Georges Dandin de Molière, mise en scène d’Hervé Pierre.
Riche paysan, Georges Dandin, fasciné par l’idée d’acquérir un titre nobiliaire, a épousé la jeune et belle Angélique de Sotenville, dont le père ruiné continue à jouer les gentilshommes. Dandin, lui, a donc obtenu, grâce à ce mariage, le droit de se faire appeler Monsieur de la Dandinière.
Mais il a vendu son âme au diable, et ce mariage, comme il devait bien s’en douter, est un marché de dupes. Il a, en fait, échangé sa misère sentimentale et une ambition mal placée contre une belle jeune femme qui, poussée par ses parents, s’est laissée faire. « L’amour, disait Jacques Lacan, c’est offrir à quelqu’un qui n’en veut pas, quelque chose que l’on n’a pas ». En l’occurrence, Dandin ne semble pas éprouver beaucoup d’amour pour la belle Angélique, seulement une attirance sexuelle et un besoin de reconnaissance sociale. Cherchez l’erreur!
Il apprend que sa femme fait les yeux doux au jeune Clitandre; et comme, il ne connait pas toutes les roueries de la ville, et qu’il doit être plus à l’aise, quand il vend les produits de sa ferme, il entreprend maladroitement de dévoiler l’affaire à ses beaux-parents.
Mais il s’y prendra mal, et c’est un échec complet. Le couple Sotenville, avec un grand mépris, ne le croit pas et le rabroue, alors qu’il a, comme le public, la preuve évidente du double jeu de la jeune et belle Angélique qui, bien secondée par sa servante Claudine, connaît à fond l’art de la dissimulation et du mensonge avéré.
Angélique, très habile et qui refuse de « s’enterrer toute vive dans un mari », réussit de justesse, et pour la troisième fois, à retourner la situation à son avantage. Injurié, humilié, le pauvre Georges Dandin devra, de plus, présenter ses excuses à Angélique…
Mais, il y a quand même une (petite!) justice. M. de Sotenville, qui n’est finalement peut-être pas si sûr (on se le demande) de la bonne foi de sa chère fille, mettra en demeure les deux époux de continuer à vivre ensemble...
Molière créa Georges Dandin à Versailles en 1668. Cette comédie en prose, avec une pastorale composée par Lully, est inspirée d’un canevas du Moyen Âge sur le thème bien connu des classes possédantes de la ville qui méprisent les paysans, et s’en méfient (ce qui n’est pas incompatible!), même s’ils ont besoin d’eux pour leur fournir la nourriture quotidienne.
Mais Molière, à plusieurs reprises, souligne aussi, et c’est nouveau, le drame intérieur que vit Georges Dandin, pris à un piège qu’il a lui-même fourni, incapable d’analyser lucidement la situation, et de renoncer à cette jeune femme qui se moque de lui sans aucun scrupule au nom d’une sorte de féminisme avant la lettre.
Angélique estime en effet et non sans raison, qu’elle a été en quelque sorte vendue; elle n’entend donc pas se laisser faire, et veut vivre sa vie à elle, et non comme épouse de ce monsieur de la Dandinière. Et, du coup, comme elle veut la crème et l’argent de la crème, elle n’a aucun scrupule à tricher. C’est cynique et bien vu.
Elle sera seulement moins sûre d’elle… quand elle se verra prise au piège tendu par son mari. Avec d’autres paramètres sans doute, est-ce une situation si inimaginable que cela en 2014? Ce qui frappe, quand on relit la pièce, c’est l’absolue modernité des dialogues qui fascine souvent les jeunes metteurs en scène (voir Le Théâtre du Blog).
Pour Hervé Pierre, un des meilleurs acteurs du Français (La Tragédie d’Hamlet, Peer Gynt, Un Fil à la patte), » il semblait intéressant, dit-il, de placer la pièce de Molière dans le contexte historique du XIXème siècle, marqué à la fois par l’invention d’utopies, de mondes idéalisés, et par une féroce réalité politique et sociale (…) C’est pour cela que je souhaitais inscrire l’histoire de Georges Dandin dans la France de 1850-1851, celle d’Un enterrement à Ornans de Gustave Courbet « .
On veut bien, mais cela ne se voit, ni se sent guère dans cette mise en scène qui, dès le début, est plombée par une scénographie compliquée, imaginée par Eric Ruf, qui ne restitue en rien le monde et la maison du paysan qu’est resté Gorges Dandin.
Soit un ensemble de palissades en planches de pin artificiellement vieillies, voire abimées qui peut évoquer une cloison d’étable ou de poulailler, avec, à cour, une très petite pièce juste éclairée par une ampoule, où se tient en permanence et comme enfermé, (sans que l’on sache vraiment pourquoi!), Colin, le valet de Dandin (Simon Eine).
Au milieu, soutenu par un faux tronc d’arbre en fer (sécurité oblige!), une espèce de praticable/cage en bois, un peu branlant, en rien crédible, censé être l’appartement du couple auquel on accède par un étroit escalier, pas très commode à monter pour des actrices en robe longue.
Et, sur les murs de scène, éclairées par des tubes fluo bleu (le ciel?), des feuilles d’arbres peintes (la campagne?). Tout cela reste bien approximatif, sonne faux, et n’aide en rien les comédiens, ce qui est pourtant le principe d’une scénographie intelligente.
Côté interprétation, les vieux routiers du Français, Catherine Sauval et Alain Lenglet (les Sottenville) s’en sortent bien, comme Jérôme Pouly (Georges Dandin). Il est juste dès les premières répliques et tout en nuances, à la fois balourd, comique mais aussi profondément émouvant. C’est un beau travail d’acteur, et le spectacle lui doit tout.
Mais les jeunes comédiens, eux sont beaucoup moins justes: Claire De La Rüe du Can a bien à imposer du mal à imposer une Angélique assez raide, qui reste peu crédible jusqu’à la fin, et ses camarades Pierre Hancisse (Clitandre), Noam Morgensztern (Lubin) et Pauline Méreuze (Claudine) ont tendance à cabotiner; et cette distribution inégale manque d’unité.
Donc, une mise en scène honnête mais un peu timorée, comme si Hervé Pierre, qui louche du côté de Brecht et du réalisme pictural, n’avait pas osé aller jusqu’au bout pour dire, à sa façon, cette farce d’une remarquable cruauté. On oubliera aussi les petits intermèdes pas très bien dansés et inutiles qui cassent un rythme. déjà un peu plan-plan.
On se souvient avec nostalgie de la mise en scène de Roger Planchon. avec Claude Brasseur…Restent les magnifiques dialogues de Molière, et qu’on entend très bien. C’est au moins cela, et donne encore plus envie de relire cette pièce sur l’institution du mariage; en termes plus crus, dira le marquis de Sade quelque cent ans plus tard, c’est « un pacte mercenaire et vil, un trafic honteux de fortunes et de noms qui, n’enchaînant que les personnes, laissent les cœurs à tout le désordre du désespoir et du dépit ». C’est déjà toute la cause des ennuis de Georges Dandin…
Donc à voir seulement si on n’est pas trop exigeant, et surtout pour Jérôme Pouly et pour le plaisir d’entendre ce texte sublime.
Philippe du Vignal
Comédie-Française Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier 75006 Paris jusqu’au 1 er janvier. T: 01 44 39 87 00/01