Timeloss

Timeloss,  texte, mise en scène et scénographie d’Amir Reza Koohestani, (en persan surtitré)

 12037771964_44c0a0cf59_bSoit deux comédiens, dans un studio d’enregistrement, assis chacun à une petite table, lui, derrière, côté jardin, elle, devant, côté cour, et lui tournant le dos.
Ils répètent le texte d’une pièce qu’ils ont jouée ensemble douze ans auparavant, et dont la captation vidéo de l’époque nécessite une nouvelle bande -son.
Sur deux écrans verticaux, séparés par un panneau noir et situés derrière chacun des acteurs, défilent des séquences de la pièce à doubler, interprétées par des acteurs plus jeunes. Un ingénieur du son lance aux doubleurs des directives en voix off.
Sur scène, entre deux prises, les comédiens répètent indéfiniment les mêmes dialogues. Ceux de la pièce d’origine se confondent avec ceux de la situation présente, sans qu’on puisque distinguer s’il agit de leur propre histoire amoureuse ou de celle des personnages qu’ils doublent.
Tout se complique encore quand les acteurs d’ici et maintenant se retrouvent sur les écrans du passé, remplaçant leur alter ego juvénile. Dans ce dispositif complexe, s’élabore un jeu de miroir vertigineux qui renvoie à un ancien spectacle, joué il y a douze ans, Dance on Glasses (qu’on a pu voir sur ce même plateau du Théâtre de la Bastille).
On nous en projette quelques extraits : on y voit deux personnages assis face à face, chacun à un bout d’une très longue table. Le thème de Dance on Glasses était une rupture amoureuse. Ici le meuble a été coupé et chacun reste devant sa petite table, isolé,  mais il ne peut plus regarder son partenaire, ou même lui parler autrement que dans un langage codé, monté en boucle.
La création d’Amir Reza Koohestani nous rappelle que la littérature persane est avant tout poétique et métaphorique. L’auteur travaille ici sur la trace, le temps qui passe, les corps qui vieillissent et sur ce qu’il reste des amours mortes.
Par ricochet, il est question d’exil, de solitude, de l’impossibilité de s’exprimer. Il renvoie aussi à l’éphémère du théâtre vivant, aussi bien qu’à la persistance dans une œuvre, des œuvres antérieures…
La lecture des sur-titres et les multiples niveaux de représentation demandent une grande concentration aux spectateurs, soutenue par la présence prégnante de Mahin Sadri et Hassan Madjooni. Ils restent statiques mais font vivre intensément leurs personnages dans cette langue chantante qui est la leur.
Un exercice de style captivant.

  Mireille Davidovici

Théâtre de la Bastille jusqu’au 30 novembre,  76, rue de la Roquette 75011  T. 01 43 57 42 14


Archive pour 27 novembre, 2014

Georges Dandin

Georges Dandin de Molière, mise en scène d’Hervé Pierre.

