Francophonies en Limousin/2 côté plateau

Francophonies en Limousin/2 côté plateau

 

siteon0-b68a9Quelques jours passés au festival, dans les salles autant qu’après, (au sortir des spectacles, aux rencontres de la librairie, aux débats), laissent apprécier les rencontres surprenantes qu’il a suscitées, les mariages mixtes entre les cultures et les disciplines qu’il a accompagnés et co-produits. Une bonne partie des représentations est issue de résidences à la Maison des auteurs, ou de textes lus lors d’éditions antérieures, permettant de retrouver des artistes d’une saison sur l’autre. La plupart des spectacles,  quel que soit leur format, tout comme les écritures dramatiques présentées, est en phase avec les grandes questions qui agitent les créateurs ainsi que le public. Les artistes tentent d’y répondre, entrant en résonance les uns avec les autres, d’où qu’ils viennent, au gré des chemins et les formes qu’ils empruntent…

 

2ba4c7a04f16e1c1fcac2f8825dd00b7La Ronde de Nuit, création collective mise en scène par Hélène Cinque

Voilà un spectacle qui fera mentir Pedro Kadivar (prix RFI théâtre 2014) : on ne peut pas reprocher au festival d’avoir une notion administrative et fermée de la Francophonie,  puisqu’il invite pour la deuxième année consécutive la troupe afghane Théâtre Aftaab, née dans le sillage d’un stage donné par Ariane Mnouchkine à Kaboul en 2005.
Depuis, Le Théâtre du Soleil n’a cessé de les former, les inviter et les soutenir. « Ce n’est pas facile d’émigrer, non pas tout, dit Mahmoud Sharifi, l’administrateur d’Aftaab… Aujourd’hui notre refuge est le théâtre ». Faisant écho à ses paroles, dans Ronde de nuit, un gardien de nuit afghan nouvellement embauché pour veiller sur ce sanctuaire qu’est le théâtre, au milieu d’un bric à brac de décors, accessoires, éléments divers, va accueillir, par une nuit glaciale, toute la misère du monde : sous l’oeil bienveillant de la servante (ghost lamp en anglais). « Le temps est hors de ses gonds » dit le flic de service, citant Shakespeare et, tandis que dehors, sous la neige, tout prend des allures fantomatiques, c’est un défilé de personnages, un sans abri, une prostituée, une jeune danseuse russe et surtout une bande de compatriotes frigorifiés en partance pour l’Angleterre.
Loin de dormir apaisés, les migrants sont hantés par des souvenirs douloureux qui prennent vie dans cette nuit de tempête. Les fantasmagories se mêlent au réel de la situation. Les improvisations, les récits recueillis sont la matière du spectacle, mais grâce à la cocasserie des situations, aux évocations plus vaporeuses que sont les rêves, fantasmes et cauchemars, au décalage culturel entre ici et là-bas, nous ne sommes jamais dans le vérisme, le rire n’est jamais loin et baignons dans un entre deux poétique porté par des acteurs très investis. Une réussite incontestable, La Ronde tourne depuis 2013 en France et à l’étranger avec succès.

 

En attendant Godot, de Samuel Beckett, mise en scène par Jean Lambert-Wild, Marcel Bozonnet et Lorenzo Malaguerra :

godot_20140310tjv_66Nous avons déjà longuement loué, au théâtre du blog (voir article mars 2013), cette version d’un des textes les plus joués et surtout les plus commentés de Beckett. Nous découvrons la pièce sous un nouveau jour, loin de toute glose. Deux acteurs africains, Farguas Assandé et Michel Bohiri, incarnent Vladimir et Estragon avec une justesse naturelle, sans connotation forcée, et nous emmènent dans un univers d’une inquiétante étrangeté. Ce qui met d’autant plus en valeur le décalage avec le deuxième couple, qui, lui, « joue » davantage à jouer : Marcel Bozonnet campe avec grâce un Pozzo histrion, fatigué et tyrannique, tandis et Jean Lambert-wild en Lucky sorte de pantin désarticulé a une présence muette prégnante, et la virtuosité avec laquelle il débite et danse son long monologue sans queue ni tête nous laisse bouche bée. La deuxième partie qui, dans d’autres productions paraissait souvent un peu longue, ne souffre ici d’aucune pesanteur. Tout semble aller de soi sans besoin de forcer le sens. Une réussite qui augure bien de l’arrivée de Jean Lambert-Wild, au Théâtre de l’Union puisque, quittant Caen, il prend a tête de la scène nationale.

