Les Fourberies de Scapin
Les Fourberies de Scapin de Molière, mise en scène de Laurent Brethome
Les pièces de jeunesse de Molière sont des farces: La Jalousie du Barbouillé, Le Médecin volant, puis l’acteur et dramaturge, devenu trésor national, se consacre au genre plus raffiné et donc moins populaire de la comédie, avec les grandes pièces qui firent toute sa gloire: Tartuffe, Le Misanthrope, L’Avare, Les Femmes savantes, etc… En 1672, peu avant sa mort, malade, il retourne aux passions de sa jeunesse : amour de la vie, de la joie et du peuple. Les Fourberies de Scapin sont comme un dernier hommage au maître de ses débuts, Tiberio Fiorelli, chef des Comédiens Italiens.
En l’absence de leurs parents, le jeune Octave s’est marié en secret avec Hyacinthe, jeune fille pauvre au passé mystérieux; son ami Léandre, lui, est tombé amoureux de Zerbinette, une Égyptienne. Mais les deux fils sont désemparés à l’annonce du retour de leurs pères, Argante et Géronte qui ont des projets de mariage pour eux…
Mais heureusement, Scapin, le valet facétieux de Léandre se pose en sauveur pour faire triompher l’amour et la jeunesse. Manigances, mensonges et roueries: Scapin mord dans la vie avec gourmandise pour soumettre les vieux barbons à sa volonté.
Laurent Brethome, comédien et metteur en scène de trente-cinq ans, a été séduit par ces Fourberies de Scapin, magnifique machine de théâtre et de langage, où la fable sociale joue des masques familiers à nos codes contemporains : hypocrisie, indécence, naïveté et insolence. Avec sa troupe de comédiens, dont Jérémy Lopez, ( Scapin), pensionnaire de la Comédie-Française, le metteur en scène organise la scène comme le plateau d’un port maritime à Gênes, avec ses docks façon Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès.
Dans un univers sombre et mal famé, où errent des figures esseulées et peu policées de notre temps, silhouettes adolescentes et cadors en jeans ou pantalons de sport à capuche, qui ont la répartie et le couteau faciles.Courant et fuyant sans arrêt, ces ombres se glissent dans les coins, inaccessibles aux représentants de l’ordre et de la sécurité.
Du côté des jeunes, ce sont les valets au corps souple qui, pour un temps, sont les maîtres: prouesses physiques, art de l’esquive et de la disparition, tensions et violences qui naissent aussitôt. Du côté des pères abusifs, il y a peut-être moins de figures sportives, mais à peine! Ceux qu’on veut déposséder ne se laissent pas faire si aisément; retors, méprisants et roués, ils font aussi preuve d’agilité et d’invention, et résistent aux assauts des jeunes et à l’éclat d’une raison plus incisive.
Mais ces pères sont aussi fourbes que le valet de leurs fils, et on ne les trompe pas facilement. Quant à ces histoires d’argent (il ne s’agit que de cela!), elles indisposent les jeunes filles, et Zerbinette l’Égyptienne, offre au public un morceau de moquerie et de bravoure bien plaisant, sur le thème de l’avidité des pères et de l’impuissance des fils.
Les comédiens composent une galerie de beaux et jeunes rebelles, identifiables d’emblée, graines de mauvais garçons peu courageux, que seul, Scapin, roublard, gourmand jamais rassasié, sait tirer de l’enlisement… Sauts depuis le haut des docks, courses effrénées, menaces: la pièce tourne au polar noir mais dosé d’un bel humour.
Pas une minute d’ennui ni d’instant gaspillé…
Véronique Hotte
Théâtre Jean Arp de Clamart, jusqu’au 15 novembre. T: 01 41 90 17 02