Woyzeck

Woyzeck, texte de Georg Büchner, mise en scène de Pierre-Yves Bon

 

Cette  pièce  mythique restée inachevée, a été montée par les meilleurs metteurs en scène: comme, entre autres: Matthias Langhoff,  André Engels, Thomas Ostermeier, Stéphane Braunschweig… Ecrite par un jeune écrivain allemand de 24 ans, mort cette même année 1837, elle est fondée sur un fait divers réel: Johan Christian Woyzeck, un ancien militaire fut accusé d’avoir poignardé son amoureuse qui avait eu un enfant de lui.
Georg Büchner était écrivain, surtout connu pour ses trois pièces (Woyzeck, Léonce et Léna, et La Mort de Danton et révolutionnaire: il mena sa courte vie à défendre les idées socialistes, sous l’influence d’Auguste Blanqui et Saint-Simon.

  Mis sous mandat d’arrêt, il fut obligé de s’enfuir et vécut à Strasbourg, puis poursuivit des recherches en  anatomie, mais, deux ans plus tard, mourut  du typhus à Zurich. Pierre-Yves Bon y voit les prémices  d’une réflexion sur l’humain:  » La compétitivité, dit-il, est le mot clé de ce début du XXIe siècle. Quand l’homme veut plus de lait, il crée des vaches capables de lui donner plus de lait, quand l’homme veut plus de maïs, alors il trouve un moyen de produire cent quintaux à l’hectare. Crise économique et financière, crise environnementale, crise du sens et des valeurs, crise politique et crise du vivre ensemble: le monde est malade et le temps est compté ».
  Cela est loin d’être faux mais la relation avec Woyzeck est moins évidente: « C’est de ce constat, volontairement axé sur les problèmes de notre siècle, qu’a démarré l’envie de faire de Woyzeck une mise en scène engagée », dit aussi, et avec quelque naïveté, le metteur en scène, issu comme ses comédiens de chez  Florent où les cours de dramaturgie doivent être aux abonnés absents!
  Ce Woyzeck commence en effet en 2091, après une troisième guerre mondiale, où les survivants essayent de survivre aux effets des armes nucléaires. Woyzeck vit avec Marie et leur bébé d’un an est né dans un utérus artificiel, dans un abri-tente. Mais évidemment la suite  ne correspond pas à cette idée « d’un futur contaminé par les excès de notre temps ».
Tous les personnages sont en treillis militaire et les scènes se jouent autour d’un sèche-bouteilles tissé de câbles noirs, avec, à côté,  une roue de vélo sur sa fourche que l’on fera tourner (références à Marcel Duchamp? mais on ne voit pas très bien la relation que l’on peut établir entre ces ready-made et  l’univers de Büchner). On ne discerne pas non plus très bien le dénuement et la  quasi-misère où vit ce couple qui sont un des moteurs de l’action dans la pièce d’origine, et cela c’est bien dommage…
  En fait, si le texte est respecté, il n’y a pas la moindre émotion dans cette mise en scène assez prétentieuse (sauf à de trop rares moments et grâce à Liza Machover/Marie qui, seule,  semble avoir compris le personnage de Büchner) les garçons eux surjouent et criaillent. Rien n’est vraiment convaincant dans cette réalisation un peu ennuyeuse ni la scénographie avec ces deux arbres morts symbolisant sans doute le désastre nucléaire,  ni la direction d’acteurs.
Il y a, côté cour,  bien éclairé un jeune homme qui ,devant des écrans  d’ordinateur, semble s’amuser comme un fou à programmer sons et lumière. Cela fait visiblement partie de la  » mise en scène »… Mais on constate vite que, ce qui aurait dû rester un travail d’atelier n’a guère sa place devant un public.
Le soir de la première, les copains et les familles applaudissaient, tant mieux! Mais comment trouver son compte  dans cet avatar d’avatar de Woyzeck pour lequel on ne peut avoir d’indulgence...
La jeunesse de Pierres-Yves Bon ne constitue pas une excuse et on se demande comment il a pu réussir à emmener ses copains de cours dans une aventure à la limite de l’amateurisme distingué, et de toute façon sans lendemain.

Philippe du Vignal

Théâtre de Belleville, 84 rue du Faubourg du Temple 75011 Paris jusqu’au 1er novembre.

 


Archive pour octobre, 2014

Sœur, je ne sais quoi frère

Soeur, je ne sais pas quoi frère
 de Philippe Dorin, mise en scène de Sylviane Fortuny

imageInutile de chercher ici une logique, hormis la présence de cinq comédiennes qui ont entre dix et soixante-quinze ans, mais rien de ressemblant ,si ce n’est qu’elles sont sœurs et soudées, comme les doigts de la main, par un secret de famille. Sans oublier la poupée de la gamine, en bout de chaîne.
Pas de continuité narrative non plus: les situations se succèdent, sans lien les unes avec les autres, comme improvisées, et, qui loin d’éclaircir la fable, l’opacifient. Qu’est-ce qui se cache au fond du placard, les enfermant dans l’atmosphère étouffante d’un gynécée , en attente d’une figure masculine, prince charmant ou papa manquant, le père s’étant absenté, même si son ombre plane toujours?
Sommes-nous, dans une grande maison assiégée de la Russie tsariste, menacée par les communistes et leurs grands couteaux ? Dans un conte qu’elles jouent à se raconter, en le ponctuant de petites ritournelles en forme de comptines? Résoudre l’énigme dissimulée dans un entrelacs de fausses pistes, voilà qui tient en haleine!
Les cinq sœurs trouveront bientôt une petite clef providentielle qui leur permettra d’échapper l’une après l’autre à cette situation bizarre, par la petite porte de derrière.  Elles  se libèrent enfin les unes des autres, rompant ainsi le cercle infernal des cadavres qui gisent au fond des armoires…
Philippe Dorin livre une fois encore un texte ouvert à toutes les interprétations, un riche champ de manœuvre pour le metteur en scène, les comédiennes, et  le public. Il distille un mélange de poésie et de concret, que Sylviane Fortuny  a traduit finement en images, en alternant, dans un décor dépouillé, ambiances lunaires et terre-à-terre.
Les adultes prennent autant de plaisir à ce spectacle que les enfants (à partir de neuf ans) à qui il est destiné. À voir et à lire !