Tournée: 2-4 octobre, La Filature-Mulhouse; 14 octobre, Compiègne, 17 octobre, Théâtre de Chelles, 7 novembre,Théâtre de Chalands, Rueil ; 25-29 novembre, CDN Nancy ; 2015 : 17-19 février Théâtre de la Coupe d’or, Rochefort; 3-29 mars; Théâtre de l’Aquarium, Paris; 1-2 avril; Théâtre du Passage, Neufchâtel.

 

DARAL SHAGA-grille-(c)Christophe-Pean-6_0Daral Shaga, opéra-cirque de Kris Defoort, mise en scène Fabrice Murgia, livret Laurent Gaudé

Sous ce titre mystérieusement exotique, des musiciens, des chanteurs et des acrobates nous content l’histoire de Nadra et de son père, en route vers un pays lointain. En contrepoint, un autre personnage tente l’aventure en solo. Il leur faudra franchir le mur bornant l’Eldorado qui les attire et les fascine. L’un mourra aveuglé par les lumières de la ville, Nadra franchira le mur, son père restera en deçà des barreaux… Qui des uns ou des autres aura gagné la liberté? Daral Shaga est celui qui n’a pas pu sauter. Une de ces tragédies qu’on lit au quotidien dans les journaux. «Toi moi et des milliers d’autres nous partons… Ma terre natale est une terre de douleur et de mendicité (…) et de nuits torturées… », chantent-ils. Une tragédie qui, à travers trois destins singuliers, devient collective telle que mise en musique, en mouvements et en images, avec la choralité qu’engendre le croisement de trois arts de la scène.

La partition de Kris Defoort, interprétée par un trio : violoncelle, clarinette, piano, tente d’épouser le livret assez décevant, quand on connaît la plume flamboyante de Laurent Gaudé. Elle passe de la musique de chambre à des éclats d’orchestre baroques, jazzy, voire à des solos plus mélodiques épousant parfois des sonorités orientales. Malgré un texte qui ne décolle guère, le chant reste nuancé et sensible, les trois chanteurs, en solo, en duo ou en choeur font ce qu’ils peuvent, dans un décor écrasant, souvent masqués par un tulle tendu à l’ avant-scène, sur lequel sont projetés des gros plans des actions scéniques et le texte.
Les acrobates de la compagnie belge Feria Musica, sous la houlette Philippe de Coen, ont travaillé sur la notion d’obstacle à franchir, de chocs et de rebonds . Ils se livrent à des numéros de trapèzes, d’équilibre, d’escalades le long de cordes et d’échelles. Ils se lancent dans le vide et virevoltes. Leurs évolutions spectaculaires donnent une dimension épique à l’aventure des migrants. On ressent, à travers leurs sauts vertigineux, les risques que prennent ces exilés à tout quitter, à affronter tant de périls pour un avenir improbable. La poésie et l’émotion surgissent quand chant, musique et cirque se fondent, comme dans le beau passage de « Cours, Nadra, cours, saute… ».
Faire cohabiter des musiciens, des chanteurs et des acrobates constitue un défi qui a été habilement relevé par Fabrice Murgia. Dommage que la vidéo et la multiplication des écrans perturbent un travail soigneusement orchestré, extrêmement fin et sensible. On retient de ce spectacle original, porté par des interprètes virtuoses, de très belles images sonores et visuelles.

 Tournée : 7-9 octobre, scène nationale de Besançon; 4-6 décembre, Le Maillon Théâtre de Strasbourg ; 20 mars 2015, Festival Détours de Babel, MC2 Grenoble.

 

