J’oublie tout

J’oublie tout  de Jean-Pierre Larroche

 

j'oublie toutJean-Pierre Larroche est un touche-à-tout du théâtre, et quand il n’est pas scénographe (récemment au Théâtre du Rond-Point pour Ugzu), il joue chez Thierry Roisin, ou dans sa propre compagnie des Ateliers du Spectacle qui, fondée en 1988, compte une vingtaine de créations…
Son théâtre, qui participe à la fois de l’objet, de la marionnette et du théâtre, cherche à « donner un corps et une voix à ceux qui n’en ont pas d’habitude (certains mots, des objets, des machines, quelques idées…), renverser quelques arrangements convenus entre les causes et les effets, donner quelques lettres de noblesse aux accidents, malentendus des faits, conséquences improbables… ».
Ce sont des installations qui interagissent avec le comédien, et des machineries qui  rappellent l’univers visuel d’un Pierre Meunier. Jean-Pierre Larroche s’empare souvent de questionnements scientifiques : pour le Campement Mathématiques, trois spectacles où il s’interroge sur les mathématiques dans L’Apéro Mathématiques, les équations qui font le monde, et le fonctionnement de la pensée  comme dans  Le T de N-1, ou l’organisation de notre espace mental et les rouages de notre pensée comme  dans Fromage de Tête.
Ces quêtes de sens passionnantes et travaillées avec des scientifiques et spécialistes, font naître une poésie certaine et cela nous pousse à réfléchir (et on en est souvent surpris) devant  ces assemblages surprenants, ces trappes qui s’ouvrent et ces objets qui s’élèvent grâce à un fil invisible.
La thématique de  J’oublie tout est le sommeil, celui que l’on cherche  sans le trouver, et qui reste un mystère pour nous. La source scientifique est beaucoup moins présente dans ces installations que dans les spectacles précédents de Jean-Pierre Larroche, et on touche plus ici  à la rêverie,  comme dans ce tableau où, après que l’on y a passé  une éponge, apparaît un corbeau qui s’anime, ou encore une boule de fibres qui recouvre toute la tête d’une comédienne comme la pyramide dans Oh! Les beaux jours!
Très bien réalisées, ces installations nous proposent un monde de rêverie et d’étrangeté visuelle. Par exemple, un pan de papier blanc descend des cintres pour être peint par un comédien, et laisse peu à peu apparaître un homme qui dort, réplique comme projetée d’un comédien assoupi à l’avant-scène. Tout un tas d’objets, assemblés les uns aux autres et mis en lumière, montre, comme par magie,  un dormeur, dont un soufflet fait monter et redescendre le ventre.
Le bric-à-brac de ces installations sur le plateau fonctionne remarquablement, et on en aime le côté bricolé  mais… le spectacle les enchaîne, sans qu’il nous soit possible de construire un récit ou une dramaturgie sur la longueur. Et du coup, c’est un peu long et vain. Surtout quand on a vu et apprécié ce travail scientifique entamé notamment avec le T de N – 1 ,  tellement plus passionnant et concret. Ce J’oublie Tout présente en fait la forme sans le fond et donne carte blanche à Jean-Pierre Larroche autour de la lointaine thématique du sommeil
Même si l’on ne s’est pas endormi… on reste donc un peu déçu par ce dernier opus, et un degré en dessous des précédents, mais on attend quand même avec impatience le prochain !

Julien Barsan

 Spectacle vu au Carreau du Temple. On peut aussi voit Le T de N-1 le 18 novembre à Oloron Sainte-Marie et Le T de N-1 + Fromage de Tête, les 6 et 7 novembre au Théâtre de Privas et le 22 novembre au Théâtre de Gradignan.

 

 

 