Mireille Davidovici

Théâtre Paris-Villette -– 75019 Paris, 28 octobre -7 novembre ; T. 01 40 03 74 20
 Argenteuil, Le Figuier blanc – 95,  9-12 novembre; T. 01 34 23 58 00
- Sablé sur Sarthe (72)
- L’Entracte -, 25 novembre ; T. 02 43 62 22 22

Le texte est publié à l’École de Loisirs, comme la plupart des pièces de Philippe Dorin.

Le Mariage de M. Weissmann

Le Mariage de M. Weissmann,  de Karine Tuil, adaptation et mise en scène de Salomé Lelouch

  001 Dans Interdit, le second roman de Karine Tuil, dont Le Mariage de M. Weissmann est issu, Saül Weissmann,  soixante-dix ans, vit rue des Rosiers à Paris. Circoncis, reconnu comme juif par les Allemands, il fut malheureusement déporté à Auschwitz. Il décide un jour de se marier avec Simone, qu’il a rencontrée à l’amicale des randonneurs juifs de France.
Mais des ennuis, qu’il n’avait pas du tout prévus, vont alors commencer pour  lui: devant le rabbin qui use d’arguments des plus spécieux, il ne peut fournir les preuves  qu’il est  bien juif; selon la loi de Moïse, en effet il ne l’est  pas, et il lui est donc interdit de se marier religieusement.
C’est à la fois grotesque et pathétique, kafkaien et drôle. Simone va le quitter, et c’est comme une sorte de double qui va alors s’installer en lui, le profondément juif et le non-juif. Il  devient alors la victime d’une grave crise identitaire: être ou n’être plus.

« Je m’appelle Saül Weissmann mais ne vous fiez pas à mon nom qui est juif, en dépit des apparences. J’ai été, pendant soixante-dix ans, un imposteur pour les autres et pour moi-même « .
Sur le plateau, pas grand chose qu’un sorte de petit lit incliné en latté peint en gris et quelques tabouret noirs de différente taille, et avec un écran pour des projections vidéo. Ce premier moment, bien écrit, à l’humour cinglant, est tout à fait réjouissant, même  si le dialogue a souvent des couleurs de théâtre de boulevard un peu facile, avec des mots d’auteur à répétition.
Comme les trois comédiens habillés à l’identique: pantalon et chaussures marron, chemise à carreaux: Jacques Bourgaux, Mikaël Chirinian et Bertrand Combe
, ont un solide métier, cela arrive à passer mais ensuite le rythme n’y est plus et on est à la limite de l’ennui.( On sait toute la difficulté des adaptations de romans à la scène).
La faute à quoi: d’abord, à un texte et à une dramaturgie qui n’arrivent pas à tenir les promesses du début.  Cela aurait pu faire un bon sketch de quinze minutes maximum mais pas plus. La faute aussi à une mise en scène faiblarde: Salomé Lelouch aurait pu nous épargner, entre autres, ces pauvres vidéos avec poussière d’étoiles et paires d’yeux  aux pupilles agrémentées d’une étoile dorée (de David?) qui surlignent inutilement le texte. Et ces cinquante-cinq minutes deviennent longuettes.
Alors, à vous de décider si, à vingt trois euros minimum, la chose en question fait vraiment une soirée de théâtre…

Philippe du Vignal

Théâtre La Bruyère, rue La Bruyère 75009 Paris, à 19 heures.


Le Petit Poucet, d’après Charles Perrault, mise en scène de Laurent Gutmann

Le Petit Poucet ou Du bienfait des balades en forêt dans l’éducation des enfants, d’après Charles Perrault, mise en scène de Laurent Gutmann

 Cela se passe au Théâtre Paris-Villette, Scène contemporaine jeunesse. Avec Charles Perrault, cette histoire de tradition orale s’inscrivait comme genre littéraire et conte merveilleux. Mais adultes, nous n’en avons plus souvent que de vagues souvenirs: les petits cailloux blancs laissés en chemin par le petit garçon au cours d’une promenade avec ses parents, l’ogre, les bottes de sept lieux… Ici, dans cette adaptation, ce fils unique de bûcherons très pauvres est si petit qu’on l’appelle le petit Poucet. Mais leur misère est  telle qu’ils ne peuvent plus le nourrir. Et un jour, il entend leur terrible décision: ils veulent l’abandonner dans les bois… La première tentative échoue:  il avait semé des cailloux blancs derrière lui. La deuxième réussit et alors va commencer l’aventure, à la fois merveilleuse et terrifiante, du Petit Poucet…

Dans son ensemble, l’adaptation de Laurent Gutmann reste fidèle à la trame du conte original. Mais auteur et metteur en scène, il s’est demandé avant tout, quel acteur choisir pour le rôle-titre. « Je ne voulais pas grimer un adulte en enfant. Alors, dit-il, j’ai  donné le rôle à un acteur de petite taille mais je ne veux ne fait pas croire que c’est un enfant… » Et il a ajouté un sous-titre: Ou le bienfait des balades en forêt dans l’éducation des enfants, à ce spectacle qui est aussi la parole et le regard de parents aujourd’hui sur l’éducation de leurs enfants, l’amour,  l’individualisme…

Le contexte socio-économique du XVII ème n’est évidemment plus le même de nos jours avec consommation et mondialisation… Au fil du spectacle, on se demande qui est l’enfant et qui est l’adulte. Laurent Gutmann, dans sa réécriture du texte, comme dans sa mise en scène, crée un décalage avec violence, poésie et humour, voire grotesque! Ce conte décalé parfois d’une certaine grossièreté, aux scènes hautes en couleur et très amusantes pour les adultes mais sans doute plus troubles pour les enfants, engendre une parole théâtrale politique très vivante…

Décor symbolique soigné excitant l’imaginaire, langue crue et tendre, acteurs à la fois, drôle et d’une férocité émouvante… Le spectacle empreint d’un onirisme parfois dérangeant, nous emmène, enfants comme adultes, pour notre plus grand bonheur au fond de nous-mêmes… Sur des chemins encore inconnus ou déjà oubliés.