Le Kung Fu, texte, mise en scène et jeu de Dieudonné Niangouna

dieudonnePour Dieudonné Niangouna, dont la guerre a été le quotidien, « le théâtre est un combat », son « kung fu ». Tout gamin, il a toujours parlé en marchant, dans les rues de Brazzaville: « Je parle et je crie en marchant, c’est comme ça que j’écris mes textes », dit-il. C’est ainsi qu’il éprouve «la liberté de la circulation de la phrase dans les nerfs ». Et de se livrer à un parcours du combattant, où il retrace la genèse de son goût pour le théâtre, venu tout droit du cinéma autant que de sa propension à la logorrhée. Il raconte les séances de cinéma familiales devant la télé, comment il rêvait de jouer dans des films de Kung Fu, sa fascination pour les acteurs,. De quelque nationalité qu’il fut, « l’acteur parle français !», en «VO». Et de citer pêle–mêle Bronson, Belmondo, Fernandel et sa vache ou Sylvester Stallone en vétéran du Viet-Nam, etc. D’énoncer aussi une kyrielle de titres possibles concluant: «J’ai plus de titres que d’histoires ». Pépites noyées dans le flot des mots, émergent de beaux moments d’émotion et d’heureuses formulations dans cette langue qui bouscule la syntaxe et charrie sens et sonorités jusqu’au vertige. Cette ivresse verbale se trouve tempérée par les projections de films assez cocasses qui l’interrompent.
«Le Kung Fu est un solo, mais un solo face à une foule: avec la participation des habitants de Limoges et de Corrèze », explique l’auteur. En effet, il a généreusement associé des gens de tous âges et origines à son spectacle. Il leur a demandé de choisir et de jouer des scènes de cinéma qui les ont marqués. Les images produites parsèment la pièce, petites séquences d’amateurs re-réalisées par le metteur en scène: de À bout de Souffle aux Quatre cents coups, des Bronzés font du ski au Père Noel est une ordure en passant par La vie est un long fleuve tranquille ou Quand Harry rencontre Sally. C’est très amusant, même si Niangouna a parfois du mal à raccorder ces petits films au corpus du spectacle. La vitalité et la sympathie qu’il dégage, la qualité de son jeu, sa gouaille explosive, son humour tout terrain, sa présence magnétique, sa langue magnifique ne suffisent à convaincre entièrement. Comme il s’agissait d’une des premières représentations, reste à espérer, qu’au fil de la tournée, le spectacle trouve plus de cohérence. L’auteur n’envisage-t-il pas : «le théâtre comme une matière en devenir» ?… Mais pour l’heure on a pu apprécier la légèreté et l’apaisement de cette part d’enfance qu’il nous livre, en faisant son cinéma.

Tournée: 6-7 novembre, Théâtre des Salins, scène nationale de Martigues ; 15-16 novembre, Kunsthaus Munsonturm, Francfort. 2015 : 20-21 janvier, Bonlieu scène nationale d’Annecy ; 3-21 février,Théâtre Vidy, Lausanne.

 

Cantate de guerre de Larry Tremblay, mise en scène Harvey Massamba

Cantate-IF-Brazzaville_4747_0Tout de suite en arrivant dans le hall du l’Espace Noriac, le public est mis dans l’ambiance : bousculé par des soldats, gesticulant et vociférant, au beau milieu d’un marché africain. Une manière d’entrer dans le vif du sujet de cette Cantate de guerre. Dans la salle, les vociférations se poursuivent : planté à l’avant scène, d’où il ne bougera pas, un soldat éructe sa haine tandis qu’il sème la terreur et la mort, dans une famille, tuant le père violant la mère, devant leur gamin de sept ans, qui assiste à la scène impuissant. Un village comme le sien, une famille comme la sienne, sur laquelle un destin identique s’abattra. Ce faisant, il apprend à son fils, de sept ans lui aussi, la haine, pour en faire un soldat, lui débitant son bréviaire: « Soit dur, soit pur », face au chien que tu peux égorger sans scrupule, que tu as le devoir d’égorger, par ce qu’il qui ne croit pas à ce que tu crois. L’engrenage de la violence, la transmission de la haine, Larry Tremblay a trouvé les mots pour les dire dans un texte choral d’une belle fluidité. Harvey Massamba, lui les a éprouvés, au Congo pendant la guerre de 1993, et il croit les revivre en voyant ce qui se passe au Nigéria ou avec l’Etat Islamique. « Quand j’ai lu Cantate de guerre qui commence avec :  »Toi, tu n’es pas de ma peau, de mes yeux, toi tu n’es rien de moi, toi, tu ne jaillis pas de ma race, moi je te crache dans les yeux », je me suis dit : c’est exactement ce qui s’est passé au Congo », confie-t-il. Il a choisi de partager cette cantate entre trois comédiens et un musicien. Deux des comédiens restent immobiles, l’un vertical dans sa haine, l’autre couché sur son lit de souffrance, tandis que le troisième comédien, et le musicien, plus mobiles, interviennent en contrepoint et circulent, créant un pont entre scène et salle. Saisi par la violence verbale, que redouble la redoutable fixité du soldat terroriste, le public pénètre dans une sorte de cauchemar. La cruauté de la guerre, la déshumanisation qu’elle engendre, si bien disséquées dans la pièce de Larry Tremblay amènent à une sorte de désespérance, que les artistes nous font partager. Une petite distance est introduite par la musique de Simon Winsé, quand il parcourt les rangs ou qu’il s’interpose entre les acteurs, comme pour calmer le jeu: un style très personnel, une présence joyeuse. On regrette alors le jeu parfois excessif des acteurs, redondant par rapport à une texte percutant comme un tir de mitraillette car il produit à certains moments un effet de saturation. Mais il y a urgence à faire entendre une telle parole. Et on l’entend bien.

