ça, création collective

Ça, création collective dirigée par Esther van Den Driessche

 

  10568928_1511718959064441_8768900210687697412_nC’est une chose dont on ne parle pas, ce phénomène physiologique emblématique de la condition féminine, au cœur de tous les tabous, légendes, discriminations contre la « femme douze fois impure ». On peut appeler « ça », règles, périodes, menstrues, et les Anglais qui débarquent (allusion à la couleur rouge, ça ne date pas d’hier), les ragnagnas…; ça fait tourner les sauces, tordre les chevilles, met tout le monde de mauvaise humeur, et autres préjugés. Déjà le rédacteur et le lecteur, pardon, la rédactrice et sa lectrice, commence à trouver « ça » dégoûtant.
C’est bien là-dessus que compte la petite troupe dirigée par Esther van Den Driessche : le spectacle se veut culotté, dérangeant. On rit (de temps en temps) de quelques petites provocations de langage, faussement naïves, du jeu, vieux comme le monde, de l’inversion des sexes (on ne parle pas du genre).
  Mais du côté du théâtre, on attend en vain qu’il se passe quelque chose. C’est réglé (!) impeccablement, avec une autorité manifeste, pour rien. Passons sur les lieux communs du cabaret : interpellation du public –inutilement gênante-, valse avec une chaise, masque de vieillarde avec lequel on ne joue pas, nudité dans une ombre propice, changements de robes (rouges) à vue .
  Au théâtre, aucun de ces effets n’est interdit, à condition qu’ils aient un sens. Ici, ils n’ont que celui d’une organisation rigide, ne laissant aucune place au vivant et à l’organique, contrairement aux intentions affichées. Des corps vivants sur scène ? Précisément, devant nous, nous avons des corps, plus ou moins habiles (une bonne danseuse. Pour les autres, n’insistons pas..), plus ou moins affairés, et non des comédiennes libres et réellement engagées dans le jeu qu’elles proposent.
  On attend un texte, on n’a que des mots. Le projet était risqué mais la réalisation théâtrale ne prend ici aucun risque. Du coup, l’événement n’a pas lieu.

 

Christine Friedel

Théâtre de l’Atalante T: 01 46 06 11 90


Archive pour septembre, 2014

Gérard Violette

 REMISE DES PRIX SACD 2008 Il y a des mois comme cela, où on a l’impression de bafouiller quand on est devant son ordinateur. Après Michèle Guigon et Michel Crespin, Gérard Violette est mort subitement, ce mercredi. Après des études de droit et un diplôme de sciences économiques, il fut  dès 1968, administrateur général au Théâtre de la Ville sous la direction de Jean Mercure. Il lui succéda  en 1985 et le lieu devint essentiel pour la danse contemporaine, en particulier avec les chorégraphes belges: Anne Teresa De Keersmaker, Jan Fabre, Alain Platel, Jan Lauwers, Wim Vandekeybus.
Mais il restera dans la mémoire collective comme celui qui, dès 1979, accueillit et coproduit, année après année, Pina Bausch  avec Les Sept Péchés capitaux et Barbe-bleue. Et cela dès 1985, alors qu’elle était encore peu reconnue, même en Allemagne. Mais il fit venir aussi pour des créations mondiales des artistes comme entre autres  Merce Cunnignham, Lucinda Childs, Trisha Brown, Alwin Nikolaïs, Calrolyn Carlson, Mats Ek, Jiri Kilian, la compagnie Sankaï Juku et de jeunes chorégraphes comme Maguy Marin, Daniel Larrieu, puis plus récemment Sidi Larbi Cherkaoui, Akram Khan ou Rachid Ouamdane.

Un des autres titres de gloire de Gérard Violette fut de faire connaître,  à un heure inhabituelle avant la représentation du soir, les musiques traditionnelles  sud-américaines et méditerranéennes, puis indiennes, pakistanaises, arabes… ou cap-verdiennes comme il y a plus de vingt ans, avec Cesaria Evora,. Alors que cela n’intéressait pas grand monde dans les institutions.
Côté théâtre, il a  sans doute moins bien réussi son coup mais il accueillit Robert Wilson, soutient de jeunes metteurs en scène comme Jacques Nichet, et Bruno Boeglin avec souvent des  pièces d’auteurs contemporains comme Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès… Très engagé auprès des chorégraphes et metteurs en scène qu’il recevait, il s’estimait parfois incompris et acceptait souvent très mal que la critique ne le suive pas dans ses choix… Chaque conférence de presse annuelle commençait par une série de petites piques à son égard. Une sorte de rituel, pas méchant et auquel nous avions fini par nous habituer… Il fit construire en 1996, le Théâtre des Abbesses qui, très vite,  malgré une architecture mal pensée, acquit une place importante dans le paysage du spectacle à Paris. En 2008, il prit sa retraite et confia la direction de cette grosse maison qui affiche quatre cent représentations par an, à Emmanuel Demarcy-Motta. Il eut donc une vie bien remplie et il aura beaucoup donné au spectacle contemporain.
Adieu et merci, Gérard Violette pour ce que vous aurez fait…

