Eszter Salamon 1949 d’Eszter Salamon
Eszter Salamon 1949, d’Eszter Salamon
Eszter Salamon, danseuse, chorégraphe et performeuse, travaille depuis plusieurs années avec ses doubles, ses homonymes. Au musée du Jeu de paume, elle expose un dialogue assez vertigineux avec l’une d’entre elles, Eszter Salamon 1949, année de naissance de celle-ci. Plusieurs entretiens sont concentrés dans ces deux heures d’un monologue dit en continuité par trois actrices qui se succèdent.
Cette Eszter là raconte, à travers son identité et son corps de femme, à peu près toute l’histoire de la Hongrie moderne, de l’après-guerre à nos jours. Le quotidien, le travail, l’argent, la politique, le sexe, y tiennent leur place, dans une partition, à la fois chorégraphiée geste par geste, sonorisée avec une grande précision, et en même temps, livrée aux aléas de l’exposition.
Les actrices disent le texte sans protection et littéralement exposées, au passage des visiteurs, à leurs regards, à leurs voix ou à leur silence, ou même à leur absence. Contrairement aux règles du théâtre où le point de vue est institué par la lumière, la scénographie, le noir et la clôture de l’espace, ici tout joue, (et le spectateur intime de ces entretiens devenus récit est invité à y intégrer ce qui l’entoure), aux limites de son champ visuel.
Les silhouettes montant ou descendant l’escalier, les spectateurs qui ont choisi de s’arrêter un moment ou plus longtemps, les petits bruits même qu’il entend derrière lui : tout entre dans le léger « dérangement » de la partition. C’est dans la ligne des recherches de la chorégraphe : « dance for nothing » (disparition du corps dans la danse), du moins du corps volontaire en ce qui concerne les gens qui passent, inclus sans le savoir dans le dispositif.
Rigoureuse et aléatoire à la fois, la performance est, avant tout, celle des trois actrices qui donnent tout simplement corps à cette affaire d’identité. Elles sont, par leur présence réelle, les tiers qui permettent le dialogue souterrain entre les deux Eszter Salamon. Véronique Alain, Désirée Olmi, Frédérique Pierson ont la maturité et la maîtrise, la concentration nécessaires à cet exercice plus que périlleux.
Elles créent, par leur regard, par leur adresse à ceux qui sont là, un espace très fort, mouvant et ferme à la fois. Rigoureusement fidèles toutes les trois à la partition, elles sont pourtant passionnantes à regarder dans leurs différences : pour tout dire, irremplaçables. Mais, quand on finit par les trouver dans le document du musée, il faut presque une loupe pour lire leurs noms.
Nous renouvelons donc un grand coup de chapeau à Véronique Alain, Désirée Olmi et Frédérique Pierson.
Christine Friedel
Musée du du Jeu de paume, jusqu’au 9 novembre, horaires variables. Renseignements au 01 47 03 12 50. En collaboration avec la FIAC et le Festival d’automne.
Très bon article de Christine Friedel! Merci à elle.