Coup de théâtre
Coup de théâtre(s) de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino, mise en scène de Sébastien Azzopardi.
Les Dieux demandent à Ulysse aux mille ruses, de récupérer la quenouille du temps, volée par Pantalone. Après avoir vaincu Poséidon et le Cyclope, il souhaiterait profiter d’un repos bien mérité, mais Œdipe, Achille et Hercule: aucun n’est disponible et les Dieux ne lui laissent donc pas le choix.
Même Pénélope et le Sphinx encouragent Ulysse à entreprendre un nouveau voyage; avec l’aide d’Athéna, il part donc pour une nouvelle odyssée qui va l’emmener en Italie au cœur de la commedia dell’arte, où il rencontre Arlequin et Colombine, amoureuse de Lélio, mais promise par son père au vieux Pantalone, âgé de 98 ans.
Puis Ulysse, à la poursuite de Pantalone, repart en compagnie d’Arlequin, brave une nouvelle tempête, puis arrive en Angleterre où les trois sorcières de Macbeth ont transformé Pantalone en Hamlet!
Il y rencontre aussi Puck et l’âne, sortis tout droit du Songe d’une nuit d’été, et Roméo et Juliette qui, sur son balcon, victime de la poudre d’amour jetée par Puck, tombe amoureuse d’Ulysse dès qu’elle l’aperçoit, au grand désespoir de Roméo!
L’âne est lui aussi victime de sa poudre d’amour, et se met à aimer Arlequin. Puis Hamlet ex-Pantalone vend la quenouille permettant de remonter le temps à un mystérieux personnage qui s’avère être Cyrano de Bergerac…
Le célèbre héros d’Edmond Rostand, va, avec cette quenouille, trouver le grand Molière, entouré de Précieuses totalement ridicules et un peu « femmes savantes » Et il lui demande de réécrire son histoire pour lui permettre de vivre heureux avec sa bien-aimée Roxane.
Arlequin lui arrache la quenouille des mains mais Molière la lui reprend pour la redonner à Ulysse. Nous nous retrouvons alors dans une chambre de L’hôtel du libre échange, où des personnages de plus en plus déchaînés enchaînent les quiproquos, se poursuivent, se retrouvent dans des placards. Il ont tantôt un fil à la patte, tantôt la puce à l’oreille, pendant que Monsieur chasse et que Madame se promène toute nue, comme l’indiquent les titres de ces cinq pièces de Georges Feydeau…
Tout ce joyeux délire se termine par un french-cancan endiablé. Puis, après une nouvelle tempête, nous voici en Russie, où vivent Roxane Robinova et Cyranovitch, parents d’un petit John Malkovitch, désespérés à l’idée de devoir vendre leur Cerisaie. Nina, actrice tout droit sortie de La Mouette de Tchekhov et qui ne joue que des rôles de volatiles! ne semble pas aller beaucoup mieux…
Après l’épisode russe, deux personnages qui ressemblent fort aux Vladimir et Estragon d’En attendant Godot sont assis près d’un arbre. Puis la Roxane de Cyrano est tout d’abord prise pour la Cantatrice chauve, chère à Eugène Ionesco (le fameux titre, un peu énigmatique, provient en fait d’une erreur dûe à un saut de page par un comédien à la première lecture, disait Nicolas Bataille, son premier metteur en scène, et qui a été gardé). Roxane rejoint Vladimir et Estragon, avec la quenouille qui…ne fonctionne plus et ne permet donc plus de se déplacer dans le temps.
Il faudrait pour sortir les personnages de cette situation désespérée, un deus ex-machina; il apparaît alors… sous les traits de Molière qui nous dit la vérité : la quenouille ne marche pas, c’est un simple accessoire de théâtre, et les personnages sont ceux d’un théâtre, voulus par les auteurs (tels des Dieux décidant du sort des hommes ), et tout est écrit dans le texte: « Les hommes ont toujours eu besoin d’histoires (… ) pour échapper à l’ennui ». « Il faut fatalement que je meure chaque soir », soupire alors Cyrano.
Puis arrive le moment où les acteurs se trouvent face à une page blanche… Ils vont donc pouvoir faire ce qu’ils veulent, et surtout célébrer l’amour du théâtre.Arlequin, l’amuseur universel, pourra aussi bien être Scapin que Sganarelle. Quant au retour d’Ulysse dans sa chère petite Ithaque, il se fera en musique, comme dans un musical de Broadway. « On est les plus heureux des tragédiens, car tout est bien qui finit bien » et « Ulysse a fait un beau voyage ». chantent tous les acteurs avec joie.
Il s’agit là d’une parodie burlesque, mais pas toujours du meilleur goût! Les auteurs auraient pu nous épargner blagues salaces, clins d’œil à l’actualité politique et jeux de mots du genre: « On ne fait pas d’Hamlet sans casser des œufs ! ».
Mais le spectacle reste drôle, joué par une équipe de bons comédiens (Benoit Cauden, Alyzée Costes, Alexandre Guilbaud, Nicolas Martinez, Laurent Maurel, Olivier Ruidavet, Salomé Talaboulma), l’intrigue est bien ficelée et chaque univers théâtral est aussitôt reconnaissable: on implore sans cesse Zeus et Athéna, Hamlet, toujours un crâne à la main, termine ses phrases par Telle est la question! et Vladimir et Estragon tiennent un langage abscons…
Mais mieux vaut connaître ses classiques pour apprécier ce spectacle où une quenouille permet de traverser les temps du théâtre. Mais, sous le pastiche et la caricature, se cache un bel hommage aux dramaturges, à leurs illustres personnages, et aux répliques mythiques comme celles, entre autres, de Cyrano ou du Cid : « C’est un roc ! C’est un pic… c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? … c’est une péninsule ! » . « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées La valeur n’attend point le nombre des années. »
On peut espérer que le spectateur aura ensuite envie de relire, entre autres, Cyrano, ou Hamlet…
Isabelle Fauvel
Théâtre de la Gaieté Montparnasse 26 Rue de la Gaité, 75014 Paris T: 01 43 22 16 18