Philippe du Vignal

 

soleil couchant

Soleil couchant  par le Tof Théâtre

Un vieil homme tremblotant en costume, un mouchoir sur sa tête chauve, marche  au bord de la mer dont  on entend le bruit du ressac. Il va s’asseoir sur un pliant; autour de lui, des bouts de tissu accrochés à de petits bâtons  qui flottent au vent.
  Il en plante certains et en arrache d’autres, puis enlève ses chaussures dont l’une pleine de sable, qu’il vide lentement. Il ne se passe rien, pas un mot n’est prononcé, alors que  les pièces sur le thème de la vieillesse sont plutôt du genre bavard, et pourtant ici, on est fasciné par cette lenteur d’un homme  silencieux  et en fin de vie, qui se bat pour tenir encore debout.
  Alain Moreau, qui manipule son double issu de son pantalon, a un rapport émouvant avec cette marionnette qui déguste un verre de bière, qu’il finira, lui, par boire… puisque la marionnette n’a pu le faire. La vieillesse, à part Le Roi Lear, et Le Cid, avec un personnage comme don Diègue… n’est pas un thème souvent traité dans le théâtre classique,  plus peut-être dans le théâtre  contemporain, avec  entre autres, La Vie est trop courte d’André Roussin, Tango viennois de Peter Turrini, La Maison du lac de Jean Anouilh, Harold et Maud de Colin Higgins, ou encore Portraits de William Douglas-Home .
« Si on regarde ce que j’ai créé comme spectacle, dit Alain Moreau, il y a toujours les grands-parents… quelque chose m’intéresse là-dedans. Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement angoissé mais je pense que c’est bien de se préparer. Et puis, je suis assez attentif aux personnes âgées qui m’entourent. Mes grands-parents, que je n’ai plus maintenant… mais je suis quelqu’un d’instinctif aussi et c’est sur le moment que j’ai envie de faire des choses ».

C’était le spectacle d’ouverture lors de la présentation de saison du Mouffetard Théâtre des Arts de la Marionnette, enfin doté d’un lieu après vingt ans d’errance. Il y aura  une dizaine de spectacles, dont certains seront joués ailleurs. Ainsi J’oublie tout entre autres de Jean-Pierre Larroche et ses Ateliers du spectacle sera présenté au Carreau du Temple du 4 au 12 octobre.
Et du 5 au 31 mai, la Biennale internationale des Arts de la Marionnette présentera des compagnies d’arts de la marionnette parmi les plus reconnues au monde. Créée en 2001, elle est organisée par le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette, la Maison des métallos et la Ville de Pantin. Avec une grande diversité : pour adultes, pour enfants, pour tous publics, à l’intérieur, à l’extérieur, sur petit ou grand plateau, avec ou sans texte, avec marionnettes, objets ou images… La marionnette a maintenant en France une  existence indéniable

 Edith Rappoport

 Le Mouffetard Théâtre des Arts de la Marionnette 73 Rue Mouffetard, 75005 Paris T: 01 84 79 44 44

www.lemouffetard.com

 

 

