la danse du diable
La Danse du diable, histoire comique et fantastique, écrite, mise en scène et jouée par Philippe Caubère, après avoir été improvisée sous la direction de Jean-Pierre Tailhade et Clémence Massart
C’était au festival d’Avignon dans cette belle salle de bourse d’autrefois, dite de la Condition des Soies aux beaux murs de pierre, il y a déjà trente-trois ans déjà, et il nous en souvient d’en avoir parlé avec ferveur au micro de France-Culture. Le jeune Philippe Caubère, était en rupture de ban douloureuse d’avec le Théâtre du Soleil et d’Ariane Mnouchkine, sa directrice qui, dit-on, n’a jamais vu un seul de ses spectacles, et où il passa sept ans.
Il en fut l’un des principaux et meilleurs acteurs (il joua notamment Molière dans le film éponyme, puis Don Juan et, après un détour comme comédien chez le metteur en scène Otomar Krejca, se lançait seul, (mais c’était tout à son honneur) avec l’angoisse au ventre dans cette Danse du diable. Le public regardait absolument fasciné ce jeune comédien inconnu se lancer avec fougue et sincérité dans cette aventure.
A l’époque, il ne savait pas, et, nous non plus, qu’il allait servir de modèle à de nombreux acteurs et actrices qui, à leur tour, ont adopté le monologue comme moyen d’expression, non pas pour jouer une série de sketches mais pour raconter une saga personnelle où le Théâtre, la scène et ses interprètes, est, à la fois, le moteur et la cible privilégiés.
Depuis Philippe Caubère n’a cessé d’enchaîner avec succès des spectacles dont il reste l’auteur/metteur en scène et l’unique interprète, avec des personnages fétiches: Ferdinand Faure, son double, jeune homme rêvant de gloire scénique, mais aussi sa mère aussi chérie que redoutée, sa sœur Isabelle, elle aussi comédienne au visage merveilleux, disparue il y a quatre ans, le général de Gaulle, Johny, madame Colomer, sa prof de cours de théâtre et ses copains marseillais, etc…
Il entreprit ensuite Le Roman d’un acteur, une sorte de saga de onze spectacles de trois heures chacun, où il raconte la vie du jeune Ferdinand Faure (Caubère) depuis la fabuleuse histoire du Théâtre du Soleil jusqu’à sa décision d’écrire et de créer lui-même ses spectacles. Avec une passion évidente pour la gestualité genre commedia dell’arte contemporaine, dès qu’il s’agit d’imiter et/ou de recréer un personnage .
Il a publié aussi chez Denoël Les carnets d’un jeune homme 76/81 et mis en scène et joué un Aragon en 1996 ; et Urgent crier ! (2004) de son ami et poète et metteur en scène André Benedetto qui fut à l’origine du théâtre off en 1968. En 2000, Philippe Caubère avait déjà repris cette Danse du diable, à partir des impros initiales, avec, L’Homme qui danse, huit spectacles autobiographiques de trois heures chacun.
L’homme exaspère souvent, n’a pas que des amis mais ne laisse personne indifférent; il a en tout cas acquis au fil des années un capital/public impressionnant toutes générations confondues, même si ses spectacles comme le dernier que nous avions vu au Théâtre du Rond-Point, sont trop longs, et affligés d’une mise en scène le plus souvent approximative.
Bref, sept ans après, il était intéressant d’aller faire un état des lieux, à l’occasion de cette reprise de cette Danse du diable, par ce diable d’homme, toujours aussi jeune à 65 ans, à la mémoire fabuleuse, capable de jouer plus de trois heures durant, même si le corps est un peu moins agile…
Et cela donne quoi? La salle comble a une connivence évidente avec cet homme, seul, sur le plateau nu, sans micro HF bien sûr, sans musique, sauf à la fin, sans accessoires qu’une table et un petit banc, sans véritable costume, qui s’avance crânement dans le pinceau d’un projecteur à la rencontre de SON public, venu pour voir cette bête de scène passer d’une histoire à l’autre, l’air de ne pas y toucher, avec un remarquable sens de l’espace. Que vient voir le public? Sans doute la performance d’un acteur à laquelle on ne peut être indifférent. Et là on dit chapeau, l’artiste!
Cela dit, les réactions dans la salle sont des plus curieuses: on voit les inconditionnels de Philippe Caubère, en général gens qui l’ont vu autrefois, savourer ici la chose avec nostalgie, comme une lampée de vieil Armagnac, et rient souvent de bon cœur; les plus jeunes (il y avait nombre de lycéens et d’élèves de cours de théâtre qui ne l’avaient évidemment jamais pu le voir) riaient aussi comme en rafale.
Et puis il y a ceux qui, comme nous, restaient absolument fermés à ces redondances, et à ce qu’il faut bien appeler un rare cabotinage d’un acteur qui se permet tout et n’importe quoi sur scène, y compris les blagues pipi-caca, avec une rare prétention. Et ce n’est une question de génération: il y avait près de nous un jeune couple d’une trentaine d’années à peine qui restait impassible et ne riait pas du tout.
D’autant que ce monologue/performance dure plus de trois heures! C’est interminable et souvent pénible, d’autant que, pendant toute la première partie, l’acteur, on ne sait pourquoi, a une diction des plus moyennes et boule son texte, donc désolé de dire les choses mais on l’entend mal. Comme, de plus, les petites histoires caubériennes ont quand même bien vieilli (comme ces imitations de de Gaulle!), elles ne nous concernent plus beaucoup !
La salle après l’entracte, était moins pleine, des spectateurs qui avaient mal calculé leur degré de résistance à cette logorrhée s’étaient enfuis… Mais la dernière heure, non exempte des pires facilités et de longueurs, est quand même nettement meilleure. Philippe Caubère, quand il raconte son adolescence marseillaise, ses cours de théâtre, etc… est plus convaincant. Du coup, les choses sonnent mieux, et on se prête même à sourire.
Mais ce qui demeure le plus gênant dans ce spectacle: on a l’impression que Philippe Caubère, au mépris d’une dramaturgie qui serait intelligemment élaborée, ce qui est loin d’être le cas ici, pourrait nous servir un heure de plus d’un texte qui ne tient, (et encore!) que par sa seule présence.
Non désolé, quelles que soient par ailleurs les indéniables qualités de l’acteur, cette Danse du diable est loin d’être un bon spectacle, et c’est d’autant plus dommage que, s’il avait fait appel à un metteur en scène qui aurait imposé d’urgence des coupes indispensables et l’aurait dirigé, ce monologue y aurait sans aucun doute, beaucoup gagné.
Reste une performance d’acteur/vedette qui doit chaque soir remettre le couvert (et visiblement il aime cela!) et dont on vend à la sortie les CD, DVD, affiches… Cela suffit-il à passer une bonne soirée de théâtre? La réponse est non. Maintenant à vous de décider…
Philippe du Vignal
Athénée Théâtre Louis-Jouvet, du 7 novembre au 7 décembre. Relâche les lundis et jeudis. Attention: à 19 h le mardi, et à 20 h mercredi, vendredi, samedi, et à 16 h le dimanche. T: 01 53 05 05 19 19. www.athenee-theatre.com