Elisabeth Naud

Théâtre Paris-Villette 211 avenue Jean-Jaurès, Paris (XIX ème) T. : 01 40 03 72 23. Jusqu’au 25 octobre, et en tournée jusqu’au 19 décembre.

Le texte paru aux Editions Lansman.

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Performance d’Eric da Silva

Bonjour  Monstre short cut, et Pt’it Louis, Performance texte et mise en scène d’Eric da Silva avec Henri Devier, vidéo et dispositif multimédia de Frédéric Vallet et Alexis Pawlak

flyerwebLa Générale, vaste lieu désaffecté appartenant à la Ville de Paris, géré depuis dix ans par un collectif d’artistes, accueille régulièrement des équipes qui viennent y répéter et  donner une série de représentations, dont Mirabelle Rousseau qui y avait présenté trois spectacles (voir Le Théâtre du blog).

Éric da Silva créa sa compagnie L’Emballage Théâtre, voilà une trentaine d’années, avec  Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat à  Suresnes. Il  créa aussi Nous sommes si jeunes  et  connut un début de reconnaissance institutionnelle, grâce à Bernard Sobel qui l’accueillit à Gennevilliers avec Peer Gynt et Je suis Hiroshima 100 000° de plus que toi, puis au Théâtre de la Bastille.  Rapidement déçu, il abandonna le Théâtre pendant quelques années pour se consacrer à l’enseignement, y revint heureusement voilà six ans, avec  cet étrange Est-ce que quelqu’un sait où on peut baiser ce soir qu’on a pu voir en Avignon Off. Éric da Silva, haute stature et longue chevelure, pénètre dans l’espace scénique, vêtu d’une longue jupe de satin bigarrée, son puissant torse  maquillé de vert.

Il débite à un rythme impressionnant un texte qui défile derrière lui sur un écran, au rythme des musiques d’Alexis Pawlak à l’ordinateur : «Je ne sais pas ce qui m’a pris, comme chez Artaud, ce qui n’est pas cruel n’est pas représenté (…) un bruit, une odeur, un frémissement dans ma tête (…) Je deviens vers la mort une fois pour toutes (…) je deviens transsexuel, transformiste ». Difficile de relater plus avant cette ébauche déroutante d’une performance en train de naître mais on ne peut détacher les yeux  d’ Eric da Silva…

Dans la deuxième partie, une ébauche de P’tit Louis dans la rue,  même défilé du texte sur un écran mais Eric da Silva a cette fois le torse rougi, avec une allure de grand-prêtre oriental : «Comme un fou, un assassin, je ne veux pas mourir du sida …». Il s’agenouille, avec un accompagnement frénétique à la guitare, la tête relevée en arrière et calme un début de saignement de nez. Fred : Tout à l’heure quand il est parti sur son délire de vouloir changer de sexe, tu te souviens ? Henri : Oui et alors ? Fred : J’ai eu envie de lui dire quelque chose comme t’as pas besoin de te biler et… Henri : Quoi ?  Fred : J’ai pas osé. ».

Edith Rappoport

Ces performances  ont été présentées à Anis Gras  à Arcueil jusqu’au 28 octobre. 

Le Moral des ménages

Le Moral des ménages, adaptation du roman d’Éric Reinhardt, mise en scène de Stéphanie Cléau

 8-moral1Manuel Carsen s’en prend obssessionnellement tout au long du récit qu’il fait de son enfance, au gratin de courgettes servi trois fois par semaine, et au camembert dont les portions sont comptées.  Symboles, pour lui, de la famille de Français moyens où il a été élevé. «Je n’ai jamais vu mon père manger du camembert sans que ma mère lui demande de ne pas trop en manger. Au bureau, on lui baisait la gueule. À la maison, on le rationnait sur le camembert. »  Affligé, amer, puis excédé par la soumission de son père, cadre commercial sans envergure que l’on piétine au travail et qu’on humilie en famille, le fils en vient à haïr cette  classe moyenne dont sa mère est la représentante. «Les ménagères de cette classe moyenne, on n’en parle absolument jamais. Ces gens-là qui pourrissent l’atmosphère de leur misérabilisme de pacotille (…) Il faudrait pourtant leur dire, à ces ménagères qu’elles ont figé l’économie du pays. La spontanéité, l’insouciance, la glisse, le plaisir, le bonheur, l’ivresse sont des notions qui n’ont pour elles aucun sens… ». Malgré la virulence du texte et la cruauté de ce qu’il rapporte par le menu, Mathieu Amalric adopte un jeu nuancé, en modulant parfois ses paroles au micro comme des confidences adressées au public. S’il sait se montrer acerbe, il ne cache pas la tendresse de Manuel pour ce père qu’il imagine en aventurier, pilote d’hélicoptère, tandis que s’élève au-dessus du plateau un petit hélicoptère téléguidé par Marie-Laure Tondu. Moins ambiguë, elle va davantage vers la caricature et  interprète tous les personnages féminins de la pièce: créature de rêve dénudée et sexy, adolescente allumeuse et moqueuse, mère revêche et castratrice et la propre fille du narrateur qui crache son venin à la figure de son géniteur… Juste retour des choses! L’adaptation du roman éponyme fait la part belle à une écriture au cordeau, rude et imagée, parfois triviale, dont l’humour contrebalance la verdeur. C’est un plaisir d’entendre cette langue plus saisissante que celle d’Elisabeth ou l’Équité du même Éric Reinhardt vue en novembre 2013, au Théâtre du Rond-Point (voir Le Théâtre du blog). Pour sa première mise en scène, Stéphanie Cléau qui a été l’assistante Jean-François Peyret, a été à bonne école et a choisi un décor chic et glacé, à l’image d’un magasin de vêtements BCBG, avec peu d’accessoires, quelques touches colorées et des gadgets kitch… pas toujours du meilleur goût. Par contraste, les grands dessins brunâtres de Blutch, zébrés de traits tourmentés et projetés en fond de scène, ouvrent un arrière-plan tragique à ce drame petit-bourgeois. On apprécie la concision du spectacle, une heure seulement alors que le roman compte de plus de deux cent pages en livre de poche,  et l’engagement de Mathieu Amalric qui insuffle beaucoup d’humanité à un personnage ambivalent et fort peu aimable. Nous sommes resté souvent extérieurs à ce jeu de massacre mais sans regret d’être venus…