l’Amour d’écrire en direct

L’amour d’écrire en direct,  animation et mise en scène de Marc-Michel Georges

 Après sept ans d’existence dans  plusieurs salles de Paris, et en province, L’amour d’écrire en direct  a lieu tous les deux mois de façon bimestrielle. C’était lundi  la 44ème édition de cet ovni, à cheval sur le cabaret et l’écriture de textes en direct avec un objectif précis: que le public puisse voir de près à quoi ressemblent de jeunes écrivains, et comment ils arrivent, à partir d’une phrase ou de quelques mots proposés par un spectateur  à pondre un texte en un temps record, voire même directement sur la scène. Donc unité de lieu, de temps (chronométré), et d’action: bref, les vieilles règles de la dramaturgie classique susceptibles d’être ici appliquées à l’écriture et à l’improvisation.
Cela se passe au Pan Piper, une ancienne petite usine reconvertie en lieu multi-fonctionnel situé dans l’impasse Lullier,  à cent mètres du métro Philippe Auguste, doté de plusieurs salles de répétition et d’un restaurant. En sous-sol, une salle avec un bar un peu chic, avec, au mur, des affichettes indiquant que les  Soirées sont soutenues par les Ecrivains Associés du Théâtre (EAT) et la Fondation Inter-Fréquence sous l’Egide de la Fondation de France, et plus loin, cent cinquante chaises (pas attachées, bonjour la sécurité!)  et une petite scène  pas assez haute. (Donc le public ne voit pas bien) mais elle est correctement équipée de pendrillons noirs, d’un micro sur pied, et de quelques projos qui diffusent une lumière bleue et jaune.
2014-01-27 20.51.09Marc-Michel Georges salue le public- une centaine  de personnes- où il y a quand même quelque jeunes gens, sans doute amis des écrivains. Le droit d’entrée est de douze € et on peut faire don d’un petit objet ni lourd, ni cher, ni encombrant qui donnera lui aussi prétexte à écriture pour le philosophe de service, lundi dernier, c’était François Thomas, avec, sans doute, le texte drôle et le plus brillant de la soirée, où il cite nombre d’écrivains, dont Parménide.
Marc-Michel Georges, très à l’aise, salue aussi la marraine de cette quarante-quatrième édition : Elsa Wolliaston, la grande dame de la danse africaine… Il salue aussi un écrivain, connu pour ses plagiats de Guillevic et un ex-directeur de petit théâtre connu, lui, pour son manque de scrupules… Passons!
Il fait ensuite entrer sur scène  trois  jeunes écrivains: Camille Solal, Carine Marouteau, Baptiste Moussette, et Hana Zavadilova, elle, un peu plus âgée, et auteure d’une pièce jouée. Et deux slameuses,  Shein B et Laureline Kuntz.
D’abord, un air d’accordéon joué par Marc-Michel Georges, ainsi qu’un petit film de lui, court mais un peu laborieux dont il  revendique la paternité, et, indique-t-il, réalisé en une journée, où il incarne un mari et, travesti avec perruque, sa femme.
Les écrivains, eux, ont été priés par lui d’écrire plusieurs fois en un temps imposé chrono, un texte à partir d’une phrase donnée par un spectateur, ou sur un thème imposé. Vieux truc d’improvisation  théâtrale reconverti pour l’écriture. Mais cela marche, même si c’est très inégal: le texte pondu à l’arrache par Baptiste Moussette, est, lui, particulièrement  intéressant.
Un des meilleurs moments  du spectacle est aussi celui où chaque écrivain à partir de quelques mots imposés,  doit écrire au stylo et en deux minutes (ou plutôt faire semblant…) un petit texte. Ce cocktail impro théâtrale/ écriture est des plus réjouissants…
Quant à Laureline Kuntsz, comédienne à l’excellente diction, ce qui ne gâche rien, elle dit, accoudée au bar, un monologue où elle s’amuse à jouer avec les mots: c’est à la fois drôle, subtil et d’une rare élégance… L’autre monologue de Shein B est moins convaincant. Il y a aussi, sur la fin, un avocat (celui qui veut dans le public mais bon, cela sent un peu  la triche!) qui, chacun, viendra défendre un des textes.
Le spectacle avance bien lentement, et sans autre rythme que celui du bruit des langue de belle-mère distribuées au public qui renâcle un peu à s’en servir. En fait, il y a de bons moments où l’on rit de bon cœur, mais d’autres où on s’ennuie ferme pendant ces deux heures annoncées (en réalité rallongées de trente minutes!), ce qui est beaucoup trop long.
La faute à quoi? A un démarrage des plus laborieux, au petit film où il se fait plaisir, que Marc-Michel Georges aurait pu nous épargner, à certaines interventions assez faibles (mais c’est la loi du genre!). Et surtout à une mise en scène qui n’est pas du bois dont on fait les flûtes. En fait, tout se passe comme s’il voulait remplir ici un temps déterminé, et cela ne peut pas fonctionner à plein régime. Et c’est d’autant plus dommage qu’il y a ici nombre d’ingrédients tout à fait intéressants dans la recette concoctée par Marc-Michel Georges.
Donc à suivre  à la prochaine édition…

Philippe du Vignal

Pan Piper,  Impasse Lullier 75011 Paris

 

Nicolas Le Riche

Carte blanche à Nicolas Le Riche au Théâtre des Champs-Elysées

   NICOLAS LE RICHE anne-deniau-2326-2 cNicolas Le Riche, après bien des années passées à l’Opéra de Paris où il fut nommé danseur-étoile en 1993, a fait ses adieux à la maison-mère, lors d’une mémorable soirée à l’Opéra-Garnier, le 13 juillet  dernier.
Il a parfois quitté son port d’attache, pour rejoindre les plus grandes maisons d’opéra (Royal Opera House, Bolchoï, New York City Ballet…), et a dansé avec ou sous la direction, des plus  grands, dans le répertoire classique  ou  contemporain: Mats Ek ,Rudolf Noureev, William Forsythe, Angelin Preljocaj, en passant par Marie-Claude Pietragalla, Roland Petit, Benjamin Millepied, Trisha Brown, Twyla Tharp…