Archive pour octobre, 2014

Histoire de clés

Histoire de clés de Nathalie Akoun, mise en scène d’Olivier Cruveiller

  une-histoire-de-cles-3-c2a9-victor-tonelliRien sur scène, sauf une cuvette en inox remplie d’eau et, bien éclairé par un pinceau lumineux, un haut tabouret en tôle rouge, de la célèbre marque Tolix où la comédienne Nathalie Akoun, qui est aussi l’auteure du texte, s’assied et monte parfois debout.
Empilable, comme les chaises identiques, ce tabouret né dans les années 20 des mains du génial Xavier Pauchard (1880-1948), artisan chaudronnier, puis patron d’une manufacture d’articles ménagers en tôle galvanisée, est toujours fabriqué à Autun.
  Sa célèbre chaise A, devenue depuis une icône de l’esthétique industrielle, est exposée depuis  au MoMa à New York et au Centre Georges-Pompidou. Elle s’était  imposée «par sa solidité à toute épreuve, sa légèreté inégalée, sa propreté facile à garder», et… par un  prix modeste. On en verra les différents modèles empilables, dans les ateliers,cafés, hôpitaux, jardins publics, et même dès 1934, sur le paquebot Normandie. Ils furent  très vite exportés aux Etats-Unis et ailleurs, mais l’entreprise fut menacée de mort, il y a vingt ans pour cause de mévente. Reprise par la courageuse Chantal Andriot, l’usine d’Autun continue, malgré des plagiats indiens et chinois, à produire et à beaucoup exporter…(Merci, tonton du Vignal, pour cette courte leçon d’histoire du design).
Bon, reprenons. Donc, une jeune femme aux cheveux décolorés, en imperméable crème, entre sur le plateau; elle semble très angoissée et ne pas savoir même où elle est. Elle dit que son mari l’a quittée, et qu’elle se retrouve seule pour élever ses enfants qui sont devenus le centre de sa vie.
Elle en parle souvent mais ne les nomme pourtant pas et on n’en saura pas grand chose. L’un d’eux a osé tutoyer son prof de gymnastique et doit passer devant le conseil de discipline de son collège.
Désemparée quant à la façon de les élever, et dépassée par les événements, elle est incapable d’être à sa place de mère et  de gérer les choses au quotidien. Assoiffée d’amour,  la jeune femme n’arrive pas à trouver les bons mots pour se faire entendre de ses copines ni de ses enfants, dont l’un a fugué  la nuit parce qu’elle avait laissé les clés sur la porte.   Comme pour essayer d’effacer un sentiment de culpabilité, elle va parfois se frotter les mains dans l’eau de la cuvette en inox
Elle ne cesse de se demander pourquoi et comment cela a pu lui arriver à elle et s’étonne  de façon candide  de voir que sa vie de famille, qu’elle qualifie de normale,  a pu ainsi déraper…et  se raccroche à ses enfants comme à un rempart: on sent bien qu’elle est va basculer dans l’horreur. Rien n’est vraiment dit mais elle va tuer ses enfants, symbolisés par des petits bonhommes qu’elle dessine à craie sur le mur du fond. Bien sûr, l’on peut penser à Médée… et à ces tragédies familiales que l’on voit régulièrement dans les pages de faits divers
Olivier Cruveiller a mis en scène Nathalie Akoun avec une grande précision mais, même si elle dit le texte  avec une excellente diction et une belle gestuelle aux mouvements empruntés au tai-chi et dirigés par Yanno Iatridès, la façon systématique qu’elle a d’allonger ses fins de phrases est assez artificielle et devient vite pénible. Le spectacle, honnête, parait donc un peu longuet, alors qu’il ne dure que soixante dix minutes et, dommage, ne nous a guère procuré d’émotion réelle…
On ne s’ennuie pas vraiment mais une certaine routine s’installe et nuit à cette parole proférée dans une sorte d’exorcisme, si bien que l’on reste sur sa faim.  Mais nos consœurs critiques ont, dans l’ensemble, assez aimé ce spectacle…
A vous de décider mais on ne vous y poussera pas.
Philippe du Vignal
Théâtre du Lucernaire,Paris jusqu’au 22 novembre du mardi au samedi  à 19h.
Le texte est édité à L’Avant-Scène Théâtre, avec le soutien de l’association Beaumarchais-S.A.C.D., collection des « Quatre Vents » contemporain, 2006)

Eszter Salamon 1949 d’Eszter Salamon

Eszter Salamon 1949, d’Eszter Salamon

 

Eszter SalamonEszter Salamon, danseuse, chorégraphe et performeuse, travaille depuis plusieurs années avec ses doubles, ses homonymes. Au musée du Jeu de paume, elle expose un dialogue assez vertigineux avec l’une d’entre elles, Eszter Salamon 1949, année de naissance de celle-ci. Plusieurs entretiens sont concentrés dans ces deux heures d’un monologue dit en continuité par trois actrices qui se succèdent.
Cette Eszter là raconte, à travers son identité et son corps de femme, à peu près toute l’histoire de la Hongrie moderne, de l’après-guerre à nos jours. Le quotidien, le travail, l’argent, la politique, le sexe, y tiennent leur place, dans une partition,  à la fois chorégraphiée geste par geste, sonorisée avec une grande précision, et en même temps, livrée aux aléas de l’exposition.
Les actrices disent le texte sans protection et littéralement exposées, au passage des visiteurs, à leurs regards, à leurs voix ou à leur silence, ou même à leur absence. Contrairement aux règles du théâtre où le point de vue est institué par la lumière, la scénographie, le noir et la clôture de l’espace, ici tout joue, (et le spectateur intime de ces entretiens devenus récit est invité à y intégrer ce qui l’entoure), aux limites de son champ visuel.
Les silhouettes montant ou descendant l’escalier, les spectateurs qui ont choisi de s’arrêter un moment ou plus longtemps, les petits bruits même qu’il entend derrière lui : tout entre dans le léger « dérangement » de la partition. C’est dans la ligne des recherches de la chorégraphe : « dance for nothing » (disparition du corps dans la danse), du moins du corps volontaire en ce qui concerne les gens qui passent, inclus sans le savoir dans le dispositif.
Rigoureuse et aléatoire à la fois, la performance est, avant tout, celle des trois actrices qui donnent tout simplement corps à cette affaire d’identité. Elles sont, par leur présence réelle, les tiers qui permettent le dialogue souterrain entre les deux Eszter Salamon. Véronique Alain, Désirée Olmi, Frédérique Pierson ont la maturité et la maîtrise, la concentration nécessaires à cet exercice plus que périlleux.
Elles créent, par leur regard, par leur adresse à ceux qui sont là, un espace très fort, mouvant et ferme à la fois. Rigoureusement fidèles toutes les trois à la partition, elles sont pourtant passionnantes à regarder dans leurs différences : pour tout dire, irremplaçables. Mais, quand on finit par les trouver dans le document du musée, il faut presque une loupe pour lire leurs noms.
Nous renouvelons donc un grand coup de chapeau à Véronique Alain, Désirée Olmi et Frédérique Pierson.