Mireille Davidovici

Théâtre de la Bastille, du 22 au 31 octobre et du 3 au20 décembre, 78 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14 22. Théâtre de Saint-Nazaire, du 4 au 6 novembre et Les Colonnes de Blanquefort (Gironde),  du 28 au 30 novembre.

 Le Moral des ménages est publié chez Stock (2002) et en livre de poche.

 

 

La Passion des soldats de la grande guerre

La Passion des soldats de la grande guerre, d’après les écrits et témoignage de Maurice Genevoix et Ernst Jünger, adaptation et mise en scène de Xavier Gras

 

2Decommedia0496Coïncidence : en 1914, Ernst Jünger, 19 ans et Maurice Genevoix,23 ans, sont mobilisés,et en 1915, l’un, simple bidasse, l’autre, sous-officier, se trouvent de part et d’autre du front des Eparges (Meuse), où ils seront tous deux blessés. Ils écriront leur guerre, le premier dans Orages d’acier, le second dans Ceux de 14.
Pour porter ces récits à la scène, Xavier Gras a réparti ces textes entre six jeunes comédiens, trois Allemands et trois Français: quatre garçons, deux filles. Tous revêtus du même uniforme grisâtre, forment un chœur bilingue. Tantôt rassemblés, tantôt opposés, ils crapahutent deux heures durant sur le plateau nu, avec, pour seuls accessoires, des cantines métalliques et des couvertures.
Depuis le départ, la fleur au fusil, jusqu’à l’épreuve du feu:  peur, pluie, froid, boue, spectacle de la mort, blessures… Toutes horreurs, que l’on a lues ou vues maintes fois au cinéma, nous sont ici contées, mais aussi les amitiés forgées dans la tourmente, et les petits bonheurs: une jolie fille entr’aperçue à l’auberge, un bon café partagé dans l’abri, une pipe de tabac gris lentement savourée, un ennemi qu’on épargne…
En français et en allemand, les deux récits se répondent, obéissant à un strict parallélisme, chacun sur-titré dans l’autre langue. Plus lyrique et intimiste chez Ernst Jünger, plus réaliste et truffé de dialogues  ou d’anecdotes chez Maurice Genevoix.
Les comédiens font résonner avec talent ces écritures ouvragées et imagées. On apprécie ces styles du début du XXème siècle, leur musicalité et leur rythme singulier et on  a envie de lire ou relire ces deux œuvres, en particulier Ceux de 14  de Maurice Genevoix qui sait  restituer avec précision les parlers locaux des poilus, dire la camaraderie, rendre la proximité des corps, leur chaleur et leur hébétude, ou leurs tremblements…
L’adaptation scénique accompagne au plus près l’expérience de ces écrivains, mais le spectacle  pourrait être plus dynamique si le metteur en scène éliminait quelques redondances. La chorégraphie brouillonne des corps dans l’espace nuit à l’écoute des textes,  et notre  attention se perd parfois dans les déplacements incessants des acteurs.
La bande-son constituée de bruitages illustratifs ne semble pas non plus  indispensable. Reste un projet original imaginé dans l’esprit d’un dialogue franco-allemand, qui  permet de découvrir des textes qui se nourrissent l’un de l’autre et qui, à l’unisson, clament l’absurdité de la guerre, l’héroïsme en pure perte, l’injuste boucherie infligée à la jeunesse.
Plus jamais ça, disent-ils. Que ne les entend-t-on!

 Mireille Davidovici

Théâtre de l’Opprimé jusqu’au 26 octobre 78 rue du Charolais 75012 Paris T.01 43 40 44 44
5 Novembre  à La Valette du Var 83160

www.lapassiondessoldats.com

14, lecture spectacle


14 , lecture-spectacle, texte de Jean Echenoz, de et avec Nicole Garcia, Inès Grunenwald, Guillaume Poix, Pierre Rochefort, et au violon, Alexandre Welmane