  Fort de ses expériences multiples et de ses rencontres passionnantes et passionnées, le voici, à 42 ans (l’âge de la retraite pour les danseurs à l’Opéra !), à l’orée d’une seconde carrière, plein d’idées et de projets.  À commencer par deux soirées exceptionnelles   au festival TranseenDanse (voir Le Théâtre du Blog).
Il nous parle ici de cette prochaine carte blanche,  mais aussi  de sa passion pour son métier. Carte blanche, qu’il veut, non en rupture, mais en continuité: «C’est un véritable spectacle de cœur, dans le sens où ce sont des collaborations avec des gens que j’aime, dit-il, un spectacle de transition aussi entre le présent et l’avenir ». Et surtout, un peu à son image: éclectique. Et il entend bien construire des passerelles entre ballet classique et danse contemporaine.
Il estime «absurde la frontière entre les deux et défend la notion de «danse actuelle». En ouverture, prolongeant sa complicité avec Jerome Robbins, il reprendra son solo A Suite of Dances, l’histoire d’un artiste qui revit ses souvenirs de danse; le quatrième mouvement, qui rompt avec la nostalgie, exprime la joie de danser, avec de petites notes folkloriques qui s’insèrent dans la musique de Bach.
À la place d’Annonciation d’Angelin Preljocaj, un solo de Clairemarie Osta,  qu’il a chorégraphié sur la musique de l’Après midi d’un faune de Debussy et malicieusement intitulé Une après midi. Un de ses complices, le chorégraphe Russell Maliphant, sera avec lui dans  Critical Mass, un duo qui crée un lien  dit-il, « entre ballet et danse contemporaine ». Une manière, pour Nicolas Le Riche, de revendiquer aujourd’hui plus que jamais sa grande liberté d’expression.
Nicolas Le Riche dans la pièce Odyssée@anne-deniauOdyssée, qu’il a conçu et qu’il interprétera avec Clairemarie Osta, est à entrées multiples, et raconte «au-delà de l’anecdote, un chemin intime et de danse», pour montrer «comment on est deux, et comment on est un, même quand on est deux». La musique, en l’occurrence celle d’Arvo Pärt, s’est imposée à lui pour cette création Musicien lui-même, Nicolas Le Riche accorde toujours une grande place aux partitions.
Avec Aires Migratoires, Hervé Diasnas proposera d’étonnants vols dansés, uniques et numérotés de un à sept, sur la musique qu’il a composée, et avec son Ensemble chorégraphique contemporain d’Envol. De «petits piétinés» évoquent des nuées d’oiseaux qui entreprennent un vol migratoire… Un thème d’actualité pour Nicolas Le Riche!
« Je ne suis pas carriériste, et j’ai l’impression d’être allé au cœur de toutes ces aventures, c’est ma richesse aujourd’hui. et, ajoute-t-il, je suis un tout jeune chorégraphe… ». Il se donne comme modèles, aussi bien Nijinski, Noureev que… Michael Jackson, et surtout Jean Babilée «le premier danseur, porteur de la danse  contemporaine»
Il ne commente pas le refus de sa candidature à la direction du Ballet de l’Opéra, «l’une des rares maisons en France qui peut prendre le temps» et qui, selon lui, devrait faire le lien entre classique et contemporain. «Transmettre, créer et diffuser la danse », tel est son nouveau projet.
Après le spectacle imaginé  pour cette soirée unique,  il se sent ouvert à tout : «J’ai envie de regarder autour de moi », et  entend se «concentrer sur son cœur de métier ».
On le reverra en effet en mars prochain, dans ce même  théâtre, pour la création mondiale de Solaris, opéra en quatre actes (livret, mise en scène et décors de Saburo Teshigawara), d’après le fameux roman  de science-fiction de Stanislas Lem. En compagnie du chorégraphe, de Rihoko Sato et de Václav Kuneš…


Mireille Davidovici

Théâtre des Champs-Elysées 15 avenue Montaigne 75008 Paris,  les mardi 4 et mercredi 5 novembre T. 01 49 52 50 50

 

 

Il n’y a pas de cœur étanche

Il n’y a pas de cœur étanche, texte, arrangements et jeu de Julie Rey et Arnaud Cathrine

 

julie___arnaud_3anne_gautherotLa compagnie des  Petits Papiers travaille à Dans l’ombre, des jours, deuxième volet d’ un triptyque sur les lieux d’exclusion, dont  le premier est  donné en ce moment à la Maison des Métallos. « Il n’y a pas de cœur étanche Tout doucement le cœur penche… »: ainsi résonne avec délicatesse la chanson d’Arnaud Cathrine et de Julie Rey, un duo qui a choisi l’écoute attentive des autres, pour créer un spectacle étonnamment vivant. Musique, chansons, piano, guitare, samplers, micro et jeu d’acteurs ici sont bien maitrisés. Quels sont ces autres? Forcément, d’autres nous-mêmes, plus fragiles encore pour avoir été, eux, victimes d’accidents au  cours d’une vie souvent cahotique . Nous, qui sommes censés aller bien, nous pouvons vivre. Or, ces autres sont supposés ne pas bien aller, « inaptes » qu’il sont à se tenir debout dans une société rude, et  sont alors accueillis en hôpital psychiatrique. Mais la frontière reste aussi énigmatique qu’imprécise entre bien-être et mal-être, et la normalité prête à discussion: personne n’est à l’abri d’un imprévu. De septembre 2009 à juillet 2010, Julie Rey et Arnaud Cathrine sont allés tous les mois pendant un an, dans un hôpital dijonnais pour y rencontrer une douzaine  de patients-  volontaires- qui ont bien voulu leur parler de leur vie.
  Ils ont filmé les couloirs du lieu et surtout, patinés par le temps, les bâtiments anciens aux portes et fenêtres closes, et les  jardins de verdure  bien entretenus. Certains des patients sont filmés de manière ludique, seuls ou avec d’autres, et apparaissent devant telle ou telle ouverture, en s’amusant de voir les volets de bois se clore ou s’ouvrir. Sur deux écrans, façon poupées russes, du plus grand au plus petit, les images défilent ou s’envolent, sautillant d’un temps à l’autre, dans le silence émouvant d’un film de cinéma muet, soutenu par les notes d’un spectacle de théâtre musical.
Les artistes, filmés de manière ludique et fugitive, apparaissent
sur la scène, l’une à la guitare, et l’autre au piano, et commentent cette aventure commune. Julie Rey et Arnaud Cathrine – auteurs, compositeurs et interprètes – savent endosser  avec sourires et humilité leurs personnages: Nora, Kléber, Héloïse et Virgile, des silhouettes avec lesquelles le public se familiarise peu à peu.
Nora échappe à elle-même, fuit la personne qu’elle est, et ne ressent qu’un défaut d’identité, une intériorité qui l’empêche de communiquer avec l’autre, et de lui parler. Tout est vanité pour cette femme tout à fait  seule, et prisonnière d’elle-même. Mais peu à peu, un sourire arrive…
Héloïse, elle, a perdu brutalement son fils dans un accident de voiture et ne s’en remet pas, mais parvient peu à peu à formuler sa douleur et à exprimer ce qu’elle ressent, pour arriver à dépasser et à transcender l’insupportable.
Kléber,  lui aime le pouvoir des mots et leur poésie  et s’inquiète  pour  ses médecins  dont  l’un d’eux, selon lui, est bien près de verser dans la folie; le soigneur  serait donc à soigner!
Quant à Virgile, il souffre,  depuis l’enfance, d’un manque d’amour parental et protège aujourd’hui la femme qu’il se sent être intimement, une jolie robe rouge suspendue à ses côtés. Et
le spectateur attache son regard à une rangée de chaussures féminines élégantes posées sur le bord du plateau. Talons hauts très décoratifs, brillant sous les projecteurs,  comme un rappel de l’attachement de Virgile pour un cordonnier de son enfance, et père d’un  garçon de son âge, qui a courageusement fait preuve de gentillesse à son égard, face  à ses parents… Depuis,  Virgile aime réparer les chaussures de ses camarades…
Le spectacle donne à voir et à lire ces « bilans provisoires », selon l’expression ironique  d’une patiente, et les interprètes se posent ici la question de leur légitimité à travailler dans de tels lieux. Désinvolture,  irresponsabilité ? Non. Sans doute sont-ils aussi un peu « fêlés », comme le dit Héloïse. Faut-il leur ouvrir les bras et protéger ces êtres situés « de l’autre côté » ? Doit-on se reconnaître dans ces personnes en souffrance ?
Ce spectacle musical attachant ajoute candeur et légèreté à un propos qui n’est, du coup, jamais pesant ni définitif. Un beau moment d’humanité et de poésie…

