Le Jeu de l’amour et du hasard
Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Laurent Laffargue
La pièce (1740) est l’une des plus célèbres et des plus jouées de Marivaux qui a su faire du langage, un moteur de l’action et avec un remarquable sens du dialogue: Silvia- « Taisez-vous, allez répondre vos impertinences ailleurs et sachez que ce n’est pas à vous à juger de mon cœur par le vôtre. Lisette- « Mon cœur est faitcomme celui de tout le monde ; de quoi, le vôtre s’avise-t-il de n’être fait comme celui de personne? »
Dans ses pièces, le désir amoureux est le pivot des relations entre un homme et une femme, avec ses joies, intrigues et coups cyniques mais aussi avec sa pudeur dans l’expression. Cela dit, les personnages de Marivaux se passent fort bien de morale tout court, et encore plus de morale religieuse.
Laurent Laffargue a conçu une remarquable mise en scène pour cette pièce-culte du répertoire classique qui n’est si jouée que cela. « C’est, dit-il, toute la mécanique subtile de cette double partition, amoureuse et sociale, que je souhaite mettre en scène, en m’appuyant sur les codes actuels. Car, bien qu’en apparence plus égalitaire, notre société reste pourtant cloisonnée, même si les marqueurs sociaux de la distinction se font sans doute plus discrets et habiles aujourd’hui. Marivaux montre des individus en quête de (leur) vérité, qui se cherchent encore, et découvrent un sentiment pour eux inconnu, tout à la fois délicieux et effrayant : l’amour ».
Au centre de la scène, une sorte de tourniquet comme on en voit dans les jardins publics. (il ne sert pas à grand chose et disparaîtra ensuite). Et un décor blanc avec deux portes frontales construit sur un plateau tournant qui se mettra en marche avec les personnages pour ponctuer les différents moments de l’action. Cette invention ancienne née pour le music-hall n’est pas ici vraiment justifiée, d’autant qu’elle rehausse encore la scène déjà mal foutue du T.O.P., mais bon!
Côté costumes, c’est aussi un peu le n’importe quoi hissé au rang d’esthétique, cela aurait dû être beaucoup mieux étudié (entre autres le pantalon de clown d’Orgon!), surtout quand on en sait leur rôle capital chez Marivaux et qu’on les veut contemporains; en tout cas, c’est raté.
Laurent Laffargue semble ici s’être davantage préoccupé de la direction d’acteurs et il a bien choisi ses acteurs: Georges Bigot (Orgon) et une bande de jeunes issus du Conservatoire national: Maxime Dambrin (Mario), Clara Ponsot (Silvia) et un jeune acteur qui a remplacé- belle performance- Pierric Plathier subitement hospitalisé, dans Dorante, Manon Kneusé (Lisette) et Julien Barret (Arlequin).
Rarement, on a entendu comme ici, ces dialogues sublimes: Georges Bigot, bien sûr et ces jeunes acteurs qui ont une impeccable diction (mais cela devient rare!) mais nécessaire pour interpréter du Marivaux. Bien dirigés par Laurent Laffargue, ils sont tous crédibles dès qu’ils entrent sur le plateau. Même s’il y a parfois comme l’ombre d’un flou dans l’unité de jeu…
Mention spéciale en tout cas, à Manon Kneusé, brillante et à Clara Ponsot qui a une sacrée présence et une large palette de sentiments: cynisme, joie, tristesse, tendresse amoureuse dont elle use avec discrétion. On a pu la voir, bonne actrice de cinéma, notamment dans Des gens qui s’embrassent de Danièle Thompson mais, là, elle donne toute sa vérité à cette Silvia.
Laurent Laffargue, en nettoyant la pièce avec efficacité d’une teinture historique souvent pesante, a su rendre toute la modernité de Marivaux, comme il l’avait fait autrefois avec La Dispute. Les lycéens, en nombre ce soir-là, semblaient fascinés par cet auteur qu’ils ne connaissaient sûrement pas, ou mal… C’est toujours bon signe, comme dirait notre amie Christine Friedel…
Philippe du Vignal
Spectacle créé en mars dernier au Théâtre de l’Ouest Parisien, Boulogne-Billancourt et repris jusqu’au 19 octobre.
Le 4 novembre, Espace d’Albret, Nérac (Lot); les 6 et 7 novembre, L’Odyssée de Périgueux; du 27 au 29 novembre, Théâtre Jean Vilar de Suresnes (Hauts-de-Seine).
Le 5 décembre, Espace Philippe Auguste, Vernon (Eure); le 12 décembre, Scène Nationale de Montbéliard (Doubs) et les 16 et 17 décembre, Théâtre du Beauvaisis hors-les-murs.