Le festival international de Tbilissi

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Le Festival international de théâtre de Tbilissi.

  La Géorgie, qui fut le soleil de l’URSS, petite nation de 4,4 millions d’habitants de religion orthodoxe, et cerné par des pays musulmans. Avec une frontière mouvante avec la Russie, qui, dit-on, la grignote chaque jour un peu plus, ce qui entraîne un afflux de réfugiés. « Un jour, ta maison est en Géorgie, le lendemain, elle est en Russie »: une histoire à la Gogol qui, comme on sait, était originaire d’Ukraine, pays fier, à la  très ancienne culture,   mais pauvre. Il n’a pas de pétrole mais produit et exporte en abondance de très bons vins grâce à un savoir-faire immémorial…
Les anciennes et nobles demeures du centre de Tbilissi, la capitale, tombent lentement en ruines faute de moyens pour les entretenir, mais les magnifiques églises romanes sont pleines de croyants, fourmillent de vie, et les  popes ont un grand pouvoir politique.
La Géorgie est riche en martyrs qui ont refusé d’abjurer leur foi. Et elle a eu au XIIème siècle Tamara,  une femme-chef,  qu’on appelait non la reine, mais le « roi Tamar ». Le Musée national  a ouvert en 2004 une annexe, un musée de l’occupation soviétique qui gomme en douceur l’image de Staline, célébré cependant non loin de là, dans sa ville  natale de Gori… Contradictions qui mériteraient d’être explorées.
A Tbilissi, a lieu en septembre-octobre, un Festival  international de théâtre qui en est à sa sixième édition et, cette année, sont venues des troupes du Caucase et de villes de la Mer noire. On a pu y croiser des critiques ukrainiens, polonais, moldaves, iraniens, arméniens, ou venus d’Azerbaïdjan et du Kazakstan – qu’auparavant on rencontrait en Russie, du temps de l’URSS, dans les festivals, ou à l’occasion de tournées,  et qu’on n’y voit plus aujourd’hui.
Tristesse de voir rompus des ponts culturels qui font partie de ceux qu’on pensait indestructibles, mais le Festival  de Tbilissi essaie de recréer des liens, et là n’est pas sa moindre qualité. Certains Russes (Le Théâtr.doc de Moscou,  le Théâtre-Atelier de Grigorii Kozlov à Saint-Pétersbourg) ont ainsi fait l’effort de venir. Et  Slava Polounine est aussi venu et a réjoui  tout le monde avec son toujours aussi magnifique Slavasnowshow.
Parmi les troupes invitées: le TiyARTro, compagnie turque multiculturelle et multilingue (yddish,  grec,  turc,  zazaki, ladino, (langue des juifs marranes espagnols réfugiés en Turquie, syriaque, etc..)  met en scène un grand acteur kurde, qui joue en kurde, La dernière bande de Samuel Beckett. On a vu aussi deux théâtres réfugiés à Tbilissi, originaires de lieux occupés, dont les spectacles semblaient malheureusement très « provinciaux », au sens péjoratif du terme.
Deux troupes, dont celle du Théâtre de Mikhaïl Toumanichvili, un acteur de cinéma dans une mise en scène de Guy Masterson ont travaillé sur les thèmes de La Ferme de animaux de George Orwell. Shakespeare était aussi à l’honneur mais dans des mises en scène plutôt pesantes et fantasmatiques… Dans un abondant programme,  nous avons  distingué plusieurs  spectacles géorgiens.