 

Christine Friedel

Musée du du Jeu de paume, jusqu’au 9 novembre, horaires variables. Renseignements au  01 47 03 12 50. En collaboration avec la FIAC et le Festival d’automne.

La nouvelle saison de la Comédie de Caen

La nouvelle saison du Centre Dramatique national de la  Comédie de Caen

 jean-lambert-wild_1660060 C’est la dernière présentation de saison pour Jean Lambert-wild à Caen; il va en effet prendre la direction du Centre dramatique national de Limoges en décembre prochain. Il est là, sur le plateau dans son uniforme habituel: grand pantalon blanc crème à bretelles, T.shirt et  semi-bottes marron à lacets. On le sent à la fois ému et fier d’avoir conduit toute son équipe (35 personnes) pendant huit ans déjà,  dans un parcours sans faute, à la tête de la Comédie de Caen.
Avec une très bonne programmation, dont un certain nombre de créations (de ses textes mais aussi ceux des autres). Son dernier spectacle En attendant Godot, est programmé depuis un peu partout (voir Le Théâtre du Blog). Et il a réussi à fidéliser un public souvent composé de jeunes gens, ce qui n’est pas si fréquent dans les centres dramatiques… C’est aussi lui qui a offert à Michel Onfray,  le Théâtre d’Hérouville pour sa populaire et formidable conférence mensuelle. Mais tout cela n’aurait pu se faire, a rappelé Jean Lambert-wild, sans son équipe,  et sans  la connivence et le soutien des mairies d’Hérouville et de Caen, et des conseils généraux et régionaux.
Au programme de cette nouvelle saison,  on ne peut tout détailler mais il y a plein de bonnes choses, dont et comme chaque année, le Festival des Boréales, avec, entre autres, Made in Finland, un étonnant spectacle de cirque avec sept jeunes femmes au trapèze, au rola-bola mais aussi au violon et à la guitare qui se moquent de façon cinglante mais avec humour, des clichés véhiculés sur leur Finlande natale… Puis  Notre peur de n’être de Fabrice  Murgia, (voir Le Théâtre du Blog), créé au dernier Festival d’Avignon, et une nouveauté: un spectacle de théâtre en appartement avec Prière de ne pas diffamer ou la véridique histoire d’Hélène Bessette  en décembre prochain. On connaît peu cette écrivaine exceptionnelle, (née en 1918, et morte oubliée en 2000); d’abord institutrice, renvoyée de l’Education nationale, elle ne devait pas trop plaire aux inspecteurs et était devenue femme de ménage. Maiselle fut soutenue par… Raymond Queneau, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Jean Dubuffet, André Malraux! Et Gallimard publia, entre 53 et 73, treize romans d’elle (réédités depuis chez  Léo Scher.
Il y aura, au Théâtre d’Hérouville, un spectacle de clowns tout à fait étonnant d’intelligence et de drôlerie qui va faire des ravages, si on en juge par les sketches qu’elles ont présenté au cours de cette soirée. Les Clownesses, mise en scène par Olivier Lopez, directeur de la compagnie Actea basée à Caen, avec trois jeune femmes: Pauline Couic, Bibine, Marion, et Pom, un garçon longiforme, qui est un peu leur souffre-douleur. Pauline Couic, remarquable comédienne (il ne s’agit pas du tout de clownerie au sens péjoratif du terme mais de construction d’un personnage), réussit à embarquer le public de la grande salle du Théâtre d’Hérouville qui riait de bon cœur: diction, gestuelle et invention comique garanties de tout premier ordre…
A noter: un Oncle Vania, avec entre autres, Romane Bohringer, dans une mise en scène de Pierre Pradinas,  qui dirige encore pour quelques mois Limoges…
Comme les autres pièces de Tchekhov, dit-il, « elle vibre avec les époques successives en fonction des comédiens qui l’interprètent, de la vision des metteurs en scène et… de l’air du temps. Défions-nous de la tentation d’avoir sur cette œuvre des intentions trop précises, des analyses psychologiques, bref, des réponses à tout, tant elle est vivante et excelle à peindre à la manière impressionniste des comportements qui sont encore les nôtres ».
Il y aura aussi un certain nombre de classiques dont Le Malade imaginaire, et Dom Juan version contemporaine, La Place Royale de Corneille. Et une création d’écriture de Caroline Guila, Elle brûle,  inspirée de Madame Bovary, roman pour lequel Flaubert s’était inspiré d’un fait divers,  qui semble tout à fait intéressante.