Tournée : Festival Mantsina, Brazzaville décembre 2014 ; Afri Cologne, juin 2015

Le texte publié aux Editions Lansman a obtenu le prix 2012 de la dramaturgie francophone de la SACD

 

L’appartement à trous de et par Patrick Corillon

751185116f350b2ad35f4709bbabea54Avec son air débonnaire, son sourire enfantin, il nous ferait tout gober. Par exemple, qu’il détient le «grattage» du plancher de la prison d’Ossip Mandelstam, là où le poète exilé, racontait des histoires à ses co-détenus du Goulag, pour garder espoir… Et de nous l’exhiber, avec ses rainures et ses nœuds qui esquissent des paysages. Or Mandelstam n’a jamais vécu au Goulag, il est mort sur le chemin de la Kolyma: ce n’est pas la vérité historique qui intéresse Parick Corillon, mais les translations qu’une fiction opère. Il nous avait pourtant prévenu au départ qu’il ne fallait pas croire tout ce qu’il disait… À partir de là, c’est à un étrange voyage que nous invite l’artiste liégeois. Plasticien, il a bricolé une table en mélèze de Sibérie, munie de casiers, dispositif scénique léger qui tient dans un sac de golf. Des tiroirs, il sort précautionneusement objets, photos, dessins, pour nous conter l’extravagante aventure d’un gamin crédule qui va apprendre les langues en écoutant les bruissements de la forêt polonaise, parler anglais aux pierres de Stonehenge… et nous dire la légende de l’homme d’eau, notre double utérin qui se cache dans les méandres de la Seine.
A l’instar d’un conférencier, Patrick Corillon s’adresse directement au public, en pleine lumière. Tout paraît couler de source dans ce récit au parfum d’enfance. Subtilement, les mots entrent en résonance avec les objets que l’artiste manipule avec délicatesse sur son petit plateau de planche.
Les nœuds du bois ont fourni l’univers visuel de ce récit: ils deviennent arbres, rivières, personnages, animaux. Pour faire écho aux livres pour la jeunesse de Mandelstam, l’auteur choisit de prendre des formes plastiques très simples; il utilise le coloriage, le picotage, le frottage, le découpage.
L’
Appartement à trous, sous titré soixante minutes pour parler toutes les langues est à la fois une exploration des origines du langage à l’écoute de la nature et une réflexion sur la fiction comme résistance. Il s’ancre dans une poésie qui tient du rêve éveillé. Un vrai bijou.

 Tournée : 25 octobre, Découvrez-vous ! Bois-de-Villiers ; 22 novembre, La Nuit de la marionnette- Festival MARTO, Clamart ; 12-22 décembre Théâtre de l’Agora, scène national d’Evry

Un très joli petit livre illustré fait maison accompagne le spectacle

 

La Constellation du chien de Pascale Chevarie, mise en scène Alban Coulaud

 

image18411Elle se présente: Eléonore. Elle évoquera, le temps du spectacle, un événement qui, il y a quinze ans, a bouleversé sa vie, quand elle était Léo. Flash back. Extérieur nuit. Tandis qu’Emile, écolier renfermé et solitaire, scrute le ciel, guettant l’apparition de Laïka, Léo fuit la bande de petits voyous avec qui elle traîne et qui la harcèlent. Les deux enfants se rencontrent, se racontent leurs misères, se consolent… Malgré cette amitié naissante, Emile choisit de s’envoler vers la constellation du chien où se cacherait la petite chienne russe perdue dans le cosmos depuis 1957. La pièce remonte le temps, sur les traces de cette histoire. Elle procède par courtes séquences, rythmées par des noirs. Le décor -échafaudage précaire, haut perché et fragile-, les luminaires qui trouent la pénombre renforcent l’ambiance fantomatique voulue par le metteur en scène. C’est un travail précis, sensible, porté par des acteurs qui incarnent les enfants avec un grand naturel, sans les singer. Le texte, malgré le sujet qu’il aborde évite le réalisme. Quoique que de facture assez classique, il propose un espace poétique évacuant toute dramatisation.
La Constellation du chien s’inscrit dans la Belle Saison avec l’enfance et la jeunesse, une initiative qui fait découvrir la richesse de la création contemporaine pour la jeunesse. Six spectacles du Festival des Francophonies font partie de ce cycle.

 Tournée 8-10 décembre, La Mégisserie, Saint-Junien. 2015 :28-30 janvier, Théâtre Jean Legendre, Compiègne; février, A pas contés, Dijon; avril, Festival Puy de Mômes, Cournon d’Auvergne; 15-19 avril, L’Apostrophe, Cercy-Pontoise; 12 mai, Théâtre du Cloître, Bellac.