  14_GiovanniCittadiniCesi_003En toile de fond, et en guise de réplique imagée des quatre comédiens debout, le public contemple, comme évidente, une photo en noir et blanc de quatre jeunes soldats de la guerre de 14, debout, en uniforme sombre. Une photo-souvenir, comme on en trouve parfois dans les greniers de maisons de campagne, une photo encadrée pour protéger la jeunesse, à la fois si proche et si lointaine, de ces appelés à la mine grave, regard franc et  sourire en coin, cigarette à la bouche, calot sur la tête et bons mots entre copains. On croyait que l’affaire allait durer quinze jours, « sauf que quinze jours de plus après, trente jours plus tard, au bout d’autres puis d’autres semaines… », on n’entrevoyait aucune fin.
Peut-être, ces quatre-là, débarqués de Vendée dans les Ardennes, viennent-ils de se tenir au garde-à-vous, pour écouter leur capitaine promettre qu’ils reviendront tous à la maison, à condition  de rester propres ! Copains de pêche et de café, il y a, ainsi, affectés  à diverses  fonctions,  Padioleau, le garçon-boucher, Bossis, l’équarisseur et Arcenel, le bourrelier, et Anthime Séze, le comptable de l’usine de chaussures Borne-Sèze en Vendée, et  son frère aîné,  le méprisant Charles Sèze. .
Les Borne dirigent cette usine, et Blanche est leur belle fille et leur unique héritière, avec qui les deux fils Sèze vivent une histoire d’amour singulière. Au moment du départ, Blanche est venue leur faire ses adieux : « Comme il s’y attendait, Anthime a d’abord vu Blanche porter vers Charles, un sourire fier de son maintien martial puis, comme il arrivait à sa hauteur, non sans surprise, il a reçu d’elle une autre variété de sourire, plus grave, et même lui a-t-il semblé, un peu plus ému, soutenu, prononcé, va savoir au juste. »
Nous ne dévoilerons pas l’intrigue pour laisser intact le plaisir du spectateur. À côté des sentiments intimes, Jean Echenoz défile patiemment l’écheveau, plus rêche, des horreurs de la guerre, avec des obus qui explosent et déchiquètent les hommes : «Le silence semblait donc vouloir se rétablir, quand un éclat d’obus retardataire a surgi, venu d’on ne sait où, et on se demande comment, bref comme un post-scriptum. C’était un éclat de fonte, en forme de hache polie néolithique, brûlant, fumant, de la taille d’une main, non moins affûté qu’un gros éclat de verre. Comme s’il s’agissait de régler une affaire personnelle sans un regard pour les autres, il a directement fendu l’air vers Anthime, en train de se redresser et, sans discuter, lui a sectionné le bras droit, tout net, juste au-dessous de l’épaule. »
Son frère Charles, le pistonné, lui, a quitté l’infanterie ; il y a une scène éloquente, où, pour une mission de reconnaissance, on le voit installé derrière le pilote dans un biplan à deux places, un petit avion Farman F37, que l’auteur compare à un moustique qui finit par s’écraser au sol: son  pilote vient d’être touché à l’œil et à la tête par la balle tracée d’un fusil allemand.
Avec un regard ironique et moqueur, Jean Echenoz vise toujours juste la qualité existentielle des êtres, et se tient à  égale distance, à la fois d’un compte-rendu objectif de la guerre et d’une autre dimension, romanesque. Près du trio amoureux, Nicole Garcia, narratrice inventive à l’humour mi-figue mi-raisin, traduit pour le spectateur, au détour d’une phrase percutante, l’injustice de ces vies.
Acuité et justesse de cette vision de l’enfer de  cette guerre…

 Véronique Hotte

 Théâtre du Rond-Point, Paris,  jusqu’au 24 octobre à 20h30. T : 01 44 95 98 21

Livres et revues

Livres et revues:

A L’Oeil nu d’Alice Roland.

livre-a-l-oeil-nu« Nous avons montré nos culs. Nous avons trouvé que c’était un excellent métier, meilleur que tous ceux qu’on nous avait recommandés. Nous avons vu quantité de corps, ceux des hommes et les nôtres, face à face dans l’espace feutré d’un sex-show. C’était très instructif, et pas seulement du point de vue anatomique : surgissaient des questions morales, sentimentales, politiques et même métaphysiques. Des questions sérieuses, en somme – plus sérieuses que nous. Qui, nous? Quelques strip-teaseuses réunies là, témoins des jours fastes ou médiocres d’une fabrique d’hétérosexualité de pacotille, fête foraine sexuelle ouverte de midi à minuit et regorgeant de corps et de pensées à décortiquer. »
Voilà, tout est dit ou presque. À l’origine de cet À L’Œil Nu,  un sex-show, que l’on pourrait qualifier de » spectacle à public mais (non à tarif!) réduit… voire individuel aux scènes à caractère ouvertement sexuel, mimées/jouées par de jeunes femmes mais sans aucun contact physique avec les client(e)s, du moins dans le lieu lui-même…
Leur origine remonte aux petits films érotico-pornos doux, tournés aux Etats-Unis, au début du XXe siècle et comme on pouvait encore en voir sur les petits écrans d’appareils à pièces,vers les années cinquante en France dans les fêtes foraines mais uniquement, si on avait 21 ans… Et (rare exemple d’une émigration du cinéma vers le théâtre ou le spectacle, et non l’inverse), sont apparus ces sex-shows ou peep-shows vers 1970 encore aux Etats-Unis puis en Europe, endroits  où de jeunes femmes s’exhibaient seules ou à  deux  dans de petites salles ou dans des cabines, avec le but évident (mais pas toujours avoué) de provoquer une éjaculation rapide chez le client. Les quelques salles restantes seront  peut-être classés un jour classées monuments historiques, la  déferlante Internet les ayant vite remplacées!

