J’oublie tout
J’oublie tout de Jean-Pierre Larroche
Jean-Pierre Larroche est un touche-à-tout du théâtre, et quand il n’est pas scénographe (récemment au Théâtre du Rond-Point pour Ugzu), il joue chez Thierry Roisin, ou dans sa propre compagnie des Ateliers du Spectacle qui, fondée en 1988, compte une vingtaine de créations…
Son théâtre, qui participe à la fois de l’objet, de la marionnette et du théâtre, cherche à « donner un corps et une voix à ceux qui n’en ont pas d’habitude (certains mots, des objets, des machines, quelques idées…), renverser quelques arrangements convenus entre les causes et les effets, donner quelques lettres de noblesse aux accidents, malentendus des faits, conséquences improbables… ».
Ce sont des installations qui interagissent avec le comédien, et des machineries qui rappellent l’univers visuel d’un Pierre Meunier. Jean-Pierre Larroche s’empare souvent de questionnements scientifiques : pour le Campement Mathématiques, trois spectacles où il s’interroge sur les mathématiques dans L’Apéro Mathématiques, les équations qui font le monde, et le fonctionnement de la pensée comme dans Le T de N-1, ou l’organisation de notre espace mental et les rouages de notre pensée comme dans Fromage de Tête.
Ces quêtes de sens passionnantes et travaillées avec des scientifiques et spécialistes, font naître une poésie certaine et cela nous pousse à réfléchir (et on en est souvent surpris) devant ces assemblages surprenants, ces trappes qui s’ouvrent et ces objets qui s’élèvent grâce à un fil invisible.
La thématique de J’oublie tout est le sommeil, celui que l’on cherche sans le trouver, et qui reste un mystère pour nous. La source scientifique est beaucoup moins présente dans ces installations que dans les spectacles précédents de Jean-Pierre Larroche, et on touche plus ici à la rêverie, comme dans ce tableau où, après que l’on y a passé une éponge, apparaît un corbeau qui s’anime, ou encore une boule de fibres qui recouvre toute la tête d’une comédienne comme la pyramide dans Oh! Les beaux jours!
Très bien réalisées, ces installations nous proposent un monde de rêverie et d’étrangeté visuelle. Par exemple, un pan de papier blanc descend des cintres pour être peint par un comédien, et laisse peu à peu apparaître un homme qui dort, réplique comme projetée d’un comédien assoupi à l’avant-scène. Tout un tas d’objets, assemblés les uns aux autres et mis en lumière, montre, comme par magie, un dormeur, dont un soufflet fait monter et redescendre le ventre.
Le bric-à-brac de ces installations sur le plateau fonctionne remarquablement, et on en aime le côté bricolé mais… le spectacle les enchaîne, sans qu’il nous soit possible de construire un récit ou une dramaturgie sur la longueur. Et du coup, c’est un peu long et vain. Surtout quand on a vu et apprécié ce travail scientifique entamé notamment avec le T de N – 1 , tellement plus passionnant et concret. Ce J’oublie Tout présente en fait la forme sans le fond et donne carte blanche à Jean-Pierre Larroche autour de la lointaine thématique du sommeil
Même si l’on ne s’est pas endormi… on reste donc un peu déçu par ce dernier opus, et un degré en dessous des précédents, mais on attend quand même avec impatience le prochain !
Julien Barsan
Spectacle vu au Carreau du Temple. On peut aussi voit Le T de N-1 le 18 novembre à Oloron Sainte-Marie et Le T de N-1 + Fromage de Tête, les 6 et 7 novembre au Théâtre de Privas et le 22 novembre au Théâtre de Gradignan.