 

Mireille Davidovici

Les Francophonies en Limousin, jusqu’au 4 octobre

 


Archive pour 2 octobre, 2014

Francophonies en Limousin/2 côté plateau

Francophonies en Limousin/2 côté plateau

 

siteon0-b68a9Quelques jours passés au festival, dans les salles autant qu’après, (au sortir des spectacles, aux rencontres de la librairie, aux débats), laissent apprécier les rencontres surprenantes qu’il a suscitées, les mariages mixtes entre les cultures et les disciplines qu’il a accompagnés et co-produits. Une bonne partie des représentations est issue de résidences à la Maison des auteurs, ou de textes lus lors d’éditions antérieures, permettant de retrouver des artistes d’une saison sur l’autre. La plupart des spectacles,  quel que soit leur format, tout comme les écritures dramatiques présentées, est en phase avec les grandes questions qui agitent les créateurs ainsi que le public. Les artistes tentent d’y répondre, entrant en résonance les uns avec les autres, d’où qu’ils viennent, au gré des chemins et les formes qu’ils empruntent…

 

2ba4c7a04f16e1c1fcac2f8825dd00b7La Ronde de Nuit, création collective mise en scène par Hélène Cinque

Voilà un spectacle qui fera mentir Pedro Kadivar (prix RFI théâtre 2014) : on ne peut pas reprocher au festival d’avoir une notion administrative et fermée de la Francophonie,  puisqu’il invite pour la deuxième année consécutive la troupe afghane Théâtre Aftaab, née dans le sillage d’un stage donné par Ariane Mnouchkine à Kaboul en 2005.
Depuis, Le Théâtre du Soleil n’a cessé de les former, les inviter et les soutenir. « Ce n’est pas facile d’émigrer, non pas tout, dit Mahmoud Sharifi, l’administrateur d’Aftaab… Aujourd’hui notre refuge est le théâtre ». Faisant écho à ses paroles, dans Ronde de nuit, un gardien de nuit afghan nouvellement embauché pour veiller sur ce sanctuaire qu’est le théâtre, au milieu d’un bric à brac de décors, accessoires, éléments divers, va accueillir, par une nuit glaciale, toute la misère du monde : sous l’oeil bienveillant de la servante (ghost lamp en anglais). « Le temps est hors de ses gonds » dit le flic de service, citant Shakespeare et, tandis que dehors, sous la neige, tout prend des allures fantomatiques, c’est un défilé de personnages, un sans abri, une prostituée, une jeune danseuse russe et surtout une bande de compatriotes frigorifiés en partance pour l’Angleterre.
Loin de dormir apaisés, les migrants sont hantés par des souvenirs douloureux qui prennent vie dans cette nuit de tempête. Les fantasmagories se mêlent au réel de la situation. Les improvisations, les récits recueillis sont la matière du spectacle, mais grâce à la cocasserie des situations, aux évocations plus vaporeuses que sont les rêves, fantasmes et cauchemars, au décalage culturel entre ici et là-bas, nous ne sommes jamais dans le vérisme, le rire n’est jamais loin et baignons dans un entre deux poétique porté par des acteurs très investis. Une réussite incontestable, La Ronde tourne depuis 2013 en France et à l’étranger avec succès.

 

En attendant Godot, de Samuel Beckett, mise en scène par Jean Lambert-Wild, Marcel Bozonnet et Lorenzo Malaguerra :

godot_20140310tjv_66Nous avons déjà longuement loué, au théâtre du blog (voir article mars 2013), cette version d’un des textes les plus joués et surtout les plus commentés de Beckett. Nous découvrons la pièce sous un nouveau jour, loin de toute glose. Deux acteurs africains, Farguas Assandé et Michel Bohiri, incarnent Vladimir et Estragon avec une justesse naturelle, sans connotation forcée, et nous emmènent dans un univers d’une inquiétante étrangeté. Ce qui met d’autant plus en valeur le décalage avec le deuxième couple, qui, lui, « joue » davantage à jouer : Marcel Bozonnet campe avec grâce un Pozzo histrion, fatigué et tyrannique, tandis et Jean Lambert-wild en Lucky sorte de pantin désarticulé a une présence muette prégnante, et la virtuosité avec laquelle il débite et danse son long monologue sans queue ni tête nous laisse bouche bée. La deuxième partie qui, dans d’autres productions paraissait souvent un peu longue, ne souffre ici d’aucune pesanteur. Tout semble aller de soi sans besoin de forcer le sens. Une réussite qui augure bien de l’arrivée de Jean Lambert-Wild, au Théâtre de l’Union puisque, quittant Caen, il prend a tête de la scène nationale.

