, (l’extrême qualité des saluts à la fin, quelle merveille!) et une concentration de haut niveau. Le public reste attentif et seulement deux personnes sont parties pendant ces quatre-vingt minutes, mais beaucoup d’autres  somnolaient.
Dans le vacarme de la ville et loin des récentes logorrhées bernard-henri-léviennes, cette chorégraphie quasi silencieuse fait penser au Bob Wilson d’autrefois, lui aussi très influencé et depuis longtemps, par le Japon. On a un peu l’impression d’entrer dans un couvent médiéval, quelque part très loin, au fond de l’Aveyron ou de la Lozère…

Intérieur est d’une grande sophistication esthétique, (trop sans doute et le metteur en scène  s’est souvent fait plaisir) mais dénué de toute émotion. Alors même que le thème de la mort et de la douleur est constamment présent. « Par ce jeu sur intérieur/extérieur, Maeterlink réussit à faire émerger le mélange de l’inconscient et de l’inconscient » dit Claude Régy. Soit! Peut-être ne sommes-nous pas suffisamment préparés à ce genre d’exercice mais le temps parait quand même bien long, même s’il y a peu de spectacles à Paris qui ont cette exigence et  cette beauté.

Alors, y aller ou pas? Vous pouvez tenter l’expérience, mais: 1)mieux vaut être un adepte  de Claude Régy et être conscient que ce spectacle, comme toujours chez lui, très peu éclairé, demande une extrême attention.  2) Mieux vaut, dans le doute, y aller seul : c’est un coup à se brouiller avec n’importe quel ami(e). 3) Eviter d’y emmener votre vieille tata, même si elle raffole de  la  cuisine japonaise, des films d’Ozu et des romans de Kawabata auquel est consacrée une exposition en ce moment à la Maison de la Culture du Japon.
Voilà, à vous de choisir. On attend vos commentaires…

Philippe du Vignal

Maison de la Culture du Japon, Paris (XVème),  jusqu’au 27 septembre.

 


Archive pour 21 septembre, 2014

On ne badine pas avec l’amour

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On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred de Musset, mise en scène de Christophe Thiry

 

En 1833, George Sand rencontre Alfred de Musset qui devient son amant ; ils rompent huit mois plus tard au cours d’un voyage à Venise, mais ils renoueront plusieurs fois, brièvement.  Un an plus tard, se révèle l’art intense de Musset, un des grands dramaturges de l’ère romantique, qui écrit coup sur coup Fantasio, On ne badine pas avec l’amour et Lorenzaccio, sans compter une série de poèmes.
Seize ans plus tard, George Sand, auteure de La Petite Fadette (1849) dit de son héroïne qu’ «…elle courait après tout le monde (…) soit pour rire, jouer et badiner avec ceux qui étaient de bonne humeur … »  La Petite Fadette et Musset: deux mêmes personnages à l’humeur espiègle et fraîche, et aimant folâtrer.
Accomplissement d’une œuvre d’art ou plaisir de l’existence – l’inconstance amoureuse, les excès de l’alcool -, Musset est pourtant rattrapé par ses faiblesses. À trente ans, usé trop tôt par la vie, son œuvre brillante est achevée. Mais quelle merveille littéraire, d’une plume au goût sûr, et à l’esprit acéré. Savoir s’amuser et plaisanter, certes,  mais souffrir des écartèlements du métier de vivre: Musset éclaire l’existence d’une lumière cruelle…
Tout commençe sur un air de légèreté autour des retrouvailles de deux jeunes cousins et amis d’enfance, Camille (Anna Sorin) et Perdican (Sébastien Ehlinger). Auprès du jeune homme, veille un précepteur, le comique Blazius, et auprès de la jeune fille, la régente Dame Pluche, bas-bleu  (Lucile Durant au jeu acidulé).
Au château, dans l’entourage du Baron, sévit un personnage grotesque, Bridaine (Francis Bolela), curé gourmand, qui revendique la première place à table, jalouse  Blazius   et  l’accuse  d’ivrognerie. Le Baron, plutôt bonhomme et conciliant, a l’intention de marier les jeunes gens. Mais  Camille sort de son couvent, et même si elle éprouve une attirance réelle pour son cousin, elle cache ses sentiments et préfère revêtir le masque infantile de la froideur, en refusant qu’on l’effleure. Mensonges et déguisements. Perdican riposte, par dépit amoureux, en séduisant la jolie servante du château, Rosette (Marion Guy). Mais On ne badine pas avec l’amour, comédie sombre et désabusée, s’achève sur la mort  de l’innocente Rosette, sœur de lait de Camille.
Badinage, marivaudage, malentendus et méprises, la passion contrariée fait tourner les têtes et les cœurs, et Christophe Thiry a su  faire danser avec panache l’élan de la jeunesse. La troupe  juvénile  possède  un véritable jeu choral, et les comédiens jouent la partition avec brio, saveur, et singularité.  Saluons aussi la vivacité naturelle de Koso Morina qui interprète le chœur.
Une statue de jardin s’élève ici, une fontaine sacrée est repliée là, et les acteurs encore se rassemblent dans un geste chorégraphique à l’unisson, ou bien s’isolent pour mettre valeur un détail de tableau. Bras levés, sculptures et portraits en pied, déplacements collectifs gracieux et silencieux, replis vifs de stratégie, les comédiens composent  un univers cruel et poétique,  où les chansons ont leur place.
Un joli moment de théâtre.

 

Véronique Hotte

 

Théâtre du Lucernaire,  jusqu’au 2 novembre, du mardi au samedi à 21h30. T. : 01 45 44 57 34

 

 

 

 

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