Martyre

 Martyr, de Marius von Mayenburg, traduction de Laurent Muhleisen, mise en scène de Matthieu Roy

 

imageBenjamin, lycéen, est saisi par une crise de foi. Mère seule, qui travaille, sans trop de culpabilité, elle fait ce qu’elle peut, professeure de sciences convaincue de la rationalité de ce qu’elle enseigne, proviseur démissionnaire sous couleur de tolérance, pasteur (ou curé) embarrassé par ce prodigieux néophyte : les adultes, responsables, forcément coupables, n’ont aucune prise sur l’adolescent. Les autres lycéens non plus, jolie copine provocatrice, ou souffre-douleur trop heureux (et malheureux) de devenir son disciple. Ce qui se construit devant nous, c’est le parcours d’un « pervers narcissique » qui bascule très vite de l’adoration au fait de se prendre lui-même pour Dieu en s’appuyant sur une lecture fondamentaliste de la Bible. Ou comment un croyant sincère et entier (c’est l’âge…) devient un terrible manipulateur.
L’adolescent prend le pouvoir sur chacun, le contamine, le force à entrer dans sa logique mortifère. Ça fait froid dans le dos : l’auteur se réfère explicitement aux jeunes fanatiques nazis et aux jeunes djihadistes d’aujourd’hui. Matthieu Roy et le Théâtre du veilleur ont intégré Martyr dans leur trilogie Visage(s) de notre jeunesse, entre Même les chevaliers tombent dans l’oubli, de Gustave Akakpo et Days of nothing de Fabrice Melquiot. Ce n’est pas un projet isolé, c’est vraiment une pièce de guerre.
 On peut la trouver lourde : elle l’est. Elle tient, logiquement, du rouleau compresseur, et c’est ce qui fait sa force.  Mais on a l’impression que le metteur en scène a eu peur de cette force. Certes, la scénographie fonctionne bien, avec une table-autel-bureau, triple symbole de la famille, de la religion et de l’autorité, toutes trois défaillantes. Une verrière dépolie joue tous les espaces collectifs : piscine, église, lycée…
Les courtes scènes s’enchaînent vite et sans rupture.
  Le problème est ailleurs. À vouloir alléger l’affaire, on l’étire, on l’affaiblit. Les gags, le jeu outré, nous tirent quelques rires, mais on reste sur sa faim. Un travail sophistiqué de sonorisation « décale » le texte, « décalant » du même coup l’humour froid de l’auteur et le perdant en route. Ce n’est pas en déguisant la mère en secrétaire de bandes dessinées qu’on le retrouvera, ou, encore une fois, en forçant le trait ou au contraire, en ne jouant rien. À force de se méfier du jeu naturaliste ou psychologique, on arrive à faire imploser le texte.
  Reste la tragédie : à la toute fin, quand la pièce se tend, quand l’adolescent et le fondamentalisme sont en passe d’écraser la professeure de sciences, et avec elle Darwin et les Lumières, les comédiens sont alors profondément engagés dans le propos, crédibles, émouvants, et la pièce retrouve toute sa force.
L’acte ultime de transgression et de résistance de la professeure de science renverse non seulement la dramaturgie de la pièce, mais aussi l’engagement de la troupe sur le plateau. Enfin.

 Christine Friedel

 Nous avons assisté à la même représentation que Christine Friedel qui est bien indulgente; la pièce de Marius von Mayenburg est effectivement lourde. Benjamin, un jeune homme en proie à une crise mystique, illuminé par les versets de la Bible, nous en verse par tonnes, si bien que le pièce en devient presque un long monologue assommant.
Les autres personnages: la mère, le professeur de religion, l’amie, le copain de lycée, la professeur de biologie, semblent faire le plus souvent, de la figuration intelligente.
Au début, c’est vrai, cela fonctionne pendant quelques minutes et on se laisse prendre mais très vite, on sature d’autant que la mise en scène bat aussi des records de lourdeur, avec un jeu par micros H.F., dont on voit bien qu’il sert de cache-misère à une direction d’acteurs aux abonnés absents.
 Comme le dit justement notre consœur et amie, c’est bien joli de vouloir ne pas sombrer dans un jeu psychologique. Mais tout le monde n’est pas Claude Régy ni Bob Wilson, dont on sent ici la vague influence  et, comme le texte (qui n’est pas le meilleur de Marius von Mayenburg) passe alors à la trappe, le spectacle distille un ennui pesant. Les personnages déjà sommaires, deviennent sur le plateau des silhouettes caricaturales, peu crédibles, aux costumes assez laids. La robe verte de la prof de biologie!
  Quand Matthieu Roy dit que « l’amplification vocale et la spatialisation sonore invite chacun des spectateurs à se projeter pleinement  dans ce combat d’idées »,  « et que cette comédie satyrique (sic!) démonte avec précision, le processus d’une radicalisation de pensée, vu sous l’angle du fanatisme religieux », cette rare prétention théorique fait sourir! Tous aux abris…
  En fait, on a l’impression que le metteur en scène, ébloui par le thème très à la mode du fondamentalisme (voir le nombre de scénarios sur  ce phénomène de société, toutes religions confondues!), a bien du mal à se dépétrer d’un mécanisme dramaturgique qu’il a voulu non réaliste, et qui ne fonctionne pas du tout.
Que sauver de ce naufrage? Pas grand chose!  A la rigueur, la fin qui apporte un tout petit (mais vraiment tout petit soupçon d’émotion, quand il y a une vraie confrontation entre Benjamin et Erika Roth, sa professeur de biologie qu’il accuse à tort d’attouchements mais trop tard!

  Bref, vous pouvez vous épargner sans état d’âme ce faux théâtre populaire, soi-disant « accessible à tous ».

Philippe du Vignal

Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, jusqu’au 23 novembre. T: 01 48 13 70 00.  Le texte est paru chez l’Arche Editeur, 2013.

 

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