  Il y a œil (cul comme  dans l’argot du XIXe siècle?) et nu, comme le sont les jeunes femmes qui y travaillent dans ce qu’il faut bien nommer un lieu de spectacles , un « théâtre de papier » comme  dit  l’un des personnages). Le texte d’Alice Roland est fondé sur une expérience réelle; il y a en effet des détails d’une telle précision  que cela ne trompe pas, et la jeune écrivaine connaît, ou a connus,  de près ces endroits plutôt glauques mais qui tiennent  un peu malgré tout d’une cellule familiale avec ses affections avec comme elle dit « des liens affectifs » et ses haines, pour ces travailleuses. Avec aussi, comme unique personnage masculin, une sorte d’appariteur/surveillant/caissier et homme à tout faire…
  Mais le livre n’est pas une description mais une sorte de plongée quasi-ethnologique à l’intérieur d’un monde, aussi clos que pouvaient l’être les bordels ou maisons « closes » (du nom de leurs  volets obligatoirement fermés) avant leur fermeture en France. Cette suite de narrations à la première personne, si elle ne nous épargne rien de la vie au quotidien de ces strip-teaseuses, non prostituées pour la plupart et qui y gagnent leur vie, participe surtout  d’une belle  interrogation/réflexion des plus lucides sur la vie sexuelle de l’humanité, avec un regard sans concession mais plutôt bienveillant sur les clients – en majorité des hommes – qui fréquentent ces peep-shows.
  Les mots sont souvent crus mais jamais racoleurs: « Ils étaient des pantins, et nous, des poupées, à l’état ou on se connaissait.  Peut-être il n’y avait de réel que la gelée de sperme ( à recommencer, toujours) dans les deux cagibis nommés isoloirs, et le transfert d’argent qu’opérait la banque quand ils tapent leur code de carte bleue. Et encore. L’argent c’est du vent ».
Le livre d’Alice Roland rappelle souvent celui de Catherine Millet, La vie sexuelle de Catherine M. : mêmes lucidité et volonté de dire les choses, même intelligence, même écriture très ciselée; l’écriture des trente dernières pages s’essouffle un peu, mais ce livre ne peut laisser personne indifférent.

Editions P.O.L. 365 pages, 17,90 € 

Metteurs en scène et scénographes du XXe siècle d’Odette Aslan

c_aslan_metteurs-1Dans la collection thXX dirigée par Béatrice Picon-Vallin, vient de paraître un gros volume consacré à l’évolution à la fois, de la mise en scène, de l’architecture des théâtres mais aussi du décor, et de ce qu’on appelle maintenant la scénographie. Et cela dans  toute la seconde moitié du XXème siècle qu’Odette Aslan a particulièrement bien connu, au cours des répétions et/ou représentations de spectacles cultes auxquels on ne cesse encore de se référer.
Georges Pitoeff, puis Tadeusz Kantor, Bob Wilson, Matthias Langhoff, furent le plus souvent leurs propres scénographes mais les grands noms, de Jean Vilar, est lié à celui de Léon Guischia, de Louis Jouvet à celui de Christian Bérard, de Charles Dullin à celui d’André Barsacq, de Gaston Baty à celui d’Emile Bertin, d’Otomar Krejča à celui de Josef Svoboda, de Patrice Chéreau à celui de Richard Peduzzi, d’Ariane Mnouchkine à ceux de Roberto Moscoso et de Guy-Claude François, d’Antoine Vitez à celui de Yannis Kokhos, de Strehler à ceux de Luciano Damiani et de Gustavio Frigerio, de Peter Brook à celui de Michel Launay, de Klaus-Michaël Gruber à ceux de Gilles Aillaud et d’Eduardo Arroyo, de Roger Planchon à celui de René Allio, d’Alfredo Arias à celui de Roberto Plate, etc… Odette Aslan ne parle pas, on se demande pourquoi,  et c’est dommage, de cet autre couple Jérôme Savary/Michel Lebois. On doit à ce dernier presque tous les beaux décors de ses créations pendant plus de trente ans…
Mais elle analyse, et fort bien, toute une série de spectacles, pour la plupart créés en France où l’œuvre du scénographe aura été absolument déterminante pour la conception et l’emploi de l’espace, et qui auront marqué des générations de spectateurs. Odette Aslan commence ce voyage passionnant par une étude rapide de ce que fut la scénographie au début du XXème siècle. On les sait (mais sans doute pas les lecteurs d’aujourd’hui,  étudiants ou non)  et c’est un rappel historique fort utile: tout, ou presque, était déjà né il y a un siècle déjà, avec l’introduction du béton armé comme base de scène au Vieux-Colombier par Jacques Copeau, du décor à scènes simultanées  pour Les Criminels de Brückner par Georges Pitoeff qui avait suivi une formation de peintre et qui fut aussi, comme on l’a dit, son propre scénographe, de l’importance capitale de la lumière dans les mises en scène de Gaston Baty qui fut, lui, beaucoup influencé par les théâtres allemand et russe (il eut l’audace d’accueillir Brecht  avec son Opéra de Quat’sous) et, qui, bien avant Jean Vilar, avait déjà supprimé la rampe. C’est cela qu’Odette Aslan retrace avec beaucoup de soin et de méthode.
Elle analyse de très près la période de l’après-guerre et la suivante: c’est tout un panorama fascinant du théâtre contemporain qui défile ainsi, avec, pour la plupart, les spectacles que nous avons vus depuis un demi-siècle. Et pour ceux qui n’étaient pas encore nés, le livre constitue une bonne introduction à une période de création tout à fait florissante.
Au chapitre des réserves, il y a certaines imprécisions ou  erreurs concernant, notamment les spectacles de Tadeusz Kantor ou de Luca Ronconi, et des jugements  un peu péremptoires quand,  par exemple, Odette Aslan écrit « qu’à la primauté du texte, a succédé celle de l’image ». Ce qui est quand même un peu plus compliqué, si l’on en juge nombre de travaux actuels de jeunes metteurs en scène comme Sylvain Creuzevault, Thomas Joly ou Julien Gosselin, pour ne citer qu’eux…
On aurait aussi aimé avoir,  mais ce n’était sans doute le  propos de cette historienne du théâtre, un jugement critique sur les lieux et formes scéniques dont elle parle longuement; et cela aurait été tout à fait bien qu’elle traite de l’influence des nouvelles technologies sur la scénographie contemporaine. Elle remarque seulement (avec juste raison) que le vieux couple metteur en scène/scénographe ne peut plus fonctionner comme autrefois.
Il aurait fallu aussi étudier ce nouveau phénomène: pour cause de sérieuse diminution des aides publiques, le plateau nu ou presque, et/ou avec projections de vidéos, participe maintenant  d’une nouvelle esthétique chez les jeunes créateurs.
Ce qui implique sans doute une remise en cause évidente de la scénographie traditionnelle où ce plateau nu, sans pendrillons, doté de caméras et d’un grand écran en fond de scène pour projections vidéo, ressemble souvent un peu à celui d’un studio de cinéma. Avec éléments de décor de réemploi, voire trouvés dans la rue, comme aux heures glorieuses du théâtre new-yorkais des années 70, ce que fait, par exemple, Charlotte Maurel pour le collectif Julie Deliquet. Mais la question pourrait faire largement l’objet d’une autre  recherche…
Cela dit, ce livre, d’une grande précision, enrichi de nombreuses photos et dessins, d’un bon index et d’un lexique de termes techniques bien utiles au non-spécialiste, constitue une  excellente approche de la mise en scène et de la scénographie contemporaines…

