Permafrost
Permafrost de Manuel Antonio Pereira, mise en scène de Marie-Pierre Bessanger
Une femme observe un homme, un étranger, venu d’«une ville à l’envers de la nôtre ». Fascinée par son corps viril, sa présence silencieuse, elle raconte, à mots choisis et imagés, l’existence monotone de cet inconnu, «une vie sans couleurs», au milieu des machines, dans un univers d’usines en voie de fermeture, où l’avenir «sonne creux» et les suicides au travail sont monnaie courante.
Le récit de la femme s’accompagne d’un ballet de personnages en bleus de travail, gens de l’ombre, qui vivent, anonymes, dans le bruit et le métal des ateliers. De courtes scènes dialoguées entrecoupent son monologue, plus terre à terre et plus directes que la prose littéraire du récit, dont l’intervention de cadres et journalistes cyniques, d’un médecin humaniste mais sans pouvoir, tous glosant sur le monde ouvrier jusqu’à en être comiques.
Autant de moments qui détendent l’atmosphère grave de la pièce, renforcée par la nudité du plateau jonché de pièces détachées, et par des lumières blafardes et des grincements de mécanismes mal huilés.
Cependant, certaines de ces séquences tranchent trop brutalement avec la prose poétique de la narratrice, à laquelle Agnès Guignard prête sa voix flûtée. Sa présence gracieuse, dans cet univers déprimant contraste avec la carrure massive de Gaétan Lejeune. Danseur et chorégraphe, il campe un personnage taiseux et inquiétant, hanté par un « ange d’affliction » qui lui annonce : «Tu ne peux pas être heureux (… ) la blessure est ton avenir».
Mais, démentant ces sombres prédictions, l’amour fera fondre la carapace glacée de cet être fruste. Marie-Pierre Bessanger, directrice du Bottom Théâtre de Tulle a créé la pièce au Festival des Francophonies de Limoges. Elle rend concrète l’écriture ciselée de Pereira et sa mise en scène minimaliste, toute en nuances, recrée une vie authentique correspondant «aux mondes du travail»,thématique de rentrée à la Maison des métallos.
Permafrost est un spectacle original, élégant et d’une grande pudeur, parmi tous ceux qui traitent ce thème.
Mireille Davidovici
Maison des Métallos, jusqu’au 19 octobre : T. 01 47 00 25 20. Théâtre de Bourg-en-Bresse, les 27 et 28 janvier. Théâtre de Fontenay-sous-Bois, le 3 février.
Permafrost est publié aux éditions Espace 34.
Permafrost de Manuel Antonio Pereira, mise en...:
Ajouté le 12 octobre, 2014 à 10:36