D’abord celui de Robert Sturua, dont on avait vu Richard III et Le Cercle de craie caucasien de Bertold Brecht au Festival d’Avignon 81, a dit, à l’occasion de la disparition récente de Iouri Lioubimov, que, sans ce grand metteur en scène russe, il ne serait rien. Il a présenté ici Asulni, sa dernière création au Théâtre Roustaveli qu’il a réintégré, après en avoir été chassé par la précédente équipe dirigeante. « Un chœur de femmes qui attendent le Messie…. ou Godot? « , nous disait-il en riant, pour présenter cet ovni dérangeant, fondé sur un montage de pièces de Polikarpe Kakabadzé, un auteur classique géorgien, dont, en 1974,  il avait monté une œuvre censurée à l’époque pour sa charge critique anti-soviétique.
Des femmes au maquillage punk voient se succéder des chefs qui promettent tout et qui  ne font rien. Musique tonitruante, éclairages grinçants, allusions évidentes à la situation politique auxquelles le public réagit vivement,  et auquel il lance un appel cinglant : «Jusqu’à quand allez-vous supporter ces mensonges? »
La Géorgie a une riche histoire du théâtre et de grands artistes qui ont précédé Robert Stouroua : comme entre autres, Konstantin Mardjanichvili ou Sandro Akhmeteli envoyé en camp et fusillé en 1937. A la fin des années 90, des familles de théâtre se sont constituées à Tbilissi : ainsi le Royal District Théâtre, établissement privé à vocation internationale et fondé par Merab Tavadzé, dont le petit-fils  Data Tavadzé, a eu, à vingt-cinq ans, l’idée forte de monter, après Femmes de Troie et Mademoiselle Julie, La Maladie de la jeunesse de Ferdinand Bruckner, pièce radicale où des jeunes gens, futurs médecins ou cyniques oisifs, vivaient leur liberté à Berlin, à une époque où les valeurs, dites bourgeoises, sont battues en brèche. Ferdinand Bruckner, en 1926, traitait déjà de thèmes comme les rapports de classe, la sexualité (hétéro comme homo), le suicide, les  drogues ou l’euthanasie…
Sur une petite scène, arène rectangulaire placée au milieu du public réparti dans un ancien caravansérail aménagé, les acteurs s’affrontent; incisifs, violents sans hurlements, ils jouent juste et sont tout proches des spectateurs. Le plateau ressemble à un champ d’expériences pour une génération ouverte à tous les jeux dangereux. Les années vingt du siècle passé interpellent donc avec vivacité  les années dix de celui que nous vivons…
Au Théâtre de la musique et de la danse de Tbilissi, David Doiachvili, un peu plus âgé, et l’un des  élèves de Mikhaïl Toumanichvili, travaille à partir d’improvisations. Il a réalisé Les Bas-fonds de Maxime Gorki, non en mettant en scène les exclus de nos sociétés à Paris, Moscou ou Tbilissi, où l’on rencontre aussi mendiants, gens déchus, ou sans papiers dans les asiles de nuit, mais en considérant la société géorgienne tout entière comme au bout du rouleau, et où l’on en vient à s’exclure de l’humanité.
Maxime Gorki saisit le problème à l’envers : dans tout miséreux, il y a un homme, et dans tout homme, il y a un miséreux en puissance, en voie de précarité totale, semble-t-il nous dire comme les acteurs du spectacle.
La dernière image : après la célèbre tirade  »Etre homme, cela sonne fier », sur la fierté d’être un homme, les   personnages tentent de pagayer à l’intérieur d’une carcasse de baleine; on pense aux plans de Léviathan, le terrible film du russe Andreï Zviaguintsev, que le metteur en scène a sans doute vu.

