Passim
Passim, mise en scène et scénographie de François Tanguy, Le Théâtre du Radeau
Une même occurrence dans le corps d’un texte, « çà et là et en différents endroits », tel est le sens du mot latin Passim, titre singulier de ce spectacle beau en soi et parfaitement inclassable, comme François Tanguy les aime. Tel un enfant, à l’orée d’un conte, le spectateur est invité à pénétrer un matériau plastique mouvant, vivant et changeant, fait de cadres fragiles en bois, de panneaux, de portes et de tables – en morceaux et désarticulés – qui stagnent sur le plateau encombré, bougent, puis s’immobilisent avant de s’élever encore dans les hauteurs du plateau, portés, sans fin mais avec grâce, par de grands acteurs manipulateurs.
Le public a l’impression de pénétrer dans l’encombrement d’un grenier – un désordre entassé dont le matériau serait l’accumulation du temps. On imagine une tapisserie à trois dimensions, composée de strates d’époques et de styles variés, un patchwork volumineux savamment coloré et agencé d’esthétiques diverses.
François Tanguy évoque pour sa création « des flux qui se relient » : ainsi, les flux verbaux de la parole déclamatoire des acteurs qui portent les grandes voix du théâtre: Kleist, Marlowe, Shakespeare, Le Tasse, Molière, Calderon ou Pouchkine. On entend les langues allemande, italienne, espagnole et anglaise, non pas dans leur traduction moderne mais dans des formes anciennes et baroques.
Penthésilée ouvre le spectacle, porté par la scansion d’une actrice majestueuse proférant des mots qui font rêver. Apparaît à l’imaginaire du spectateur, le merveilleux Achille et son quadrige, le casque empanaché, vu de dos, le cou fort et la taille ceinturée d’or. Le héros mythologique croise sous le soleil une autre figure antique glorieuse, la sauvage Penthésilée suivie d’une cohorte féminine mouvante.
De son côté, Le Roi Lear prépare ses filles à la révélation de leurs sentiments filiaux : beau vieillard, chenu et maladroit, il fait le compte de ses affections intimes en prenant pour argent comptant de fausses perles, perdant son seul vrai bien précieux… Le temps passe et les histoires se tissent sans fin, selon les mêmes accrocs. Ces vaillants manutentionnaires et ouvriers de l’art font disparaître les paravents de fortune, avant de les faire ressurgir sur le devant de la scène, métamorphosés ou reconstruits différemment…
Pour le concepteur de ce théâtre/performance, largement décentré et qui se refuse au récit classique, au commentaire ou à l’interprétation, cette scénographie onirique relève, selon le lexique des technologies nouvelles, d’un « site » en soi, où entrecroisent encore d’autres sites divers, un écran proprement insaisissable.
La musique, par exemple, est à la fois comparable à un morcellement sonore de notes emphatiques ou adoucies, à une série silencieuse de brisures chuchotées, à une coulée onctueuse et insistante d’extraits lyriques hétéroclites et attachants. D’emblée, le public est envoûté: de Schubert à Beethoven, de Haendel à John Cage, de Sibelius à Verdi, ces mythiques envolées musicales nous enserrent…
Quant aux costumes, ils passent d’une tendance et d’une époque à l’autre, perruques blanches du XVIIIème siècle, chapeaux Empire, robes à panier ou à traîne, etc… mais l’élégance et la vision comique sont toujours au rendez-vous. On regarde sur ces châssis/écrans assemblés, des images filmées de portes-fenêtres à petits carreaux dignes des plus beaux châteaux entourés de verdure. Puis, un cheval et son cavalier apparaissent à la fin….Est-ce ce fou de Don Quichotte sur sa fidèle monture ? Une brassée de branches surgit pour un théâtre d’ombres et de conte pour enfants…
Comme des pantins virevoltant ou des fantômes habités, Laurence Chable, Patrick Condé, Fosco Corliano, Muriel Hélary, Vincent Joly, Carole Paimpol, Karine Pierre, Jean Rochereau, Anne Baudoux ne cessent d’agir… Et le spectacle est un intense enchantement ludique, grâce au souffle poétique de ces tombées passagères de littérature, de théâtre, de peinture, de musique et de lumière.
Véronique Hotte
T2G Théâtre de Gennevilliers – Le Festival d’Automne – jusqu’au 18 octobre. T : 01 41 32 26 26