Lento, Mad in Finland

Lento, conception et interprétation d’Olli Vuorinen et Luis de Sartori do Vale

 Cela se passe dans la petite salle de la rue des Cordes où règne une attention remarquable, même s’il ne reste plus une place libre en cette matinée de samedi, avec un public très familial. Il y a, vison plastique remarquable, retenus au sol par de petites plaques de métal, trente et un ballons blancs gonflés à l’hélium,parmi lesquels deux jongleurs vont se frayer un chemin, puis ils les apprivoisent comme des animaux bien vivants. Les ballons ont d’une certaine façon à ce moment là, dépassé leur statut d’objet pour rejoindre celui d’êtres animés.
Cela tient du voyage dans un monde fantastique, et de la manipulation poétique. Il y ainsi un drôle mais plus petit ballon qui semble avoir acquis une certaine autonomie… Mais le meilleur du spectacle est sans doute ce moment magique, où une douzaine de ballons, plus petits et à un mètre au-dessus du sol, va à force d’incantation d’un des deux artistes, aller, avec une certaine nonchalance, du côté cour au côté jardin, comme mûs par une force irrésistible, puis se tenir tranquilles dans le coin où il se sont réfugiés.
Là, on atteint le sublime au sens étymologique d’abord, et au sens courant ensuite. Oui, il y a bien de la magie dans l’air…
« Au contraire de l’Européen classique, disait Léopold Sendar Senhor, le Négro-Africain ne se distingue pas de l’objet, il ne le tient pas à distance, il ne le regarde pas, il ne l’analyse pas. Il le touche, il le palpe, il le sent. »
Ce qui est bien le cas iciCes deux virtuoses, le Finlandais et encore moins son complice brésilien, ne sont des Européens classiques. Les spectateurs, tous âges confondus, enfants, parents et grands-parents, leur ont fait une ovation formidable et méritée.


Philippe du Vignal

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Mad in Finland  de et par Elice Abonce Muhonen, Mirja Jauhiainen, Sanna Kopra, Stina Kopra, Viivi Roiha, Ulla Tikka et Lotta Paavilainen

    IMG_5583 La grande salle du Théâtre d’Hérouville est tout aussi pleine d’un public familial, visiblement ravi de voir ces sept Finlandaises, dont deux d’entre elles, excellentes trapézistes, étaient déjà venues l’an passé (voir Le Théâtre du Blog). Comment parler de ce spectacle hors-normes, une peu fou (d’où ce le jeu de mot sur mad in) qui tient à la fois du cirque, avec de beaux numéros de funambule, trapèze ballant, corde, funambulisme, rola-bola (voir photo) mais aussi de cabaret, avec un orchestre rock (voix, chants, guitares électriques et violons).
Ce sont des performances à la fois complètement déjantées, et souvent brillantissimes, sur fond de féminisme discrètement revendiqué; les sept complices qui se connaissent bien, savent faire chacune beaucoup de choses, ont une incomparable maîtrise de leur corps, l’énergie, l’intelligence de leur jeunesse et un humour qui leur permet d’emmener leur public là où elles veulent..
.  Comme avec ce concours de téléphones portables hors d’usage qui servent de palet sur la glace, sport classique, parait-il, au pays des inventeurs du Nokia.
Pourquoi sept? C’est en référence, nous dit la note d’intention, au roman d’aventures célèbre dans leur pays Les Sept Frères d’Alexis Kivi (1834-1872) qui fit scandale aux yeux des bourgeois et des académiciens, et qui mourut  de schizophrénie et d’alcoolisme à 36 ans en disant : « Je vis !». Il est l’auteur de  douze pièces de théâtre et de ce roman qu’il mit dix ans à écrire, et où il décrivait une vie rurale réaliste c’est à dire… pas tellement  vertueuse.
Le spectacle par moments fait un peu du surplace et a tendance parfois à se répéter mais il y a une telle énergie et une telle générosité qu’on pardonne vite des défauts de mise en scène qui ne dérangent guère le public qui leur a aussi fait un triomphe.
Lento et surtout  Mad in Fianland sont deux spectacles où le corps redevient un instrument de pensée au service d’un spectacle, ce que le théâtre contemporain oublie trop souvent; comme le disait Maurice Merleau-Ponty, « notre siècle a effacé la ligne de partage du corps  et de l’esprit ».
Et, loin des petits magouillages de textes classiques et de mises en scène approximatives comme on voit trop souvent sur les scènes parisiennes, cela fait du bien de retrouver, venue d’un pays nordique, l’affirmation d’ Antonin Artaud dans Les Cahiers de Rodez en 1945: « Mon âme, c’est moi, mon corps entier « .

