14, lecture spectacle


14 , lecture-spectacle, texte de Jean Echenoz, de et avec Nicole Garcia, Inès Grunenwald, Guillaume Poix, Pierre Rochefort, et au violon, Alexandre Welmane

  14_GiovanniCittadiniCesi_003En toile de fond, et en guise de réplique imagée des quatre comédiens debout, le public contemple, comme évidente, une photo en noir et blanc de quatre jeunes soldats de la guerre de 14, debout, en uniforme sombre. Une photo-souvenir, comme on en trouve parfois dans les greniers de maisons de campagne, une photo encadrée pour protéger la jeunesse, à la fois si proche et si lointaine, de ces appelés à la mine grave, regard franc et  sourire en coin, cigarette à la bouche, calot sur la tête et bons mots entre copains. On croyait que l’affaire allait durer quinze jours, « sauf que quinze jours de plus après, trente jours plus tard, au bout d’autres puis d’autres semaines… », on n’entrevoyait aucune fin.
Peut-être, ces quatre-là, débarqués de Vendée dans les Ardennes, viennent-ils de se tenir au garde-à-vous, pour écouter leur capitaine promettre qu’ils reviendront tous à la maison, à condition  de rester propres ! Copains de pêche et de café, il y a, ainsi, affectés  à diverses  fonctions,  Padioleau, le garçon-boucher, Bossis, l’équarisseur et Arcenel, le bourrelier, et Anthime Séze, le comptable de l’usine de chaussures Borne-Sèze en Vendée, et  son frère aîné,  le méprisant Charles Sèze. .
Les Borne dirigent cette usine, et Blanche est leur belle fille et leur unique héritière, avec qui les deux fils Sèze vivent une histoire d’amour singulière. Au moment du départ, Blanche est venue leur faire ses adieux : « Comme il s’y attendait, Anthime a d’abord vu Blanche porter vers Charles, un sourire fier de son maintien martial puis, comme il arrivait à sa hauteur, non sans surprise, il a reçu d’elle une autre variété de sourire, plus grave, et même lui a-t-il semblé, un peu plus ému, soutenu, prononcé, va savoir au juste. »
Nous ne dévoilerons pas l’intrigue pour laisser intact le plaisir du spectateur. À côté des sentiments intimes, Jean Echenoz défile patiemment l’écheveau, plus rêche, des horreurs de la guerre, avec des obus qui explosent et déchiquètent les hommes : «Le silence semblait donc vouloir se rétablir, quand un éclat d’obus retardataire a surgi, venu d’on ne sait où, et on se demande comment, bref comme un post-scriptum. C’était un éclat de fonte, en forme de hache polie néolithique, brûlant, fumant, de la taille d’une main, non moins affûté qu’un gros éclat de verre. Comme s’il s’agissait de régler une affaire personnelle sans un regard pour les autres, il a directement fendu l’air vers Anthime, en train de se redresser et, sans discuter, lui a sectionné le bras droit, tout net, juste au-dessous de l’épaule. »
Son frère Charles, le pistonné, lui, a quitté l’infanterie ; il y a une scène éloquente, où, pour une mission de reconnaissance, on le voit installé derrière le pilote dans un biplan à deux places, un petit avion Farman F37, que l’auteur compare à un moustique qui finit par s’écraser au sol: son  pilote vient d’être touché à l’œil et à la tête par la balle tracée d’un fusil allemand.
Avec un regard ironique et moqueur, Jean Echenoz vise toujours juste la qualité existentielle des êtres, et se tient à  égale distance, à la fois d’un compte-rendu objectif de la guerre et d’une autre dimension, romanesque. Près du trio amoureux, Nicole Garcia, narratrice inventive à l’humour mi-figue mi-raisin, traduit pour le spectateur, au détour d’une phrase percutante, l’injustice de ces vies.
Acuité et justesse de cette vision de l’enfer de  cette guerre…

 Véronique Hotte

 Théâtre du Rond-Point, Paris,  jusqu’au 24 octobre à 20h30. T : 01 44 95 98 21

 


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