La musique, comme la danse, fait depuis longtemps partie de la formation des jeunes Géorgiens, et sonne toujours très fort sur les plateaux de théâtre, et ce spectacle n’y échappe pas! Dommage, car le jeu des acteurs, vêtus d’une sorte d’uniforme gris, est saisissant. De part et d’autre d’un espace gris, parsemé de rochers et de quelques accessoires nécessaires, les comédiens sont assis sur deux bancs face à face, puis entrent sur une sorte de ring central où ils s’affrontent violemment.
Quand le crescendo est atteint, un ou une autre est prêt à remplacer celui ou celle qui doit reprendre des forces. Ce passage de témoin (non généralisé cependant à l’ensemble de la distribution) qui enlève le pathos inhérent à la pièce, rend ce spectacle sur la société actuelle encore plus pertinent.
Une sonorisation à l’avant-scène souligne les répliques nécessaires et des phrases très connues qui ont valeur de citations. Enfin, au lieu de prendre l’ensemble des personnages comme thème de la pièce, le metteur en scène décortique le destin de chacun et s’attarde sur leur dégringolade personnelle, « romanisant » ainsi le spectacle, en développant, entre autres, le rôle d’Anna et le thème de l’enfant à naître  qui ne vivra pas.

Au Théâtre du drame Kote Mardjanichvili fondé en 1928, on a pu voir, interprété par une troupe italo-géorgienne de l’Emilia Romagna Teatro Fondazione, Le Journal d’un fou, adapté de l’œuvre de Nicolas Gogol et mis en scène par Levan Tsouladzé. Ici, les visions de Poprichtchine sont montrées comme sur un tournage de cinéma, inspiré de celui des Naufragés du Fol Espoir que le metteur en scène a vu au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, et filmées par un cameraman qui serait son double, derrière un rideau qui se déchire ou se déplace, pour laisser entrer la réalité.
Joué en italien et en géorgien, langues dont les musiques s’accordent étrangement, c’est un spectacle aux moyens simples mais d’une grande beauté formelle. Cette tragédie, où le « petit homme » de Gogol, écrasé par le monde et par ses lois, trouve la liberté dans la folie, pose la question de notre liberté dans une société saturée d’informations, événements et codes.

Et enfin nous avons pu voir Ramona, le dernier chef-d’œuvre de Rézo Gabriadzé qui, dans son pays,est une légende vivante. Il était venu en France avec La bataille de Stalingrad aux Théâtre des Abbesses en 2000, et si on l’a oublié, (on oublie si vite aujourd’hui!), il serait bon de l’inviter à nouveau avec ses marionnettes, toutes petites personnes sorties de son imagination infinie.
Ramona,est le titre d’une chanson écrite par Gilbert Wolfe en 1927 et le compositeur Mabel Wayne pour la version filmée d’un roman. Très populaire en France, elle fut reprise par Tino Rossi puis, entre autres, par Patrick Bruel et  conte l’histoire d’une jolie locomotive qui est amoureuse d’un grand train envoyé en Sibérie pour la reconstruction de l’Union soviétique après la guerre; elle attend son retour, et rencontre un cirque.
Rézo Gabriadzé dit qu’il a réuni là ses deux thèmes favoris : la machine à vapeur et la tente du cirque. Les minuscules créatures colorées, objets ou personnages, avancent sur des rails, marchent sur un fil, sautent, vivent sous les mains agiles de six manipulateurs, et parlent avec les voix enregistrées d’acteurs soigneusement choisis par Gabriadzé qui alternent langues russe et géorgienne.
Ecrivain, peintre, sculpteur, marionnettiste et cinéaste, Rézo Gabriadzé a décoré la tour et le café qui jouxtent son petit théâtre qui sont ainsi devenus ainsi des œuvres d’art, dans une parcelle féérique du vieux Tbilissi qui n’a pas oublié son passé lié à la Russie. La première de Ramona a d’ailleurs eu lieu à Moscou en 2012…
C’est un spectacle, à la fois simple et sophistiqué, lyrique et plein d’humour, réalisé par un artiste complet à la longue expérience mais qui n’a jamais renoncé à son enfance. Cet hiver, Jean Lambert-wild, directeur de la Comédie de Caen, nommé en décembre prochain au Centre dramatique national de Limoges, va bientôt monter Ubu à Tbilissi avec des acteurs géorgiens. Une initiative qui permettra peut-être d’en amorcer d’autres?

Béatrice Picon-Vallin


 

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