novecento
Novecento d’Alessandro Baricco, traduction de Françoise Brun, adaptation de Gérald Sibleyras, André Dussollier et Stéphane de Groodt, mise en scène d’André Dussollier
« Le premier à voir l’Amérique, sur chaque bateau, il y en a eu un ! », lance au public, au début du spectacle, le trompettiste et narrateur de ce récit maritime et théâtral. Mais celui qui a embarqué à bord du Virginia , reste unique en son genre ! Abandonné tout bébé par ses parents pauvres sur ce transatlantique, il deviendra « le plus grand pianiste du monde », sans avoir jamais mis pied à terre ! Il aura eu comme rêve et souhait les plus chers, de voir la mer!
André Dussollier souhaitait ardemment depuis douze ans, interpréter ce monologue d’Alessandro Baricco, auteur dramatique italien et musicologue contemporain: « A sa parution, j’avais demandé à Jean-Michel Ribes de me mettre en scène ». Vœu réalisé et avec panache : c’est aujourd’hui, André Dussollier qui met en scène et joue, accueilli par Jean-Michel Ribes au Théâtre du Rond-point.
Pendant une heure trente, accompagné, de temps à autre, par le Jazz band club du Virginia, André Dussollier, le trompettiste et narrateur, nous raconte l’histoire de Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento, rencontré sur ce transatlantique, et devenu son meilleur ami.
Quelle performance d’acteur ! André Dussollier ne cesse de swinguer avec les mots, au rythme du bateau, ou quand il est sur le quai, assis sur une caisse de marchandises prête à être livrée, abandonnée ou à exploser ! Mais jamais, (et c’était le risque), cette adaptation ne dérape, et ne devient une comédie musicale. Jamais illustratrice, la musique existe ici à part entière, et prolonge l’émotion poétique des mots proférés par le comédien.
Novecento était à l’origine une sorte de nouvelle, sous forme de monologue, publiée en 1994 en Italie. Alessandro Baricco, l’avait destiné à un acteur, Eugenio Allegri, et à un metteur en scène, Gabriele Vaci qui en firent un spectacle au succès retentissant dans leur pays.
L’œuvre avait eu aussi comme interprète, Jean-François Balmer, en 2000, au Théâtre Pépinière-Opéra, dans une mise en scène de Frank Cassenti, et Il y a avait eu aussi une adaptation française au cinéma par Frank Cassenti, avec pour la musique, le groupe d’Archie Shepp, et trois autres grands musiciens de jazz.
Il y a du jazz mais sans piano « pour faire jaillir l’âme du plus grand pianiste de l’océan, et c’est le texte qui joue les solos », disait alors Jean-François Balmer. Mais ici, c’est à la fois avec fougue, sérénité mélancolique et nostalgie, que le conteur et trompettiste André Dussollier, s’empare de Novecento. Avec finesse, il réussit à mettre en mouvement la matérialité du texte, et en laisse ainsi exploser toute la théâtralité, et l’étrange enfouis au cœur même de l’écriture.
Le texte oscille entre le conte, genre littéraire qui appartient à l’oralité, et le monologue dramatique. Comme le précise André Dussollier «C’est une aventure très théâtrale, puisqu’un dialogue s’établit directement avec le spectateur, lors d’un long périple ponctué d’étapes inattendues».
Nous sommes à l’écoute d’une parole et nombre d’événements et de coups de théâtre ne cessent de retenir notre attention. Ainsi, la découverte d’un bébé, futur héros du récit, né sur le bateau et laissé par ses parents dans une caisse posée sur le piano des premières classes, avec l’espoir qu’il soit adopté par des gens aisés…
Il ne le sera point, ou plutôt si… par la Musique, et deviendra un pianiste génial. Autre moment fort, celui d’une valse qu’il joue, pendant une terrible tempête lors de la traversée de l’atlantique. « Et c’est là, au fond de la cale que notre amitié est née », on entend quelques notes de piano d’Eric Satie, pour illuminer la naissance de cette amitié joyeuse, déchirante et éternelle à la fois, entre Novecento et le trompettiste, interprété ici par le jeune pianiste Elio Di Tanna, de formation classique.
Ou bien encore la disparition subite de Novecento… sans oublier le duel, et enfin, l’arrivée à New York ! Novecento aura ainsi passé trente-deux ans en mer, «Dans trois jours à New York, je débarque (…) je débarque, je dois voir la mer »…. On ne vous dévoilera pas la suite mais le public reste sous le charme de cette histoire incroyable, ébloui par la qualité de l’interprétation d’André Dussollier, et de l’orchestre, tous excellents.
Novecento s’adresse aux adolescents comme aux adultes. Cette histoire étrange et prodigieuse, ouvre différents champs de lecture, et s’apparente au conte fantastique et philosophique, dont le personnage nous invite à voir et à entendre la musique du monde tel qu’il le perçoit. Pour André Dussollier, «Novecento incarne, aujourd’hui plus que jamais, le rêve d’une certaine liberté, d’une certaine fantaisie, il raconte qu’il est possible de vivre dans ce monde en échappant à la forme établie ».
Ce récit merveilleux, publié en 94 en Italie, évoque l’enfance et la capacité de l’artiste à imposer librement, mais non sans risque, une vision souvent prémonitoire du monde et de l’existence. L’imaginaire, la poésie, la beauté sont de la fête; la musique qui en est le personnage principal, possède cette capacité de transfigurer le monde et de faire surgir la beauté et l’extase…
Dommage, André Dussolier a modifié le début de histoire, et y ajouté une note grand-guignolesque, lors de l’accueil à bord des passagers par le capitaine Smith. Et la scénographie est bien convenue: un praticable en guise d’escalier ou de passerelle trône au milieu du plateau, et des projections en fond de scène, montrent le pont du bateau au coucher du soleil, avec parfois, la silhouette derrière le rideau, du trompettiste ou de l’orchestre de jazz… Cela amoindrit une dimension existentielle très subtile, présente dans le texte, où gravité et conscience habitent l’âme et le cœur de Novecento et de son ami le trompettiste.
Cela dit, bon vent à bord du Virginia ! Et même si Novecento vous laisse un peu mélancolique, ou très joyeux, c’est selon, vous saurez pourquoi la Terre est « un bateau trop grand (…) un trop long voyage, une femme trop belle . Un parfum trop fort ».
Une musique que le personnage « ne sait pas jouer » ! Et c’est tant mieux !
Elisabeth Naud
Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 6 décembre, à 18h30, puis du 11 décembre jusqu’au 10 janvier, à 21h.
Novocento:un monologue, monologue pour le théâtre, traduit de l’italien et post-facé par Françoise Brun, Gallimard, Folio Bilingue no 141.