Philippe du Vignal

Les Boréales 23e édition Norvège/Lettonie/Islande/ Suède/Danemark /Finlande /Estonie à la Comédie de Caen .www.lesboreales.com
Et à l’Espace Cirque d’Antony , du 29 novembre au 21 décembre 2014, samedi 29 novembre 2014 à 20h Dimanche 30 novembre 2014 à 16h lundi 1er décembre 2014 et  à 14h : représentation scolaire, vendredi 5 décembre 2014 à 20h samedi 6 décembre 2014 à 20h dimanche 7 décembre 2014 à 16h.
Cirque-Théâtre d’Elbeuf, jeudi 15 janvier 2015 à 19h30 vendredi 16 janvier 2015 à 20h30,  samedi 17 janvier 2015 à 20h30 dimanche 18 janvier 2015 à 17h00.
CREAC à Bègles (33)  vendredi 23 janvier, le samedi 24 janvier, le mardi 27 janvier et le jeudi 29 janvier à 20h30 le dimanche 25 janvier à 17h.
Festival Circonova, organisé par le Théâtre de Cornouaille, au  magasin d’usine Armor Lux à Quimper,  les 4, 5 et 6 février à 20h.

 


Archive pour 18 novembre, 2014

Paradis Lapsus

Paradis Lapsus conception, mise en scène et chorégraphie de Pierre Rigal

IMG_5583Dans le cadre de la Belle saison avec l’enfance et la jeunesse, Pierre Rigal présente un plaisant spectacle de cinquante-cinq minutes, entre conte, danse et chanson; il nous transporte dans un univers futuriste où de grosses télécommandes, manipulées par une comédienne narratrice, Gisèle Pape, régissent deux humains métamorphosés en robots: un danseur, Julien Saint-Maximin et une danseuse, Camille Régnault.
Gisèle Pape a pour objectif de réparer les voix perdues de ces deux candidats à une romance fragile : «Ils vont s’embrasser, ils vont  s’aimer et ils vont se détester», prédit-elle, et redevenir ainsi, de plus en plus humains. Au début de leur rencontre, leur voix n’est pas la leur ; un haut-parleur dissimulé sur leur thorax émet des sons métalliques, et ils n’ont que leur corps pour s’exprimer.
« Lapsus chorégraphiques et lapsus verbaux, dit Pierre Rigal, se répondront, se confondront dans une danse du trébucher.» Sa chorégraphie habile, entre hip-hop et mouvements de gymnastes, est d’autant plus instable qu’elle se développe parmi des trappes et marches d’escalier à différents niveaux. Mais les danseurs de hip-hop s’adaptent parfaitement à ce milieu.
L’ensemble est agréable à découvrir et convient aux adolescents comme aux adultes, en quête d’une identité naissante ou perdue. Sous une apparence naïve, proche parfois de la bande dessinée, cette création pose la question du langage, du sens des mots et de nos affects. En mettant en scène deux candidats en proie à l’incertitude permanente d’une quête amoureuse, il pose aussi, à la fin , une question importante : peut-on  avoir du sentiment pour l’autre, si l’on ne s’aime pas soi-même?

 Jean Couturier

Théâtre National de Chaillot jusqu’au 25 novembre           

Affabulazione

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Affabulazione de Pier-Paolo  Pasolini, texte français de Michèle Fabien et Titina Maselli, mise en scène et scénographie de Gilles Pastor.


