Trois soeurs

 


 Trois_SoeursC’est encore une de ces histoires de famille et de maison, comme Tchekhov les aime. Histoires jamais simples : partir, ne pas partir ? Se laisser repousser du nid ? Aimer, ne pas aimer, amo, amas, amat, comme le récite avec exaspération Macha ? « Comme ils sont tous nerveux, et que d’amour ! », dirait le docteur Dorn dans La Mouette, autre histoire de maison et de famille, et de bien d’autres drames entremêlés.
Donc, voilà : le frère brillant des trois sœurs ternit et s’efface peu à peu, les anciennes amours sont mortes et  celles qui auraient pu se produire, n’ont pas lieu : le colonel Verchinine, marié, part avec son régiment, le baron Touzenbach meurt dans un duel stupide. Olga, Macha et Irina seront enfermées dans une destinée de frustration, mêlée de moins en moins d’espérance...
Résumer ainsi les choses, c’est déjà entrer dans la lecture de Claire Lasne Darcueil.  En effet, elle choisit de ne mettre sur la scène que les trois sœurs, et de filmer les autres personnages (voir l’article de Véronique Hotte dans Le Théâtre du Blog février 2013). On ne peut mieux marquer, même s’il y a parfois un joli jeu de contact entre les comédiennes et les ombres projetées, la séparation constante qui se joue dans la pièce entre les hommes et les femmes ; d’ailleurs on entend celles-ci, à plusieurs reprises, dire à l’un ou l’autre : « Allez-vous en ! Partez ! », qu’il s’agisse d‘éloigner le mari exaspérant, ou d’écarter la tentation d’un amour défendu.
Cette coupure écran/scène met également en évidence la grande part de récits  de la pièce : les personnages se racontent les uns aux autres et ici, au public. Un autre effet du procédé choisi est de nous montrer ces trois sœurs, qui ne sont plus jeunes, comme d’éternelles petite filles qui n’oseraient, ou ne pourraient, sortir de la maison d’enfance : les comédiennes s’enlacent, s’enroulent, se bagarrent comme une portée de chatons dans un panier.
Mais pourtant, que malgré l’intérêt de cette lecture, le théâtre n’y trouve pas son compte. Les filles sont amenées, sur scène, à des émotions démonstratives, à des gestes arbitraires : Irina fait du repassage le jour de sa fête, puis l’oublie; toutes les trois, au moment  de l’incendie de la ville, font et défont des paquets de vêtements: une métaphore de leur impuissance à agir réellement ?
En un mot : le théâtre est souvent réduit à des idées visibles, et l’on sait que les meilleures idées au théâtre sont celles qui ne se voient pas, et ici, il est mangé par le cinéma.
Géants, en noir et blanc et en gros plan, les hommes, joués par d’excellents comédiens filmés emportent le morceau. On ne veut pas croire que c’est voulu, au nom d’un pseudo-féminisme victimaire. Julie Denisse qui joue Macha (pourquoi les feuilles-programme ne donnent-elles pas la distribution des rôles ?) crève l’écran… quand elle y a droit.
Donc, hommage aux trois comédiennes, Julie Denisse, Anne Sée, Emmanuelle Wion, mais regrets que la pièce, tronquée, donc simplifiée, soit souvent réduite à un exercice. Une chance : avec un auteur de la dimension de Tchekhov, il en reste toujours assez pour captiver un public innocent.
Souhaitons à celui-ci, qui a quand même vibré devant ces Trois sœurs, d’en voir beaucoup d’autres et de vibrer encore plus.

 

Christine Friedel

 

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes,  jusqu’au 14 décembre, T: 01 43 28 36 36.

Le texte est publié aux éditions Actes-Sud-Babel

 

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