En somme, une saison équilibrée qui attend le successeur de Jean Lambert-wild. Donc, pas d’inquiétude pour lui ou elle, la maison est en ordre de marche, sur le plan théâtral comme sur le plan administratif. En deuxième partie, dans une salle toujours bourrée, la Comédie de Caen a offert à ses amis Lou, un concert théâtral et déchanté, mis en scène par Lorenzo Malaguerra, le co-metteur en scène romand, avec Jean Lamber-wild  de l’excellent En attendant Godot.  Sur des textes et musiques de Pascal Rinaldi, avec Rita Gay, Romaine, Thierry Romanens, et  Denis Alber, il raconte en chansons et dialogues, par le biais de fragments de lettres, poèmes…  les épisodes de la vie de la belle, intelligente et sulfureuse Lou-André Salomé (1860-1937), romancière, et auteure d’essais sur la psychanalyse. Elle fut aussi la muse et/ou l’amante de, entre autres, Nietzche, Freud et Rilke…
Sur le plateau, un bric-à-brac: un grand arbre en pot, des plantes vertes, un faux grand piano à queue (en fait un synthé), une grande toile peinte, des guitares électriques en attente. Les interprètes suisses ont un solide métier mais, faute d’une balance correcte, la musique était plus qu’envahissante, à la limite du supportable, et on avait bien du mal à entendre correctement les voix, donc le texte. Et c’est ce genre de spectacle sans doute plus efficace dans une salle de dimensions moyennes… Mais le public avait l’air plutôt content.
Voilà, c’est une page qui se tourne, comme disent les vieilles dames du 16ème; bien entendu, nous continuerons à vous parler des spectacles de la Comédie de Caen et nous vous tiendrons aussi au courant des nouvelles aventures théâtrales du capitaine Jean Lambert-wild à Limoges….

Philippe du Vignal

 

Le Cabaret de l’austérité

Le Cabaret de l’austérité, de Zohar Wexler, d’après des textes et chansons de Gilad Kahana


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Le titre – séduisant et racoleur -  et sa programmation certains jours de la semaine seulement – auraient dû nous inciter à plus de méfiance, méfiance aussitôt renforcée quand on  voit, en entrant dans cette salle de 150 places, qu’il y a dix-huit spectateurs. Cherchez l’erreur…
Sur une petite scène toute en longueur et sans profondeur, un espace, à jardin, réservé à des portants de costumes et à de mini-tables de maquillage, au centre, une sorte de banc qui encombre le plateau, avec, dans le fond un écran pour vidéos, et à cour, trois musiciens aux guitares et à la batterie derrière un tulle tendu.

  Cela commence par un sketch, dans une rue représentée par une vidéo, entre un homme chômeur et une femme qui lui demande un peu d’argent, avant de lui dire qu’elle occupe un emploi bien payé. Ah! Ah! Ah! Que c’est drôle et fin! Les sketches suivants, qui ont  pour cadre un appartement, un trottoir ou un bureau… sont  tous tous aussi frappés au coin de la vulgarité, et ne dépassent pas le degré zéro de l’écriture sur l’échelle de Richter.
D’austérité, on ne parle guère; en revanche, on s’ennuie ferme! Ces pauvres petites scènes, nous prévient-on
, « sont tirées des chroniques de Gilad Kahana, parues dans la presse israélienne à la suite en 2011 à Tel-Aviv, d’une vague de protestation, qui rappelle les Indignés d’Espagne, d’Italie ou de Grèce. » M. Gilad Kahana est, parait-il, une  vedette de la chanson pop en Israël. On veut bien le croire mais une chose est sûre: il écrit théâtralement comme un sabot.
Et, tenez-vous bien, on nous précise que « c’est une première mondiale (SIC!) ponctuée par les chansons écrites et composées par l’auteur et que ce « spectacle protéiforme ( RE-SIC!)  se joue à trois, quatre ou cinq comédiens et musiciens ». Le soir où nous y étions, il y avait trois musiciens qui jouaient sans conviction, l’un d’entre eux chantant au micro de temps à autre. Et quatre acteurs (  » dont les rôles changent d’une représentation à l’autre créant un spectacle unique à la manière du cabaret » (RE-RE-SIC!)…:  Julie Pouillon, bonne comédienne qu’on préfèrerait voir ailleurs, et Flora Taguiev; et  Zohar Wexler qui  a aussi commis une pseudo-mise en scène, aussi bâclée que prétentieuse, et un autre acteur non identifié.
On les voit changer de costumes et de perruques sans arrêt sur cette petite scène encombrée, les dieux du théâtre  savent pourquoi! Cela doit faire moderne dans l’esprit de Zohar Wexler qui signe sans aucun état d’âme: « concept, traduction, mise en scène et décors »!  Tous aux abris! Que sauver de ce naufrage? Uniquement, le travail des comédiens, qui, mal dirigés  font ce qu’ils peuvent pour éviter  au spectacle de couler. Il devrait y avoir un des prix du Syndicat de la critique pour récompenser ce genre de performance!
Reste à savoir comment une chose aussi insignifiante qu’ennuyeuse, a pu trouver un théâtre pour l’accueillir, et quelques spectateurs/trices qui, à part une (sans doute une amie d’un des comédiens) s’ennuyaient ferme. Sans doute, grâce à une prévente habile aux familles et aux copains, tous priés d’envoyer un petit chèque… Mais, bon, il y a quand même une justice, cela ne suffit heureusement pas!
  Au fait, on a oublié de vous donner cette information capitale: malgré l’ovation debout du couple Bruni/Sarkozy et la venue de Manuel Vals et de François Hollande, (si, si, c’est vrai!), le spectacle de B.H.L. au théâtre de l’Atelier va s’arrêter, comte-tenu de l’énorme affluence …
La faute à qui? Au public évidemment, qui n’a rien compris à cette merveille du théâtre contemporain dont nous vous avions dit l’intérêt tout à fait exceptionnel (voir Le Théâtre du Blog). Que c’est triste! Sortez vos mouchoirs avant d’envoyer un mot de condoléances à B.H.L. Le meilleur fera gagner deux places à son auteur pour le prochain  spectacle du philosophe
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Philippe du Vignal
Théâtre de la Reine blanche 2 bis Passage Ruelle 75018 Paris
 