Tournée: 2-4 octobre, La Filature-Mulhouse; 14 octobre, Compiègne, 17 octobre, Théâtre de Chelles, 7 novembre,Théâtre de Chalands, Rueil ; 25-29 novembre, CDN Nancy ; 2015 : 17-19 février Théâtre de la Coupe d’or, Rochefort; 3-29 mars; Théâtre de l’Aquarium, Paris; 1-2 avril; Théâtre du Passage, Neufchâtel.

 

DARAL SHAGA-grille-(c)Christophe-Pean-6_0Daral Shaga, opéra-cirque de Kris Defoort, mise en scène Fabrice Murgia, livret Laurent Gaudé

Sous ce titre mystérieusement exotique, des musiciens, des chanteurs et des acrobates nous content l’histoire de Nadra et de son père, en route vers un pays lointain. En contrepoint, un autre personnage tente l’aventure en solo. Il leur faudra franchir le mur bornant l’Eldorado qui les attire et les fascine. L’un mourra aveuglé par les lumières de la ville, Nadra franchira le mur, son père restera en deçà des barreaux… Qui des uns ou des autres aura gagné la liberté? Daral Shaga est celui qui n’a pas pu sauter. Une de ces tragédies qu’on lit au quotidien dans les journaux. «Toi moi et des milliers d’autres nous partons… Ma terre natale est une terre de douleur et de mendicité (…) et de nuits torturées… », chantent-ils. Une tragédie qui, à travers trois destins singuliers, devient collective telle que mise en musique, en mouvements et en images, avec la choralité qu’engendre le croisement de trois arts de la scène.

La partition de Kris Defoort, interprétée par un trio : violoncelle, clarinette, piano, tente d’épouser le livret assez décevant, quand on connaît la plume flamboyante de Laurent Gaudé. Elle passe de la musique de chambre à des éclats d’orchestre baroques, jazzy, voire à des solos plus mélodiques épousant parfois des sonorités orientales. Malgré un texte qui ne décolle guère, le chant reste nuancé et sensible, les trois chanteurs, en solo, en duo ou en choeur font ce qu’ils peuvent, dans un décor écrasant, souvent masqués par un tulle tendu à l’ avant-scène, sur lequel sont projetés des gros plans des actions scéniques et le texte.
Les acrobates de la compagnie belge Feria Musica, sous la houlette Philippe de Coen, ont travaillé sur la notion d’obstacle à franchir, de chocs et de rebonds . Ils se livrent à des numéros de trapèzes, d’équilibre, d’escalades le long de cordes et d’échelles. Ils se lancent dans le vide et virevoltes. Leurs évolutions spectaculaires donnent une dimension épique à l’aventure des migrants. On ressent, à travers leurs sauts vertigineux, les risques que prennent ces exilés à tout quitter, à affronter tant de périls pour un avenir improbable. La poésie et l’émotion surgissent quand chant, musique et cirque se fondent, comme dans le beau passage de « Cours, Nadra, cours, saute… ».
Faire cohabiter des musiciens, des chanteurs et des acrobates constitue un défi qui a été habilement relevé par Fabrice Murgia. Dommage que la vidéo et la multiplication des écrans perturbent un travail soigneusement orchestré, extrêmement fin et sensible. On retient de ce spectacle original, porté par des interprètes virtuoses, de très belles images sonores et visuelles.

 Tournée : 7-9 octobre, scène nationale de Besançon; 4-6 décembre, Le Maillon Théâtre de Strasbourg ; 20 mars 2015, Festival Détours de Babel, MC2 Grenoble.

 