Editions L’Âge d’Homme- théâtre XXe siècle.  25 €.

REVUE  INCISE 1. (qu’est-ce qu’un lieu?)

 visuel-incise12-380x253 Cela fait toujours du bien la naissance d’une revue! En l’occurrence, celle de Revue Incise. Elle « vient du théâtre en particulier, mais elle n’est pas à strictement parler une revue de théâtre. C’est depuis le théâtre qu’elle interroge l’époque. Et elle l’interroge avec une suqgestion et une exigence : le lieu et la critique ».
Le théâtre en particulier, c’est le Studio-Théâtre, avec, à sa tête, le scénographe et metteur en scène Daniel Jeanneteau qui est aussi  le directeur de publication de cette revue qui se veut  indépendante, et dont Diane Scott est rédactrice en chef.

Ce premier numéro est dense ( 226 pages un peu serrées!) avec onze  textes. Diane Scott prend soin de préciser qu’Incise s’adresse au théâtre et au-delà. (…) L’Incise convoque l’image contraire, celle d’une circulation qui travers les entre-soi et les répartitions d’expertise. Ensuite parce qu’à la question obsédante du théâtre – le public, son découpage, sa fidélité – c’est à dire une forme pervertie de questionnement sur le peuple, Revue Incise substitue la question qu’est-ce qu’un lieu? « 
Au sommaire, entre autres articles: la traduction du premier chapitre de La Marche des fanzineurs de jeux vidéos, d’Anna Anthropy, critique américaine et conceptrice de  jeu vidéo que l’auteure conçoit comme des fanzines, créateurs d’une nouvelle expression artistique- ce que peu de critiques américains, dit-elle, ont su discerner,  et qui sont aussi porteurs aussi d’une nouvelle contre-culture. Elle remarque justement que la création de jeux numériques, autrefois réservée aux ingénieurs et programmeurs qui savaient coder, est de plus en plus accessible  aux non-spécialistes de la chose qui peuvent grâce à l’évolution des techniques, réaliser leurs propres jeux et de les programmer en ligne… Ce qui change évidemment toute la donne en termes culturels.
Dans Paroles gelées ou le soulagement, Diane Scott analyse le spectacle de Jean Bellorini d’après Rabelais, comme modèle de plus en plus fréquent d’un nouveau paradigme culturel, avec l’émergence de la notion de « collectif », « en vue de récréer un théâtre populaire, avec un côté faussement bricolé ». Paroles gelées n’est pas malhonnête, dit-elle, (Jean Bellorini appréciera!) mais « il tente « de nous faire croire qu’il  produit un objet populaire, là où il ne s’agit que de connivences qui ont pour condition la fin même du populaire comme innocence sociale. Le spectacle agit ici d’une part comme fantasme et et d’autre part comme construction culturellement codifiée » , et « en jouant la carte du rassemblement social » .
Elle parle même, mais on ne la suit plus très bien « de plaisir afférent au prix de cette mystification ». Mais désolé, à leur époque certes et qui n’est plus du tout la nôtre, Jean Vilar dans la banlieue parisienne, Jean Dasté dans les petites villes autour de Saint-Etienne, Roger Planchon à Villeurbanne, etc.. faisaient-ils autre chose? Et la reprise avec beaucoup de succès au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, de Liliom de Ferenc Molnar, pièce légendaire entre toutes, par Jean Bellorini, même si on peut avoir des réserves sur sa mise en scène (voir Le Théâtre du Blog),  n’est pas un phénomène anodin…
  Egalement au sommaire de ce premier numéro: un article de Kristina Lowis, historienne de l’art sur le zoo de Vincennes où « sont exposés » des animaux d’autres continents, comme le furent autrefois (mais c’était quand même au XXe siècle!), des humains venus d’Afrique…Chercher l’erreur, comme elle le sous-entend…
Il y a aussi le début d’un texte inédit de Frederic Jameson, théoricien américain de la littérature et de la culture contemporaine, traduit par le philosophe Florent Lahache et à suivre dans les prochains numéros. L’auteur montre que « l’utilité » de Brecht dépend toute entière de sa fonction intempestive, perturbatrice. Encore, ajoute-t-il, savoir cependant s’y prendre pour la rendre active ». Frederic Jamson ne donne évidemment pas de recette mais, au moins, a-t-il le mérite de poser la question à l’heure où les mises en scène du théâtre de Brecht vont parfois un peu dans  tous les sens, et parfois même, au mépris du texte…
Longue vie à Revue Incise!