Quand je pense qu’on va vieillir ensemble

Quand je pense qu’on va vieillir ensemble, création collective des Chiens de Navarre, mise en scène de Jean-Christophe Meurisse

  slide1-chiensdenavarre2La magie opère parfois entre un lieu, comme  le Théâtre des Bouffes du Nord et un spectacle comme celui des  Chiens de Navarre. Envahi par cette troupe de saltimbanques déchaînés, il accueille Quand je pense qu’on va vieillir ensemble,  une  rencontre poétique, sociale et politique sans concession.
Le spectacle a vu le jour en février 2013 et n’a cessé depuis d’évoluer, selon leur principe artistique:
« La représentation, disent-ils, n’est que le prolongement des répétitions,et sans point d’achèvement ».
Ils ne pouvaient  trouver mieux comme cadre pour laisser vivre et offrir au spectateur, avec autant d’audace et de liberté, la violence, l’idiotie du conformisme, l’obscénité, mais aussi l’intelligence, le romantisme, la tendresse et surtout l’humour qui parcourent les différents tableaux et leurs personnages, très prégnants…
Le spectacle, sans cesse en mouvement, est joué par des acteurs dotés d’une belle énergie. Et, avec peu de choses, sur le plateau mais toutes parfaitement maîtrisées : un sol couvert de terre sombre et  de brindilles, avec ça et là, quelques objets, dont des palissades en bois à moitié renversées, ou adossées au mur du fond de scène… et selon les situations, des chaises, ou une chambre aménagée de bric et de broc.
Ce lieu fort des Bouffes du Nord, avec ce sol ainsi habillé, devient tantôt une forêt, tantôt un terrain vague, tantôt une salle de réunion, etc…. Les éclairages de Vincent Millet, d’une grande finesse dramaturgique et la talentueuse création sonore de Julie Leprou, participent de cette magie théâtrale.

Mais à quelle(s) histoire(s) sommes-nous invités à prendre part? Les Chiens de Navarre tentent ainsi l’expérience spectaculaire de la réconciliation avec soi-même. « Pour mieux interroger l’enfant triste qui claque des dents en nous », dit Jean-Christophe Meurisse qui se définit au sein du collectif comme le chef de meute !
  Mélancolie et colère à la fois, donnent un spectacle extrêmement physique et risqué. Le  public, stupéfait, parfois choqué ou attendri, ou bien mort de rire, assiste à une série de tableaux denses en émotion, perturbants et souvent très drôles. Dès le début, la représentation  est « mordante » et, alors qu’elle n’a pas encore commencé, le public entre dans la salle, accueilli par des grognements, cris, interpellations, et injures lancés par une bande d’individus monstrueux. Tous semblables à des vampires, ou animaux féroces, mi-homme, mi-chiens, ensanglantés, à moitié dévêtus, avec une gueule et des dents à la Nosferatu. Le conte, et l’horreur, le fantastique: l’on se demande un peu perplexe, ce qui nous attend…
  Après cette mise en condition, les scènes se succèdent : entre autres, un couple en pleine scène de ménage, une formation de thérapie de groupe pour réussir un entretien d’embauche ou pour reprendre confiance en soi, et être performant et surtout le meilleur en toutes circonstance de la vie, bien sûr ! Tous ces personnages, issus de notre réalité quotidienne, sociale et intime, nous font part de cette « humanité imparfaite et fragile », et ont  recours sans aucune limite,  à une provocation, sexuelle, corporelle et/ou langagière.
  Les Chiens de Navarre n’en sont pas à leur première manifestation à la fois étonnante d’agressivité, éprise de liberté dans un geste  et une volonté de recherche dramatique et artistique. Toutes leurs créations sont construites sur un travail d’impros; un canevas se tisse au fur et à mesure des répétitions et représentations, et cela leur arrive d’avoir recours, à un texte comme source d’inspiration, par exemple ici, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier  de Stig Dagerman, avec, entre autres phrases: « Deux choses me remplissent d’horreur : le bourreau en moi et la hache au-dessus de moi ».
  Le spectacle provoque en profondeur notre conscience et notre corps. Cette « pièce improvisée « , cette sorte de performance entraîne le public dans des contrées existentielles déstabilisantes. La compagnie, marginale il y a peu encore, a l’art, à travers une langue poétique, un humour et une dérision poussés à l’extrême, de faire surgir et entendre une parole politique sans détour. Parole tragique en mouvement et sans cesse réinterrogée, au fil des (re)présentations de chacun de leurs spectacles…
Le théâtre est ici pleinement un art vivant ! Et politique… 