Le Kung Fu, texte, mise en scène et jeu de Dieudonné Niangouna

dieudonnePour Dieudonné Niangouna, dont la guerre a été le quotidien, « le théâtre est un combat », son « kung fu ». Tout gamin, il a toujours parlé en marchant, dans les rues de Brazzaville: « Je parle et je crie en marchant, c’est comme ça que j’écris mes textes », dit-il. C’est ainsi qu’il éprouve «la liberté de la circulation de la phrase dans les nerfs ». Et de se livrer à un parcours du combattant, où il retrace la genèse de son goût pour le théâtre, venu tout droit du cinéma autant que de sa propension à la logorrhée. Il raconte les séances de cinéma familiales devant la télé, comment il rêvait de jouer dans des films de Kung Fu, sa fascination pour les acteurs,. De quelque nationalité qu’il fut, « l’acteur parle français !», en «VO». Et de citer pêle–mêle Bronson, Belmondo, Fernandel et sa vache ou Sylvester Stallone en vétéran du Viet-Nam, etc. D’énoncer aussi une kyrielle de titres possibles concluant: «J’ai plus de titres que d’histoires ». Pépites noyées dans le flot des mots, émergent de beaux moments d’émotion et d’heureuses formulations dans cette langue qui bouscule la syntaxe et charrie sens et sonorités jusqu’au vertige. Cette ivresse verbale se trouve tempérée par les projections de films assez cocasses qui l’interrompent.
«Le Kung Fu est un solo, mais un solo face à une foule: avec la participation des habitants de Limoges et de Corrèze », explique l’auteur. En effet, il a généreusement associé des gens de tous âges et origines à son spectacle. Il leur a demandé de choisir et de jouer des scènes de cinéma qui les ont marqués. Les images produites parsèment la pièce, petites séquences d’amateurs re-réalisées par le metteur en scène: de À bout de Souffle aux Quatre cents coups, des Bronzés font du ski au Père Noel est une ordure en passant par La vie est un long fleuve tranquille ou Quand Harry rencontre Sally. C’est très amusant, même si Niangouna a parfois du mal à raccorder ces petits films au corpus du spectacle. La vitalité et la sympathie qu’il dégage, la qualité de son jeu, sa gouaille explosive, son humour tout terrain, sa présence magnétique, sa langue magnifique ne suffisent à convaincre entièrement. Comme il s’agissait d’une des premières représentations, reste à espérer, qu’au fil de la tournée, le spectacle trouve plus de cohérence. L’auteur n’envisage-t-il pas : «le théâtre comme une matière en devenir» ?… Mais pour l’heure on a pu apprécier la légèreté et l’apaisement de cette part d’enfance qu’il nous livre, en faisant son cinéma.

Tournée: 6-7 novembre, Théâtre des Salins, scène nationale de Martigues ; 15-16 novembre, Kunsthaus Munsonturm, Francfort. 2015 : 20-21 janvier, Bonlieu scène nationale d’Annecy ; 3-21 février,Théâtre Vidy, Lausanne.

 

Cantate de guerre de Larry Tremblay, mise en scène Harvey Massamba

Cantate-IF-Brazzaville_4747_0Tout de suite en arrivant dans le hall du l’Espace Noriac, le public est mis dans l’ambiance : bousculé par des soldats, gesticulant et vociférant, au beau milieu d’un marché africain. Une manière d’entrer dans le vif du sujet de cette Cantate de guerre. Dans la salle, les vociférations se poursuivent : planté à l’avant scène, d’où il ne bougera pas, un soldat éructe sa haine tandis qu’il sème la terreur et la mort, dans une famille, tuant le père violant la mère, devant leur gamin de sept ans, qui assiste à la scène impuissant. Un village comme le sien, une famille comme la sienne, sur laquelle un destin identique s’abattra. Ce faisant, il apprend à son fils, de sept ans lui aussi, la haine, pour en faire un soldat, lui débitant son bréviaire: « Soit dur, soit pur », face au chien que tu peux égorger sans scrupule, que tu as le devoir d’égorger, par ce qu’il qui ne croit pas à ce que tu crois. L’engrenage de la violence, la transmission de la haine, Larry Tremblay a trouvé les mots pour les dire dans un texte choral d’une belle fluidité. Harvey Massamba, lui les a éprouvés, au Congo pendant la guerre de 1993, et il croit les revivre en voyant ce qui se passe au Nigéria ou avec l’Etat Islamique. « Quand j’ai lu Cantate de guerre qui commence avec :  »Toi, tu n’es pas de ma peau, de mes yeux, toi tu n’es rien de moi, toi, tu ne jaillis pas de ma race, moi je te crache dans les yeux », je me suis dit : c’est exactement ce qui s’est passé au Congo », confie-t-il. Il a choisi de partager cette cantate entre trois comédiens et un musicien. Deux des comédiens restent immobiles, l’un vertical dans sa haine, l’autre couché sur son lit de souffrance, tandis que le troisième comédien, et le musicien, plus mobiles, interviennent en contrepoint et circulent, créant un pont entre scène et salle. Saisi par la violence verbale, que redouble la redoutable fixité du soldat terroriste, le public pénètre dans une sorte de cauchemar. La cruauté de la guerre, la déshumanisation qu’elle engendre, si bien disséquées dans la pièce de Larry Tremblay amènent à une sorte de désespérance, que les artistes nous font partager. Une petite distance est introduite par la musique de Simon Winsé, quand il parcourt les rangs ou qu’il s’interpose entre les acteurs, comme pour calmer le jeu: un style très personnel, une présence joyeuse. On regrette alors le jeu parfois excessif des acteurs, redondant par rapport à une texte percutant comme un tir de mitraillette car il produit à certains moments un effet de saturation. Mais il y a urgence à faire entendre une telle parole. Et on l’entend bien.