 Véronique Hotte

 Maison des Métallos, le 20 septembre , Festival Musiques Impliquées.

J’ai tout de Thierry Illousz

J’ai tout de Thierry Illouz, mise en interprétation de Christophe Laparra

2251407945052Christophe Laparra, après Avignon,  a repris ce solo d’après le roman de Thierry Illouz paru chez Buchet-Chatsel  où il met en scène un personnage très agité dans ce qui semble être une gare désaffectée ou vidée de ses occupants.
Il tient en joue « quelqu’un » et on ne saura jamais qui, voire même si ce
« quelqu’un » existe vraiment. Il monologue devant sa victime et se vante « d’avoir tout », d’avoir « quarante mille ». Et cette fortune présumée fait de lui un homme supérieur jusqu’à l’excès, et il ne va cesser de montrer à son otage quel homme supérieur il est, et quelle sorte d’intouchable, il est devenu. Dans une logorrhée où il fait questions et  réponses, il ne laisse aucun répit à cette bien curieuse victime.
La carapace se brise quand
même à plusieurs reprises, quand il évoque son travail perdu et son amour envolé. Mais son flot de paroles nous éclaircit peu,  et plus il parle,  moins on en sait : que fait-il ici,  est-il  si riche qu’il le dit ? Quel est son passé ? Qui est son otage et quel sort lui réserve-t-il ?
Le texte est écrit comme un tunnel, on y entre au début et on comprend vite qu’on n’y sentira pas un brin d’air
avant la fin, c’est d’une écriture très serrée, sans espoir et sans variation, guidée par un leitmotiv de haine et de colère envers le monde entier.
Mais ce qui peut être très louable  dans un texte écrit, ne l’est pas toujours  sur une scène, et ici, 
on souffre de n’avoir aucune perspective jusqu’au dénouement, et d’avoir à l’attendre en absorbant la violence du personnage comme un sac de sable qui retient les coups du boxeur, et en nous installant donc dans une position de victime.  Puisqu’il veut nous faire croire que c’est nous qui sommes directement menacés par  son revolver…
  Malgré cette réserve, il faut souligner l’état de tension permanente de Christophe Laparra, qui fait déjà les cent
pas, quand nous entrons dans la salle. Nous le sentons trembler de colère et  transpirer d’agitation;  il parvient
presque à nous faire peur, et on n’ose à peine quitter la scène des yeux. Une rampe de tubes fluos au sol à l’arrière-scène qui donne une lumière froide,  une autre  petite rampe fluo  balbutiante et un lustre qu’il s’amuse à faire virevolter qui lui éclairent le visage.  Ces lumières très réussies contribuent  à  créer un lieu interlope et glauque qui rappelle l’univers de Bernard-Marie Koltès.
 C’est un spectacle exigeant qui procure une tension réelle, et où on se sent forcément mal…  A chacun donc d’évaluer son degré de masochisme,  mais il faut tout de même souligner les  qualités intrinsèques de ce  J’ai tout.

Julien Barsan

Théâtre de Belleville jusqu’au   20 septembre. .