 Elisabeth Naud

Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis Boulevard de La Chapelle 75010 Paris  T : 01 46 07 34 50, jusqu’au 18 octobre; en novembre et décembre en France. Puis en 2015, en France et en Belgique


Sinon je te mange

Sinon je te mange, texte et mise en scène d’Ilka Schönbein, musique d’Alexandra Lupidi

Sinon je te mange Marinette Delanné 2  Dans le cadre du Figuren Focus, temps fort consacré au théâtre de marionnettes allemand, en partenariat avec le Goethe institut, Sinon je te mange d’Ilka Schönbein, s’inspire du Loup et les sept chevreaux, le fameux conte des frères Grimm .
Allemande d’origine et Française d’adoption, la comédienne et conceptrice du Théâtre Meschugge  parcourt en roulotte l’Europe entière, s’est arrêtée sur le pourtour méditerranéen italien.

  La bergère a élu domicile près d’un petit troquet d’ambiance sicilienne qui tient lieu de comptoir de meunier. Dans un décor paysan: bouteilles de vin et  fagots, fromages de chèvre et crottins secs – retour à la terre et salut bien bas à Dame Nature – le tenancier, coiffure tendance djeun, rock et facétie, n’est rien moins que Loup Petit,  (Alexandra Lupidi, musicienne classique, chanteuse lyrique et percussionniste).
Le malicieux prédateur féminin apprivoisé, en tenue de garçon de café, penché sur un piano, à la fois précieux et rustique, joue aussi de clochettes caprines tintinnabulantes et joyeuses,  et dirige en plus un petit ensemble impressionnant de percussions.
Lupidi/Loup Petit est le petit frère du Grand Méchant Loup, musicien et chanteur de rock qui s’est perdu dans tous les excès – alcool et drogues sans parler des femmes … disons des chèvres.
Notre chevrière préférée avoue d’ailleurs en avoir pincé, en son jeune temps, pour le bougre, attirée qu’elle était par les faux attraits d’une séduction virile.
Ce prédateur de tous les temps représente le type même de la bête sauvage et du bourreau dévorant, avec  gueule,  dents carnassières, crocs, griffes de prédateur: symboles d’une violence animale dont le spectateur intrigué entrevoit la figure satanique.
La metteuse en scène – frêle sorcière bienfaisante – s’est métamorphosée pour l’occasion, en bergère sombre de tableau nocturne – robe usée de dentelle noire, gants de fil et chapeau à voilette. Avec, à la bouche, des comptines traditionnelles, elle surgit de la salle pour  aller  sur le plateau, en demandant au public, enfants ou adultes, de poursuivre l’air connu entamé.

Elle s’apprête à raconter son histoire de chèvre abusée et  dont les chevreaux n’ont pu se défendre de la menace du loup, à laquelle cette mère les avait pourtant préparés. Mais n’a-t-on pas chacun un peu loup en soi? La gardienne de chèvres – elle-même un peu loup et un peu chèvre – porte sur sa robe une peau caprine, vêtement primitif, bouclier magique avec pattes et tête apparentes, et houppelande de chimère fantastique.
Cette mère-nourricière et initiatrice déplore d’avoir failli à ses fonctions et de n’avoir pas compris le danger; en fait, elle fut la seule chevrette d’une fratrie, qui, cachée dans l’horloge, a été sauvée de la faim du loup. Aussi jolie que celle de M. Seguin, mais pas aussi obéissante, avec barbiche de sous-officier, sabots noirs luisants, petites cornes zébrées, elle est têtue et fofolle: elle aura échappé à un destin funeste, isolée au milieu de ses chers morts.

Le spectacle est d’une grande finesse et participe à la fois du mime, du geste, du chant et de la musique. Ilka, Schönbein, avec son bâton de pèlerin, n’en finit pas de jouer de toutes les métamorphoses, assise sur une chaise, jambes et bras pliés et dépliés, pieds et mains agités, visage changeant. Ici,  tout s’emmêle pour inventer une nymphe…

 Véronique Hotte

 

Le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette,  jusqu’au 26 octobre. T : 01 84 79 44 44

Arrange-toi

Arrange-toi de Saverio La Ruina, traduction de Federica Martucci et Amandine Mélan, mise en scène d’Antonella Amirante