Au centre de la scène, un espace vert qui se révèlera être un jardin et, à d’autres moments, un terrain de foot, où se trouve le père, (Jean-Philippe Salerio), à la voix douce même aux pires moments, les yeux écarquillés. Ce père, omniprésent, vient de faire un cauchemar dont la violence le bouleverse jusqu’à le rendre physiquement malade. En effet « il s’est vu aimer son fils », ce qui,  à priori, ne semble pas épouvantable, sauf qu’il s’est vu l’aimer d’un amour charnel, dont il parle en termes très crus. Dans le discours qu’il tient à ce fils, il évoque son sexe dressé entre lui et son enfant…
Lorsqu’il écrit Affabulazione (1973), Pier-Paolo Pasolini se souvient de l’histoire d’Œdipe dont il avait fait un film en 67, et se propose de réinventer le mythe en inversant les rôles. Il ne s’agit plus ici du meurtre du père par le fils, mais de celui du fils par le père. Mais nous sommes toujours dans le registre tragique et il est même précisé: « Une tragédie qui finit mais ne commence pas. » Et, comme pour bien le prouver, Pasolini convoque, par deux fois, le spectre de Sophocle.
Par ses partis-pris de mise en scène, Gilles Pastor joue la carte de la tragédie en faisant intervenir un chœur de cinq jeunes footballeurs, dont les passes sont réglées selon une véritable chorégraphie, qui investissent l’espace à chaque fin de scène; si leur présence peut déconcerter quelques spectateurs, il faut se souvenir que Pasolini avait une passion pour le foot.«Après la littérature et l’éros, disait-il, le football est pour moi l’un de plus grands plaisirs ». Et le corps des jeunes footballeurs et athlètes le troublait…
La mise en scène n’éclaire pas toujours les propos du texte—mais peuvent-ils l’être ?— mais construit un très beau spectacle. Gilles Pastor  choisit d’entrer dans le fantasme du père, dans ce rêve effrayant, immoral, qui va empoisonner sa vie et le conduire au meurtre. Dans un décor très sobre, il utilise savamment la lumière pour créer une atmosphère surréelle, et emploie avec beaucoup d’invention la vidéo qui est un de ses moyens d’expression privilégiés, pour permettre l’émergence d’une autre réalité.
La bande-son participe aussi à ce décalage. Gilles Pastor va même donner au spectre de Sophocle, la voix de Jeanne Moreau, fantasme dans le fantasme, qui fait naître de multiples références, où le théâtre est étroitement lié au cinéma.

Elyane Gérôme

 Théâtre National Populaire, 8 place Lazare Goujon. 69627 Villeurbanne jusqu’au 16 novembre, puis les 19 et 20 novembre au Théâtre du Vellein. 38090 Villefontaine. 

Le Grand prix

Clémence Weill, lauréate du Grand Prix de littérature dramatique 2014.

©Laurie Thinot

©Laurie Thinot

Le Grand Prix de littérature dramatique consacre chaque année un texte, avec une dotation de 4.000 euros, financée par la Direction Générale de la Création Artistique au Ministère de la Culture, avec le soutien de la S.A.C.D.
Sous l’égide du Centre national du Théâtre, le jury, présidé par Laure Adler, avait sélectionné cinq textes: Sous l’armure de Catherine Anne, à l’École des loisirs (qui, pour des raisons de règlement, n’a pu finalement concourir) ; Des idiots nos héros de Moreau (alias Frédéric Mauvigner), Éditions Théâtre Ouvert-Tapuscrit ; Suzy Storck de Magali Mougel, Éditions Espaces 34 ; et 2h14 de David Paquet, Actes Sud-Papiers/Leméac.