Intérieur de Maeterlink

 

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Intérieur de Maurice Maeterlink, mise en scène de Claude Régy

Il avait déjà  mis en scène cette pièce en 1985  mais ce spectacle ne nous avait pas spécialement marqué…
Un texte court mais monté comme au ralenti, sur une adolescente qui s’est noyée dans un étang,  une mort que l’on doit annoncer à ses parents.
L’écrivain belge (1862-1949) avait aussi écrit La Mort de Tintagiles dont le thème: l’assassinat d’un enfant est proche de celui d‘Intérieur. Une pièce qu’admirait beaucoup le grand Tadeusz Kantor qui  l’avait montée deux fois…

Cette fois, le système Régy semble  un  peu grippé et cela commence mal: il nous fait comprendre qu’un spectacle de lui, cela se mérite et nous fait attendre plus d’un quart d’heure debout. Puis une charmante hôtesse japonaise nous demande qu’une fois entrés dans la salle, nous nous taisions… Demande aussi rappelée à l’entrée sur de grandes pancartes mais la climatisation, elle, fait un bruit inconvenant!

Le grand plateau est inondé de silence et on a droit à une magnifique peinture aux lumières d’aube grise: sur une belle plage de sable blanc, deux  puis trois locuteurs vêtus, lui, d’une grande chasuble et elle, d’une robe longue, ses cheveux longs tombant sur les épaules, vont dire en les distillant à la syllabe près les courtes  phrases de Maeterlink en japonais bien sûr. La plupart surtitrées « afin de se préserver l’atmosphère du spectacle » (sic). Donc, atmosphère, atmosphère… comme disait Arletty dans sa célèbre réplique!
Dans le fond,  deux jeunes femmes, elles aussi en robe longue grise et aux longs cheveux tombant sur les épaules, veillent sur le  corps habillé de blanc d’un adolescent déposé sur le sol. Le tout dans une lumière sépulcrale… Des références à la peinture et au ténébrisme évidentes: Le Caravage, bien sûr, mais aussi Bassano, José de Ribera, de la Tour…

Comme dans le bunraku japonais, des interprètes oraux et, dans le fond, des interprètes gestuels. Sans l’aide d’aucune musique ou bande-son. Dans le silence total observé par le public, on entend même les chaussons des personnages crisser sur le sable. La plupart des acteurs viennent du théâtre nô et, dit Claude Régy, « sont d’une disponibilité exceptionnelle et ont tout à fait accepté de se défaire de leur habitudes ».
Paroles, gestes et déplacements sont ici d’une extrême lenteur, comme dans un mauvais rêve. Avec, pour le metteur en scène, un refus absolu de toute psychologie et une volonté de mettre en condition le public par le silence et la lenteur du jeu. Un choix respectable mais il faut y être tout à fait disponible. Chaque phrase, même surtitrée, peut prendre alors une force évidente, même quand on n’est pas un fanatique du théâtre de Maeterlink.

Un travail d’acteurs  impressionnant, exigeant un grand métier, (l’extrême qualité des saluts à la fin, quelle merveille!) et une concentration de haut niveau. Le public reste attentif et seulement deux personnes sont parties pendant ces quatre-vingt minutes, mais beaucoup d’autres  somnolaient.
Dans le vacarme de la ville et loin des récentes logorrhées bernard-henri-léviennes, cette chorégraphie quasi silencieuse fait penser au Bob Wilson d’autrefois, lui aussi très influencé et depuis longtemps, par le Japon. On a un peu l’impression d’entrer dans un couvent médiéval, quelque part très loin, au fond de l’Aveyron ou de la Lozère…

Intérieur est d’une grande sophistication esthétique, (trop sans doute et le metteur en scène  s’est souvent fait plaisir) mais dénué de toute émotion. Alors même que le thème de la mort et de la douleur est constamment présent. « Par ce jeu sur intérieur/extérieur, Maeterlink réussit à faire émerger le mélange de l’inconscient et de l’inconscient » dit Claude Régy. Soit! Peut-être ne sommes-nous pas suffisamment préparés à ce genre d’exercice mais le temps parait quand même bien long, même s’il y a peu de spectacles à Paris qui ont cette exigence et  cette beauté.

Alors, y aller ou pas? Vous pouvez tenter l’expérience, mais: 1)mieux vaut être un adepte  de Claude Régy et être conscient que ce spectacle, comme toujours chez lui, très peu éclairé, demande une extrême attention.  2) Mieux vaut, dans le doute, y aller seul : c’est un coup à se brouiller avec n’importe quel ami(e). 3) Eviter d’y emmener votre vieille tata, même si elle raffole de  la  cuisine japonaise, des films d’Ozu et des romans de Kawabata auquel est consacrée une exposition en ce moment à la Maison de la Culture du Japon.
Voilà, à vous de choisir. On attend vos commentaires…

Philippe du Vignal

Maison de la Culture du Japon, Paris (XVème),  jusqu’au 27 septembre.

 

On ne badine pas avec l’amour

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On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred de Musset, mise en scène de Christophe Thiry

 