IMG_0821La petite salle  Jean Vilar du T.N.P. offre  une  intimité précieuse pour ce monologue écrit en 2010 par Saverio La Ruina, auteur et homme de théâtre calabrais.
 Une femme de la Calabre profonde, Vittoria, raconte sa vie qui se résume essentiellement à ses grossesses. Mariée à 14 ans elle est, à 28 ans, déjà mère de sept enfants…. Et sa huitième grossesse ne lui convient vraiment pas ! « Arrange-toi », lui répète son mari, macho qui ne voit pas plus loin que sa satisfaction sexuelle. Alors, elle s’arrange, comme il dit, dans les pires conditions: un avortement clandestin, avec le risque de mourir ou de se retrouver avec de sérieuses séquelles, comme tant d’autres.
  Ce récit à la première personne, Vittoria l’adresse… à Jésus Christ et à ses apôtres, au cours d’un cauchemar où il lui faut se justifier de l’accusation d’être une pècheresse ! Quand elle a découvert ce texte, Federica Martucci a décidé de le traduire, mais aussi de le jouer.
Elle l’a fait connaître à Antonella Amirante qui a fondé en 2009 la compagnie AnteprimA pour promouvoir les auteurs italiens contemporains, et montrer  que le théâtre italien est toujours vivant. Elle avait déjà mis en scène, la saison dernière, au T.N.P. une pièce de Davide Carnavelli  et présente  Arrange toi  dans le cadre d’une  résidence de création.
La pièce, d’une certaine façon, échappe donc à son auteur pour devenir une affaire de  femmes, et la mise en scène joue intelligemment sur deux niveaux; sur un sol de gravier noir sur fond de scène rouge, Federica Martucci est donc  Vittoria; un peu effrontée, directe, émouvante, elle ponctue son texte de phrases en italien,  comme pour apporter une autre couleur sonore, et garder un peu de la langue maternelle.
A l’arrière du plateau, dans un espace modelé par la lumière, une autre femme, Solea Garcia-Fons chante, a capella, des chansons populaires italiennes, comme en écho à ce que dit Vittoria. La chanteuse évolue selon une chorégraphie  qui  est comme une illustration symbolique du récit qui  acquiert ainsi  une dimension poétique et  lyrique. L’histoire de cette femme calabraise il y a quelques décennies, devient ainsi l’histoire universelle des femmes.
Saverio La Ruina, en effet, a beaucoup écouté les femmes de sa tribu familiale, la « nonna » et le « zie », (sa grand-mère et ses tantes) au point de s’imprégner de leurs histoires, toujours les mêmes, faites de violences  conjugales, d’oppression, de mépris, de mariages plus ou moins forcés, de grossesses à répétition, de maintien dans l’ignorance…
Paradoxalement, aujourd’hui, c’est un homme qui se fait leur porte-parole et qui sert ainsi la cause des femmes.

Elyane Gérôme

T.N.P. de Villeurbanne. T: 04 78 03 30 00, jusqu’au 25 octobre à 20h30 et les 6 et 7 novembre: Théâtre de Vienne; le 14 novembre, Théâtre de la Tête noire à Saran (Loiret), et les 18 et 19 novembre, Théâtre Anne de Bretagne à Vannes.

La peau d’Elisa

La Peau d’Elisa de Carole Fréchette, collaboration artistique de Véronique Kapoïan

  Née à Montréal il y a 67 ans, Carole Fréchette a d’abord été comédienne. Les Quatre morts de Marie, d’abord créée en anglais à Toronto en 1997, puis en français à Montréal et à Paris en 1998, l’a révélée comme dramaturge; la même année,  La Peau d’Élisa est créée à Montréal, puis, en 1999, ce fut Les Sept jours de Simon Labrosse  au Canada, en Belgique et en France.
Carole Fréchette au aussi écrit et fait jouer Le Collier d’Hélène, La Petite pièce en haut de l’escalier, Jean et Béatrice, toutes pièces que l’on pu voir en France et qui ont été  traduites et jouées en une vingtaine de langues ou encore  Je pense à Yu  où  Carole Fréchette évoque la vie de Yu Dongyue, un journaliste chinois condamné à  vingt ans de prison en 1989, pour avoir jeté de l’encre sur un portrait géant de Mao Zedong pendant les manifestations de la place Tian’anmen.
Venue à Bruxelles participer à un projet de création Ecrire la ville, elle a imaginé La Peau d’Elisa, en  se fondant sur des souvenirs d’amour que des Belges, hommes et femmes, lui ont raconté à l’endroit  où cela s’était  passé.  Dans une sorte de saga personnelle, elle évoque, à la recherche du temps perdu, les gens qu’elle a connus: des  hommes comme Siegfried: « Un jour, il a enlevé le toit de son auto au chalumeau, pour faire une décapotable. Quand il pleuvait, il fallait la vider avec un petit seau, comme une chaloupe. On riait beaucoup. Il était fou, Sigfried. C’était gai, mais on ne s’aimait pas encore. Pas complètement… Je veux dire avec la peau et la bouche et tout. (…). Quand il pleuvait, il fallait vider sa petite auto. On était amis. Un jour, il m’a dit : dans dix minutes, je vais t’embrasser et tu vas tomber amoureuse de moi. J’ai répondu en riant : t’es fou, Sigfried ! Dix minutes après, il m’a embrassée sur la bouche. C’est comme ça que ça a commencé. »
Se succèdent d’autres histoires d’amour, notamment
à Schaerbeek, une des dix-neuf communes bilingues de la région de Bruxelles, avec d’autres hommes: Yann, Edouard… ou avec des filles comme Anna. Cette pêche aux souvenirs se dévide comme une sorte de litanie nostalgique, dont on ne saura jamais si elle est réelle ou fantasmée, un peu triste et gaie à la fois, avec deux phrases récurrentes; l’une: « C’est comme ça que ça a commencé »,  et l’autre adressée au public:  » S’il vous plaît, pourriez-vous regarder mes yeux….  mes  coudes, etc…
Trois tables de bistrot, quelques chaises, donc le minimum pour interpréter ce monologue qui a eu un beau succès au dernier festival off d’Avignon, très joliment dit par Laurence Piolet-Villard. Elle incarne Elisa avec pudeur, intelligence subtile et efficacité: un beau travail d’actrice, et ces soixante minutes passent très vite, même si le texte n’est sans doute pas le meilleur de Carole Fréchette.
Cela dure une heure, et c’est peut-être un peu juste pour constituer une véritable soirée théâtrale, mais c’est agréable à écouter : Laurence  Piolet-Villard sait comment rendre attentif un public! Pas comme Marie-José Malis avec son trop ennuyeux Hypérion à Avignon cet été,  et repris à Aubervilliers (voir Le Théâtre du Blog)…
Cela vous en coûtera 18 €; voilà, à vous de  voir…

