Je suis le vent
Je suis le vent de Jon Fosse, traduction du norvégien de Terje Sinding , mise en scène d’Alexandre Zeff
Les didascalies de Je suis le vent indiquent que la scène se joue dans un bateau imaginaire à peine suggéré, à la façon d’actions imaginaires, elles aussi, à suggérer. Alexandre Zeff s’amuse de ces détails et en rajoute même avec une scénographie technicisée: barque, accessoires marins et bruit de bourrasques de vagues. Des cordes retiennent les spectateurs quand ils montent à bord, et les chaînes d’amarrage résonnent en frottant les flancs du bateau. Assis dans les travées de bois de l’embarcation, nous éprouvons la sensation douce-amère d’un tournis bienfaisant.
L’Un et l’Autre dialoguent : un homme (Thomas Durand) et une femme (Camille de Sablet). L’Un, poétique et lunaire, profondément mélancolique et rêveur, est attiré par un au-delà inaccessible, aidé par le schnaps qui lui donne du courage. L’Autre, terre-à-terre et plus quotidienne, est une figure glamour à la Marylin, petite robe noire de soirée, coiffure balayée chic et maquillage souligné. Et des loupiottes, verres à pied en cristal, et air langoureux de Frank Sinatra, pour un dîner festif,.
Il y a des îles et récifs évoqués, des criques entrevues, des voiles de brume et de silence s’élevant dans la nuit du ciel; on entend aussi l’eau qui clapote. L’Un avoue à l’Autre sa peur de sauter par-dessus bord, (pas exactement une pensée mais quelque chose de proche), face au profond vertige de cette étendue marine qui l’aimante et le fascine, attiré qu’il est par le vide ineffable de l’abîme.
L’Autre tente de faire parler le taiseux, et fait en sorte qu’il s’exprime dans la quiétude, mais il se rétracte : « Ce sont juste des mots/ Des choses qu’on dit/Je n’ai rien voulu dire/Je ne faisais que parler. » L’Un s’assimile à une pierre, à quelque chose de lourd, en avouant pourtant que tout se balance finalement dans l’éther du vent de la mer.
L’Un, un être douloureux, se sent envahi à la fois par la peur et la toute-puissance de sa rêverie. Le déchaînement des éléments témoigne autant de la sauvagerie furieuse de la nature, que d’une forme de calme et de sérénité, dûe au mouvement régulier des vagues. Les eaux tranquilles évoquent, elles, une attente, une menace sourde, une suspension de la vie jusqu’à l’événement fatal.
Le spectacle égrène avec finesse ce sentiment d’infinie solitude, d’attente et de vide à combler. L’Autre tente d’aider L’Un, en lui soufflant que la vie continue et qu’on doit se défendre. Était-il, enfant, dans ce sentiment d’abandon ? L’Un rétorque :« Non. Alors, tout était en mouvement. » Avec ses soulèvements d’air et d’écume, un mouvement inlassable d’existence mouvante et joyeuse, la mer est symbole de vie, de mort et renaissance,. . L’enjeu de l’affrontement avec elle, n’est ni la vie ni la mort mais la liberté, avec une vie réappropriée dans la conscience de la mort :« La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme », disait déjà Baudelaire.
La scénographie de Xavier Lemoine et Estefania Castro est audacieuse: coque de bateau, grincement de chaînes, bruit lancinant des vagues. À travers des châssis transparents et de miroirs réfléchissants, et grâce aux lumières de Sébastien Roman, on se croirait entre vie et mort, ciel et mer, et entre les vivants et les morts; seul, un rayon lumineux vertical signifie la séparation entre les deux mondes. Et, malgré le décalage de jeu entre l’aérien Thomas Durand et celui Camille de Sablet, plus âpre, le spectacle possède une écriture scénique de toute beauté.
Véronique Hotte
Spectacle joué au Théâtre de Vanves, du 13 au 16 octobre.
Bonjour , merci pour votre critique limpide du spectacle.
Cependant, auriez vous l’obligeance de corriger les noms des scénographes svp?
Xavier Lemoine et Estefania Castro
Merci d’avance et à bientôt sur un autre bateau.