En 1833, George Sand rencontre Alfred de Musset qui devient son amant ; ils rompent huit mois plus tard au cours d’un voyage à Venise, mais ils renoueront plusieurs fois, brièvement.  Un an plus tard, se révèle l’art intense de Musset, un des grands dramaturges de l’ère romantique, qui écrit coup sur coup Fantasio, On ne badine pas avec l’amour et Lorenzaccio, sans compter une série de poèmes.
Seize ans plus tard, George Sand, auteure de La Petite Fadette (1849) dit de son héroïne qu’ «…elle courait après tout le monde (…) soit pour rire, jouer et badiner avec ceux qui étaient de bonne humeur … »  La Petite Fadette et Musset: deux mêmes personnages à l’humeur espiègle et fraîche, et aimant folâtrer.
Accomplissement d’une œuvre d’art ou plaisir de l’existence – l’inconstance amoureuse, les excès de l’alcool -, Musset est pourtant rattrapé par ses faiblesses. À trente ans, usé trop tôt par la vie, son œuvre brillante est achevée. Mais quelle merveille littéraire, d’une plume au goût sûr, et à l’esprit acéré. Savoir s’amuser et plaisanter, certes,  mais souffrir des écartèlements du métier de vivre: Musset éclaire l’existence d’une lumière cruelle…
Tout commençe sur un air de légèreté autour des retrouvailles de deux jeunes cousins et amis d’enfance, Camille (Anna Sorin) et Perdican (Sébastien Ehlinger). Auprès du jeune homme, veille un précepteur, le comique Blazius, et auprès de la jeune fille, la régente Dame Pluche, bas-bleu  (Lucile Durant au jeu acidulé).
Au château, dans l’entourage du Baron, sévit un personnage grotesque, Bridaine (Francis Bolela), curé gourmand, qui revendique la première place à table, jalouse  Blazius   et  l’accuse  d’ivrognerie. Le Baron, plutôt bonhomme et conciliant, a l’intention de marier les jeunes gens. Mais  Camille sort de son couvent, et même si elle éprouve une attirance réelle pour son cousin, elle cache ses sentiments et préfère revêtir le masque infantile de la froideur, en refusant qu’on l’effleure. Mensonges et déguisements. Perdican riposte, par dépit amoureux, en séduisant la jolie servante du château, Rosette (Marion Guy). Mais On ne badine pas avec l’amour, comédie sombre et désabusée, s’achève sur la mort  de l’innocente Rosette, sœur de lait de Camille.
Badinage, marivaudage, malentendus et méprises, la passion contrariée fait tourner les têtes et les cœurs, et Christophe Thiry a su  faire danser avec panache l’élan de la jeunesse. La troupe  juvénile  possède  un véritable jeu choral, et les comédiens jouent la partition avec brio, saveur, et singularité.  Saluons aussi la vivacité naturelle de Koso Morina qui interprète le chœur.
Une statue de jardin s’élève ici, une fontaine sacrée est repliée là, et les acteurs encore se rassemblent dans un geste chorégraphique à l’unisson, ou bien s’isolent pour mettre valeur un détail de tableau. Bras levés, sculptures et portraits en pied, déplacements collectifs gracieux et silencieux, replis vifs de stratégie, les comédiens composent  un univers cruel et poétique,  où les chansons ont leur place.
Un joli moment de théâtre.

 

Véronique Hotte

 

Théâtre du Lucernaire,  jusqu’au 2 novembre, du mardi au samedi à 21h30. T. : 01 45 44 57 34

 

 

 

 

Collectif in Vitro Julie Deliquet

Festival d’Automne: 


Collectif in vitro Julie Deliquet:

La Noce de Bertolt Brecht, Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce et Nous somme seuls maintenant, création collective, mises en scène de Julie Deliquet

