La Passion des soldats de la grande guerre
La Passion des soldats de la grande guerre, d’après les écrits et témoignage de Maurice Genevoix et Ernst Jünger, adaptation et mise en scène de Xavier Gras
Coïncidence : en 1914, Ernst Jünger, 19 ans et Maurice Genevoix,23 ans, sont mobilisés,et en 1915, l’un, simple bidasse, l’autre, sous-officier, se trouvent de part et d’autre du front des Eparges (Meuse), où ils seront tous deux blessés. Ils écriront leur guerre, le premier dans Orages d’acier, le second dans Ceux de 14.
Pour porter ces récits à la scène, Xavier Gras a réparti ces textes entre six jeunes comédiens, trois Allemands et trois Français: quatre garçons, deux filles. Tous revêtus du même uniforme grisâtre, forment un chœur bilingue. Tantôt rassemblés, tantôt opposés, ils crapahutent deux heures durant sur le plateau nu, avec, pour seuls accessoires, des cantines métalliques et des couvertures.
Depuis le départ, la fleur au fusil, jusqu’à l’épreuve du feu: peur, pluie, froid, boue, spectacle de la mort, blessures… Toutes horreurs, que l’on a lues ou vues maintes fois au cinéma, nous sont ici contées, mais aussi les amitiés forgées dans la tourmente, et les petits bonheurs: une jolie fille entr’aperçue à l’auberge, un bon café partagé dans l’abri, une pipe de tabac gris lentement savourée, un ennemi qu’on épargne…
En français et en allemand, les deux récits se répondent, obéissant à un strict parallélisme, chacun sur-titré dans l’autre langue. Plus lyrique et intimiste chez Ernst Jünger, plus réaliste et truffé de dialogues ou d’anecdotes chez Maurice Genevoix.
Les comédiens font résonner avec talent ces écritures ouvragées et imagées. On apprécie ces styles du début du XXème siècle, leur musicalité et leur rythme singulier et on a envie de lire ou relire ces deux œuvres, en particulier Ceux de 14 de Maurice Genevoix qui sait restituer avec précision les parlers locaux des poilus, dire la camaraderie, rendre la proximité des corps, leur chaleur et leur hébétude, ou leurs tremblements…
L’adaptation scénique accompagne au plus près l’expérience de ces écrivains, mais le spectacle pourrait être plus dynamique si le metteur en scène éliminait quelques redondances. La chorégraphie brouillonne des corps dans l’espace nuit à l’écoute des textes, et notre attention se perd parfois dans les déplacements incessants des acteurs.
La bande-son constituée de bruitages illustratifs ne semble pas non plus indispensable. Reste un projet original imaginé dans l’esprit d’un dialogue franco-allemand, qui permet de découvrir des textes qui se nourrissent l’un de l’autre et qui, à l’unisson, clament l’absurdité de la guerre, l’héroïsme en pure perte, l’injuste boucherie infligée à la jeunesse.
Plus jamais ça, disent-ils. Que ne les entend-t-on!
Mireille Davidovici
Théâtre de l’Opprimé jusqu’au 26 octobre 78 rue du Charolais 75012 Paris T.01 43 40 44 44
5 Novembre à La Valette du Var 83160