Revue éditée par le Studio-Théâtre de Vitry- sur-Seine. 10 €

Ubu Scènes d’Europe n° 56/57

  Signalons aussi le dernier numéro de la très bonne revue dirigée par Chantal Boiron, consacrée en grande partie aux Grandeurs et misères des compagnies françaises , avec une série d’articles par Jean-Pierre Thibaudat, Joëlle Gayot, Odile Quirot,Pascale Gateau, et Chantal Boiron sur les collectifs de Julie Deliquet, Julien Gosselin, Lazare… et sur des compagnies plus anciennes, comme celles de Jean-Pierre Vincent,  ou plus récemment celles d’ Olivier Werner, ou de Philippe Quesne qui a été nommé à la tête du Théâtre des Amandiers-Nanterre, ainsi que celle d’une  metteuse en scène  autonome Maya Boquet.
  La notion de compagnie, ou maintenant de collectif, recouvre des situations personnelles, des implantations, et des expériences très différentes mais aussi des budgets disparates. C’est tout cela que l’on peut découvrir au fil de ces riches interviews mais imprimés en assez petits caractères: c’est la seule réserve que l’on peut faire.
Il y a aussi dans ce même numéro,  la publication des deux premières scènes de Tueurs de dragons, une pièce de Milena Marković, écrivaine serbe  de quarante ans qui a écrit plusieurs autres pièces dont Rails créée en 2002 après une résidence d’été au Royal Court de Londres; elle a aussi la réalisé plusieurs longs métrages et documentaires.
Et un beau texte de  Valérie Lang, décédée il y a un an, sur son métier de comédienne.

UBU n° 56/57 2ème semestre 2014.  15 €

Philippe du Vignal

Tempus fugit?

Cirque Plume 7 - ∏ Yves Petit

Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu par le Cirque Plume, écriture, mise en scène, scénographie et direction artistique de Bernard Kudlak

 Emportée par le vent, la plume est symbole de légèreté, de souplesse et de grâce. Bernard Kudlak, le chef historique du Cirque Plume, rappelle que dans l’art funèbre égyptien, la plume était mise sur la balance de la justice pour la pesée du cœur, métaphore de sa légèreté et de la fragilité de l’harmonie humaine. Ainsi, venues des hauteurs de la scène, les plumes de Tempus fugit ? chutent lentement, comme des traces de vie  soulevées par une brise délicate, sur un piano lui-même suspendu dans les airs, en clair objet de désir.
  Ce sont des plumes merveilleuses qui volètent sur le plateau et vers la salle -  artistes et spectateurs réunis. Des plumes d’ailes d’ange ou « de fée en voyage », selon l’expression de George Sand. Le piano finit par toucher  un sol de plaques tectoniques vivantes qui se soulèvent, puis se rétractent comiquement pour un éloge de l’instabilité. Mais les valeurs du Cirque Plume, à travers le temps, perdurent : fragilité du présent, idée du partage, humilité existentielle, responsabilité de l’artiste et du citoyen.
  En exergue au spectacle (le dixième déjà!) et anniversaire des trente ans du cirque Plume,  Bernard Kudlak dit: « Nous avons été la jeunesse du silence et de l’horreur…, celui des parents et de la reconstruction qui  pesait sur nos épaules. Nous avons été enfants pendant les crimes de la décolonisation,… enfants des valeurs et des espoirs du Conseil national de la Résistance, des valeurs ouvrières, socialistes, républicaines, chrétiennes progressistes, de l’éducation populaire. »
Les compères de la première heure de Bernard Kudlak  sont aujourd’hui rejoints par  huit jeunes circassiens venus de Bruxelles, de Montréal et de France, soit une bande de treize sur le plateau. Sans parler des techniciens pour les montées et descentes de rideaux, souffles de vent sur les voiles blanches en partance, installation du mât chinois et du fil  pour la ballerine équilibriste,  et des instruments: ici, jazz et pop-rock s’en donnent à cœur joie.
Pas cabotins pour un un centime, tous sont d’un talent aussi sobre qu’éblouissant. Sept francs-comtois: Nicolas Boulet, Grégoire Gensse, Alain Mallet, Benoit Schick, Brigitte Sepaser, Laurent Tellier Dell’Ova et le frère de Bernard, Pierre Kudlak; une Savoyarde: Sandrine Juglair; trois Américains: Mick Olsbeke, Diane Renée Rodriguez et Molly Saudek et une Canadienne: Marie-Eve Dicaire.  Et encore Maxime Pythoud et le compositeur Benoit Schick.
Le titre Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu fait référence à l’artisanat du poème mais aussi au terme d’horlogerie « le chemin perdu ». Les Kudlak, originaires de la région de Montbéliard, sont des familiers du terme qualifiant l’espace entre les deux points de l’ancre, le repos et la chute, le tic et le tac… Une jolie promenade poétique à se réapproprier ou à réinvestir.
La poésie est sentiment, et existe avant le langage. Il suffit pour le spectateur d’observer et de prêter l’oreille : les mots et les gestes disent ici beaucoup plus que dans un poème. Les filles, aériennes en petite robe d’été fluide aux couleurs pastel, dansent sur le fil, montent sur le trapèze ou épousent le mât chinois. Les garçons, eux, jonglent, font les clowns, jouent des sonorités de gorge, font la toupie avec une roue Cyr, multiplient les cabrioles et se métamorphosent enfin en instrumentistes enjoués.
Après les applaudissements, public et artistes admirent une installation pendulaire de boules de verre, un collier scintillant, une chenille de lumière dont les touches se croisent dans un ballet d’entrelacs d’ombres et d’éclats de pierres précieuses. Paysage poétique et émotion esthétique, le spectacle est éloquence – mouvements collectifs et solos, fresques de couleurs,  sons, silences et révélations de cadences.
Poème, danse, jonglage, acrobatie, équilibrisme, trapèze, musique et humour… Que demander de plus ?

 Véronique Hotte

 

Espace Chapiteaux à La Villette, jusqu’au 28 décembre. T : 01 40 03 75 75

 

 

 

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