La Noce, deuxième spectacle du collectif In vitro, a été créé en 2011 au Théâtre de Vanves qui est  devenu en quelques années une véritable rampe de lancement pour jeunes compagnies comme on disait autrefois, ou pour collectifs comme on dit maintenant, et dont nous vous avions dit beaucoup de bien (voir Le Théâtre du Blog).
Réalisé avec toute l’énergie de la jeunesse, et grâce à une belle scénographie de Charlotte Maurel, faite avec des éléments de récupération, ce spectacle lui doit beaucoup, et s’est encore bonifié. La gestuelle et le jeu en général sont plus précis, les costumes ont été heureusement revus mais il reste  quelques problèmes de diction: on entend souvent mal les comédiens qui ont tendance à bouler leur texte. Pas grave et cela reste tout à fait corrigible.
Cette  fête de mariage ratée imaginée par Brecht, et remise au goût du jour, a été  » l’occasion, dit Julie Deliquet, de choisir une écriture différente que celle de Jean-Luc Lagarce », et c’est à « une sorte de voyage généalogique » qu’elle nous convie: chacun des  volets de ce triptyque est joué autour d’une table où  les participants prennent  prennent un repas. C’est en fait le dénominateur commun; merci qui? Merci Antoine Vitez qui, il y a presque quarante ans, avait imaginé ce dispositif pour Catherine d’après Les Cloches de Bâle d’Aragon. Et qui,  depuis,  a fait des petits…
Donc autour de cette table, on trinque, et on retrinque, on mange un peu et on parle beaucoup. La Noce étant en fait, la seconde des aventures où Julie Deliquet a embarqué ses comédiens; créé il y a déjà plus de trois ans,  avec le temps, ce spectacle dont la  mise en scène est devenue plus précise,  constitue un vrai et bon travail.
Derniers remords avant l’oubli (1987) est sans doute l’une des meilleures pièces de Jean-Luc Lagarce, mort du sida en 95, et souvent jouée par les nouveaux collectifs qui se forment après la sortie d’une école. L’histoire? Trois bons amis se retrouvent, dix-sept ans  après l’avoir acquise en indivision, dans  une maison de campagne    où l’un d’eux a continué à habiter.
Mais le temps a passé et les deux autres, un homme et une femme veulent absolument la vendre; les pièces  rapportées, y compris la très jeune fille de l’un d’entre eux, qui ne se connaissent pas  du tout,  comptent un peu les points sans  prendre parti… Ambiance! Les amis ont bien changé, les idéaux ne sont plus tout à fait les mêmes, et  les belles et anciennes amitiés ne pèsent évidemment plus grand chose dans la balance!
L
es choses ne vont donc pas être faciles à négocier. Même si chacun tente d’y mettre du sien… La direction d’acteurs est impeccable, et Julie Deliquet, passée par l’école Lecoq, possède, c’est évident, une sacrée maîtrise du plateau. Même si comme dans La Noce, on entend parfois mal les acteurs. Mais cela est encore tout à fait perfectible.
63974-in_vitro_nous_sommes_seuls_5270_bd_sabine_bouffelleAprès une courte pause, arrive le dernier volet, Nous sommes seuls maintenant, une « création collective »  (appellation très en vogue dans les années 70, cela nous rajeunit!).  Sur le plateau, une grande table et une plus petite, habillées du très ancien (16 ème siècle, merci pour la précision, du Vignal) et très célèbre Vichy bleu.
Il y a suffisamment de chaises dépareillées pour douze personnes, autour de la table, où il a plein de bougies,  et de la charcutaille en apéro … On est  chez François et Françoise,un couple de bobos, accompagnés de leur jeune Bulle de vingt ans; ils viennent d’acquérir une vieille ferme dans les Deux-Sèvres, et  avec des amis et leur proche voisin,  éleveur de bovins, ils ont  improvisé ce apéro/ repas où on rit beaucoup, on  boit beaucoup, et pas que de l’eau…
On parle de tout et de rien. Les personnages de parents soixante-huitards, qui ont eu pour idéal une remise à plat des mœurs mais qui ne font guère mieux que leurs géniteurs, sont bien campés, et Julie Deliquet a demandé  aux acteurs d’apporter leur petit sac de  grain à moudre aux répétitions pour arriver à construire une trame, à partir d’improvisations.
Mais  elle dit que « c’est une pièce à part et que  le texte est improvisé chaque soir. C’est de la création instantanée, la parole est vraiment collective donc c’est un sacré travail d’écoute ». (Bon, on veut bien!) Avant de reconnaître bien évidemment,que « certaines choses finissent par s’écrire car elles deviennent nécessaires à l’histoire. »   Elémentaire, mon cher Wattson!  Cela dit, les comédiens sont tout à fait  sensibles et expérimentés, entre autres: Jean-Christophe Laurier, Annabelle Simon, Eric Charon: ils savent ce qu’une impro veut dire, et en connaissent à fond toutes les ficelles orales et gestuelles. Leur engagement- des heures et des heures de travail non rémunéré bien entendu,  est sûrement total et mérite le respect.
Oui, mais… Il y a quand même  dans ce troisième opus de graves défauts dans la conception comme dans la mise en scène.  Désolé de le dire aussi brutalement mais ces interminables bavardages sur la campagne et la philosophie de la vie sont vraiment sans intérêt et distillent vite un parfait ennui; le spectacle, très textuel, ne tient donc pas vraiment la route, surtout sur  plus de quatre vingt-dix minutes! Ces impros même bien travaillées, ne sont en effet pas fondées sur une dramaturgie suffisamment solide, et l’ensemble fait donc très exercice de style que l’on peut débiter au kilomètre – certes parfois brillant mais souvent naïf- et qui tient trop d’un travail d’école.
Et,  comme les dialogues sont souvent à un  deuxième degré qui rejoint le premier, là, cela ne va plus du tout! Bref, ce qui aurait pu être un petit hors-d’œuvre sympathique en quarante minutes maximum, devient quelque chose d’estoufadou, et du coup,  ce spectacle en trois volets n’en finit pas de finir.
D’autant qu’il y a une erreur cette fois encore rattrapable: douze personnages (!)  sont assis la plupart du temps ou debout autour de la grande table de repas tout à fait crédible… mais disposée de telle façon que le public en est  exclu. On a en effet la désagréable impression de ne pas faire partie de cette famille élargie où les gens se font plaisir. Cette scénographie  aurait dû, dans ce cas de figure, être  quadri-frontale, ce qui, de plus, n’aurait pas nui du tout aux autres pièces.
Bon, cela s’apprend et ce sont juste  des erreurs de tir! Reste, même encore brut de décoffrage, la consécration d’un collectif, puisque collectif il y a, et qui constitue un des meilleurs éléments de cette nouvelle et jeune génération de chefs de troupe et metteurs en scène comme Muriel Sapinho, Thomas Jolly, Anne Barbot, Jean Bellorini, Jeanne Campbel, Benjamin Porrée, Julien Gosselin, etc…. Ce n’est évidemment pas un hasard!
Et ce que disait en 1953, Malcom Cowley, le conseiller littéraire des éditions Wiking qui éditèrent Jack Kerouac, s’applique fort bien au théâtre français de ce début de XXIème siècle: « Les écrivains dont on se souviendra, ne surgissent pas isolément, mais apparaissent en cohortes et en constellations sur fond d’années relativement vides ».
Bref, que l’on se le dise: il y enfin un vent nouveau sur les plateaux de la douce France théâtrale, et on s’en réjouit par ces temps moroses…

Philippe du Vignal


Théâtre des Abbesses jusqu’au 28 septembre

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