  Il vient d’être attribué cette année à Clémence Weill pour sa pièce la plus récente Pierre, Ciseaux, Papier paru aux  Éditions Théâtrales, dont le titre reprend le nom d’un très vieux jeu d’origine chinoise où la pierre bat les ciseaux en les émoussant,  lesquels battent la feuille en la coupant, qui, elle, bat la pierre en l’enveloppant. Ainsi chaque coup bat un autre coup, fait match nul contre le deuxième mais est battu par le troisième. Comme cela arrive aussi dans les relations humaines…
La pièce de la jeune auteure a en effet pour thème
la vie quotidienne de trois personnages: un Jeune Homme qui observe l’Homme qui observe la Femme. Ils parlent de la vie de l’un d’entre eux qui, au centre de la scène, profère de temps à autres des phrases qui le caractérisent. Avec un humour assez virulent.
En avril dernier, Pierre, Ciseaux, Papier avait été lu au Théâtre du Rond-Point à Paris et au Taps (Théâtre actuel et public de Strasbourg) dans le cadre du festival Actuelles. Clémence Weill, trente ans, comédienne, metteuse en scène et auteure, a travaillé comme comédienne, avec notamment Emmanuel Demarcy-Mota, Jean-Louis Hourdin… et dans de nombreux spectacles de rue. Elle a adapté et mis en scène L’Opéra du dragon d’Heiner Müller, Mars  de Fritz Zorn, La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, Mesure pour mesure  de Shakespeare.
Musicienne de formation, elle a aussi dirigé avec Jean-Claude Vannier L’Histoire de Melody Nelson et L’Enfant assassin des mouches à la Cité de la Musique en 2009.
Auteure, Clémence Weill  a aussi écrit Morning personne, une fresque d’après Calderón de Pasolini.

Philippe du Vignal


 

Trente-six nulles de salon

Trente-six nulles de salon de Daniel Cabanis, mise en scène de Jacques Bonnaffé

 

imagesActeur de théâtre et de cinéma, Jacques Bonnaffé est un poète de la scène qui se revendique comme tel, humblement; avec un goût du jeu et des bons mots, il monte ses spectacles avec un humour qu’il bâtit de préférence autour de la langue, de la littérature et du jazz. Une parole patoisante, érudite ou loufoque, attentive à l’infiniment modeste comme à une dimension plus spectaculaire de l’existence, pleine d’un esprit moqueur et ludique, toujours attentif à l’autre.
Les spectacles poétiques de cet inventeur scénique restent inoubliables pour un public amateur de théâtre : L’Oral et Hardi, un solo sur des textes de Jean-Pierre Verheggen, ou Nature aime à se cacher, un duo dansé sur le singe, à partir des textes de Jean-Christophe Bailly.
Jacques Bonnaffé a aussi été acteur dans Ex vivo/ In vitro de Jean-François Peyret, dans Le Roi du bois de Pierre Michon par Sandrine Anglade, et dernièrement, dans Hannibal de Christian Grabbe, monté somptueusement  par Bernard Sobel.
Un chercheur, un expérimentateur, un inventeur de gestes, de mots et de réparties. Dans Trente-six nulles de salon, Mario et Mario, frères jumeaux qui ne se ressemblent guère – Olivier Saladin et Jacques Bonnaffé-, sont engagés dans un dialogue auquel ni l’un ni l’autre ne voudrait mettre un point final, puisque cette conversation à bâtons rompus, progresse comme dialectiquement, en s’élevant d’un sujet à l’autre vers la saisie du sens, et en ne se repliant ni se refermant jamais sur sa propre trajectoire.
Ces deux-là « se préoccupent d’art en tout sens, et se verraient bien au nombre des personnalités, notabilités, célébrités, médiocrités dont on parle », dit le metteur en scène qui ne voit dans ce duo « qu’un orgueil d’incompris et d’exclus de grande foire ». Anne-Flore Cabanis a dessiné une scénographie enfantine, avec des élastiques tendus comme les cordes d’un immense violoncelle aléatoire, métaphore de la tension et du rebond, des mécaniques à l’œuvre dans les conversations élevées au rang de rituels et de cérémonies quotidiennes.
Les deux comédiens jouent leur partition avec fluidité: Olivier Saladin, en clown londonien au costume à carreaux colorés et au pantalon trop court, à la silhouette plus ronde mais aussi ahurie que celle de Jacques Bonnaffé qui a choisi les mêmes atours à la fois classiques et pittoresques.
Les balles tombent à côté du filet du dialogue théâtral et, malgré l’expérience des comédiens, on ne trouve pas ici la moindre jubilation dans le texte de l’auteur et plasticien Daniel Cabanis. Les conversations tournent court ou tombent à l’eau, et le public ne retrouve pas les belles promesses de ces clowns…

 Véronique Hotte

 Théâtre du Rond-Point, Paris  jusqu’au 6 décembre. T : 01 44 95 98 21

 

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