Yumé.
Yumé mise en scène d’Yoshi Oïda, chorégraphie de Kaori Ito
Voilà un spectacle singulier que le public découvre au festival d’Île de France/ Tabous, musiques et interdits. Un drame lyrique et musical, d’après la pièce de théâtre nô Matsukaze, qui raconte l’histoire de deux sœurs, Matsukaze et Murasame. Récoltant du sel au bord de l’océan, elles tombent amoureuses d’un prince exilé, Yukihira qui va retourner dans son royaume et y mourir; à leur tour, elles périssent de chagrin.
Elles sont inhumées au pied d’un pin auquel est suspendue la tunique laissée par le prince: «Les objets sont les cicatrices de ce qui a été et qui n’est plus». Leurs fantômes reviennent chaque nuit hanter ce lieu, et leur vie nocturne révèle la violente jalousie qui existait entre les deux sœurs.
Plusieurs formes d’expression se trouvent réunies ici: la musique originale de Kazuko Narita est jouée en fond de scène par un ensemble instrumental, séparé du plateau par un tulle qui se teinte de couleurs dorées ou argentées, pendant qu’un baryton, Dominique Visse, chante et narre cette histoire. Deux marionnettes de bunraku figurent Murasame, manipulée par la danseuse Kaori Ito et Matsukaze, manipulée elle, par Mitsuka Yoshida, une marionnettiste de la tradition du bunraku féminin. Toutes les deux très justes dans leurs interventions mais le récitant dont, fort heureusement, le beau texte s’affiche sur deux écrans, a beaucoup plus de mal à nous convaincre, et ici l’alternance entre voix chantée et parlée ne fonctionne pas.
Kaori Ito est très impressionnante quand elle incarne la jalousie du spectre de Murasame: «Murasame ressentait la souffrance dans son corps (…) plutôt que détruire, elle préfère se détruire.» Elle explique qu’elle «a tenté de convaincre le public sans danser, danser mais sans danser, ce n’est pas une danse c’est une incarnation d’un personnage qui est très physique».
Elle réussit à exprimer physiquement cette jalousie par des spasmes et des tremblements éloquents, et s’envole joliment le long d’une corde pour tenter d’atteindre la tunique du prince accrochée à un arbre métallique d’une belle esthétique. Cette mise en scène mêle avec intelligence danse, musique, marionnettes et texte, pour un voyage poétique, loin de nos préoccupations matérialistes actuelles. Retenons ces quelques mots, à propos de la destinée des deux sœurs: «Leurs réserves d’amour étant épuisées, elles se sont avancées dans la mer et ont glissé leurs corps dans la vague.»
Jean Couturier
Maison de la culture du Japon les 3 et 4 octobre