Philippe du Vignal

Théâtre Michel jusqu’au  30 décembre, les mardis et mercredis à 19h 15.
Les pièces de Carole Fréchette sont généralement publiées chez Leméac/Actes Sud-Papiers

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Je suis le vent

 Je suis le vent de Jon Fosse, traduction du norvégien de Terje Sinding , mise en scène d’Alexandre Zeff

 

 Zone-Libre-0Les didascalies de Je suis le vent indiquent que la scène se joue dans un bateau imaginaire à peine suggéré, à la façon d’actions imaginaires, elles aussi, à suggérer. Alexandre Zeff s’amuse de ces détails et en rajoute même avec une scénographie technicisée: barque, accessoires marins et bruit de bourrasques de vagues. Des cordes retiennent les spectateurs quand ils montent à bord, et les chaînes d’amarrage résonnent en frottant les flancs du bateau. Assis dans les travées de bois de l’embarcation, nous éprouvons la sensation douce-amère d’un tournis bienfaisant.
L’Un et l’Autre dialoguent : un homme (Thomas Durand) et une femme (Camille de Sablet). L’Un, poétique et lunaire, profondément mélancolique et rêveur, est attiré par un au-delà inaccessible, aidé par le schnaps qui lui donne du courage. L’Autre,  terre-à-terre et plus quotidienne, est une  figure glamour à la Marylin, petite robe noire de soirée, coiffure balayée chic et maquillage souligné. Et des loupiottes, verres  à pied en cristal, et air langoureux de Frank Sinatra, pour un dîner festif,.
Il y a des îles et récifs évoqués, des criques entrevues, des voiles de brume et de silence s’élevant dans la nuit du ciel; on entend aussi l’eau qui clapote. L’Un avoue à l’Autre sa peur de sauter par-dessus bord, (pas exactement une pensée mais quelque chose de proche), face au profond vertige de cette étendue marine qui l’aimante et le fascine, attiré qu’il est par le vide ineffable de l’abîme.
L’Autre tente de faire parler le taiseux, et fait en sorte qu’il s’exprime dans la quiétude, mais il se rétracte : « Ce sont juste des mots/ Des choses qu’on dit/Je n’ai rien voulu dire/Je ne faisais que parler. » L’Un s’assimile à une pierre, à quelque chose de lourd, en avouant pourtant que tout se balance finalement dans l’éther du vent de la mer.
L’Un, un être douloureux, se sent envahi à la fois par la peur et la toute-puissance de sa rêverie. Le déchaînement des éléments  témoigne autant de la sauvagerie furieuse de la nature, que d’une forme de calme et de sérénité, dûe au mouvement régulier des vagues. Les eaux  tranquilles évoquent, elles, une attente, une menace sourde, une suspension de la vie jusqu’à l’événement fatal.
Le spectacle égrène avec finesse ce sentiment d’infinie solitude, d’attente et de vide à combler. L’Autre tente d’aider L’Un, en lui soufflant que la vie continue et qu’on doit se défendre. Était-il, enfant, dans ce sentiment d’abandon ? L’Un rétorque :« Non. Alors, tout était en mouvement. » Avec ses soulèvements d’air et d’écume, un mouvement inlassable d’existence mouvante et joyeuse, la mer est symbole de vie, de mort et renaissance,. . L’enjeu de l’affrontement avec elle, n’est ni la vie ni la mort mais la liberté, avec une vie réappropriée dans la conscience de la mort :« La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme »,  disait déjà Baudelaire.
La scénographie de Xavier Lemoine et Estefania Castro est audacieuse: coque de bateau, grincement de chaînes, bruit lancinant des vagues. À travers des châssis  transparents et de miroirs réfléchissants, et grâce aux lumières de Sébastien Roman, on se croirait entre vie et  mort,  ciel et  mer, et entre les vivants et les morts; seul, un rayon lumineux vertical signifie la séparation entre les deux mondes. Et, malgré le décalage de jeu entre l’aérien Thomas Durand et  celui Camille de Sablet, plus âpre, le spectacle  possède une écriture scénique de toute beauté.

 Véronique Hotte

 Spectacle joué au Théâtre de Vanves, du 13 au 16 octobre.

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