Tournée : Festival Mantsina, Brazzaville décembre 2014 ; Afri Cologne, juin 2015

Le texte publié aux Editions Lansman a obtenu le prix 2012 de la dramaturgie francophone de la SACD

 

L’appartement à trous de et par Patrick Corillon

751185116f350b2ad35f4709bbabea54Avec son air débonnaire, son sourire enfantin, il nous ferait tout gober. Par exemple, qu’il détient le «grattage» du plancher de la prison d’Ossip Mandelstam, là où le poète exilé, racontait des histoires à ses co-détenus du Goulag, pour garder espoir… Et de nous l’exhiber, avec ses rainures et ses nœuds qui esquissent des paysages. Or Mandelstam n’a jamais vécu au Goulag, il est mort sur le chemin de la Kolyma: ce n’est pas la vérité historique qui intéresse Parick Corillon, mais les translations qu’une fiction opère. Il nous avait pourtant prévenu au départ qu’il ne fallait pas croire tout ce qu’il disait… À partir de là, c’est à un étrange voyage que nous invite l’artiste liégeois. Plasticien, il a bricolé une table en mélèze de Sibérie, munie de casiers, dispositif scénique léger qui tient dans un sac de golf. Des tiroirs, il sort précautionneusement objets, photos, dessins, pour nous conter l’extravagante aventure d’un gamin crédule qui va apprendre les langues en écoutant les bruissements de la forêt polonaise, parler anglais aux pierres de Stonehenge… et nous dire la légende de l’homme d’eau, notre double utérin qui se cache dans les méandres de la Seine.
A l’instar d’un conférencier, Patrick Corillon s’adresse directement au public, en pleine lumière. Tout paraît couler de source dans ce récit au parfum d’enfance. Subtilement, les mots entrent en résonance avec les objets que l’artiste manipule avec délicatesse sur son petit plateau de planche.
Les nœuds du bois ont fourni l’univers visuel de ce récit: ils deviennent arbres, rivières, personnages, animaux. Pour faire écho aux livres pour la jeunesse de Mandelstam, l’auteur choisit de prendre des formes plastiques très simples; il utilise le coloriage, le picotage, le frottage, le découpage.
L’
Appartement à trous, sous titré soixante minutes pour parler toutes les langues est à la fois une exploration des origines du langage à l’écoute de la nature et une réflexion sur la fiction comme résistance. Il s’ancre dans une poésie qui tient du rêve éveillé. Un vrai bijou.

 Tournée : 25 octobre, Découvrez-vous ! Bois-de-Villiers ; 22 novembre, La Nuit de la marionnette- Festival MARTO, Clamart ; 12-22 décembre Théâtre de l’Agora, scène national d’Evry

Un très joli petit livre illustré fait maison accompagne le spectacle

 

La Constellation du chien de Pascale Chevarie, mise en scène Alban Coulaud

 

image18411Elle se présente: Eléonore. Elle évoquera, le temps du spectacle, un événement qui, il y a quinze ans, a bouleversé sa vie, quand elle était Léo. Flash back. Extérieur nuit. Tandis qu’Emile, écolier renfermé et solitaire, scrute le ciel, guettant l’apparition de Laïka, Léo fuit la bande de petits voyous avec qui elle traîne et qui la harcèlent. Les deux enfants se rencontrent, se racontent leurs misères, se consolent… Malgré cette amitié naissante, Emile choisit de s’envoler vers la constellation du chien où se cacherait la petite chienne russe perdue dans le cosmos depuis 1957. La pièce remonte le temps, sur les traces de cette histoire. Elle procède par courtes séquences, rythmées par des noirs. Le décor -échafaudage précaire, haut perché et fragile-, les luminaires qui trouent la pénombre renforcent l’ambiance fantomatique voulue par le metteur en scène. C’est un travail précis, sensible, porté par des acteurs qui incarnent les enfants avec un grand naturel, sans les singer. Le texte, malgré le sujet qu’il aborde évite le réalisme. Quoique que de facture assez classique, il propose un espace poétique évacuant toute dramatisation.
La Constellation du chien s’inscrit dans la Belle Saison avec l’enfance et la jeunesse, une initiative qui fait découvrir la richesse de la création contemporaine pour la jeunesse. Six spectacles du Festival des Francophonies font partie de ce cycle.

 Tournée 8-10 décembre, La Mégisserie, Saint-Junien. 2015 :28-30 janvier, Théâtre Jean Legendre, Compiègne; février, A pas contés, Dijon; avril, Festival Puy de Mômes, Cournon d’Auvergne; 15-19 avril, L’Apostrophe, Cercy-Pontoise; 12 mai, Théâtre du Cloître, Bellac.

 

Mireille Davidovici

Les Francophonies en Limousin, jusqu’au 4 octobre

 

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