PHO1a667eb8-6bf1-11e4-9e1a-b501f3c023ca-805x453  Riche paysan, Georges Dandin, fasciné par l’idée d’acquérir un titre nobiliaire, a  épousé la jeune et belle Angélique de Sotenville, dont le père  ruiné  continue à jouer les gentilshommes. Dandin, lui, a donc obtenu, grâce à ce mariage, le droit de se faire appeler  Monsieur de la Dandinière.
Mais il a vendu son âme au diable, et ce mariage, comme il devait bien s’en douter, est un marché de dupes. Il a, en fait, échangé sa misère sentimentale  et une ambition mal placée contre une belle jeune femme qui, poussée par ses parents, s’est laissée faire. « L’amour, disait Jacques Lacan, c’est offrir à quelqu’un qui n’en veut pas, quelque chose que l’on n’a pas ». En l’occurrence, Dandin ne semble pas éprouver beaucoup d’amour pour la belle Angélique, seulement une attirance sexuelle et un besoin de reconnaissance sociale. Cherchez l’erreur!
   Il apprend que sa femme fait les yeux doux au jeune Clitandre; et comme, il ne connait pas toutes les roueries de la ville, et qu’il doit être plus à l’aise, quand il vend les produits de sa ferme, il entreprend maladroitement  de dévoiler  l’affaire à ses beaux-parents.
Mais il s’y prendra mal, et c’est un échec complet.
Le couple Sotenville, avec un grand mépris, ne le croit pas et le rabroue, alors qu’il a, comme le public, la preuve évidente du double jeu de la jeune et belle Angélique qui, bien secondée par  sa servante Claudine, connaît à fond l’art de la dissimulation et du mensonge avéré.
Angélique, très habile et qui refuse de « s’enterrer toute vive dans un mari », réussit de justesse, et pour la troisième fois, à retourner la situation à son avantage. Injurié, humilié, le pauvre Georges Dandin devra, de plus, présenter ses excuses à Angélique…
Mais, il y a quand même une (petite!) justice. M. de Sotenville, qui n’est finalement peut-être pas si sûr (on se le demande) de la bonne foi de sa chère fille, mettra en demeure les deux époux de continuer à vivre ensemble...
Molière créa  Georges Dandin à Versailles en 1668. Cette comédie en prose,  avec une pastorale composée par Lully, est inspirée d’un canevas du Moyen Âge sur le thème bien connu des classes possédantes de la ville qui méprisent les paysans, et s’en méfient (ce qui n’est pas incompatible!),  même s’ils ont  besoin d’eux pour leur fournir la nourriture quotidienne.
Mais Molière, à plusieurs reprises, souligne aussi,  et c’est nouveau, le drame intérieur  que vit Georges Dandin, pris à un piège qu’il a lui-même fourni, incapable d’analyser lucidement la situation, et de renoncer à cette jeune femme qui  se moque de lui sans aucun scrupule au nom d’une sorte de féminisme avant la lettre.
Angélique estime en effet et non sans raison, qu’elle a été en quelque sorte vendue; elle n’entend donc pas se laisser faire, et veut vivre sa vie à elle, et non comme épouse de ce monsieur de la Dandinière. Et, du coup, comme elle veut la crème et l’argent de la crème, elle n’a aucun scrupule à tricher. C’est cynique et bien vu.
Elle sera seulement moins sûre d’elle… quand elle se verra prise au piège tendu par son mari. Avec d’autres paramètres sans doute, est-ce une situation si inimaginable que cela en 2014?  Ce qui frappe, quand on relit la pièce, c’est l’absolue modernité des dialogues qui  fascine souvent  les jeunes metteurs en scène (voir Le Théâtre du Blog).

Pour Hervé Pierre,  un des meilleurs acteurs du Français (La Tragédie d’Hamlet, Peer Gynt, Un Fil à la patte), » il semblait intéressant, dit-il, de placer la pièce de Molière dans le contexte historique du XIXème siècle, marqué à la fois par l’invention d’utopies, de mondes idéalisés, et par une féroce réalité politique et sociale (…) C’est pour cela que je souhaitais inscrire l’histoire de Georges Dandin dans la France de 1850-1851, celle d’Un enterrement à Ornans de Gustave Courbet « .
On veut bien, mais cela ne se voit, ni se sent guère dans cette mise en scène  qui, dès le début, est plombée par une scénographie  compliquée, imaginée par Eric Ruf, qui ne restitue en rien le monde et la maison du paysan qu’est resté Gorges Dandin.
Soit un ensemble de palissades en planches de pin artificiellement vieillies, voire abimées qui peut évoquer une cloison d’étable ou de poulailler, avec, à cour, une très  petite pièce juste éclairée par une ampoule, où se tient en permanence et comme enfermé, (sans que l’on sache vraiment pourquoi!), Colin, le valet de Dandin (Simon Eine).
Au milieu, soutenu par un faux tronc d’arbre en fer (sécurité oblige!), une espèce de praticable/cage en bois, un peu branlant, en rien crédible, censé être l’appartement du couple auquel on accède par un étroit escalier, pas très commode à monter pour des actrices en robe longue.
Et, sur les murs de scène, éclairées par des tubes fluo bleu (le ciel?), des feuilles d’arbres peintes (la campagne?). Tout cela reste bien approximatif, sonne  faux, et n’aide en rien les comédiens, ce qui est pourtant le principe d’une scénographie intelligente.
Côté interprétation, les vieux routiers du Français, Catherine Sauval et Alain Lenglet (les Sottenville) s’en sortent bien, comme Jérôme Pouly (Georges Dandin). Il est juste dès les premières répliques et tout en nuances, à la fois balourd, comique mais aussi  profondément émouvant. C’est  un beau travail d’acteur, et le spectacle lui doit tout.
Mais les jeunes comédiens, eux sont beaucoup moins justes: Claire De La Rüe du Can  a bien à imposer  du mal à imposer une Angélique assez raide, qui reste peu crédible jusqu’à la fin, et ses camarades Pierre Hancisse (Clitandre), Noam Morgensztern (Lubin) et Pauline Méreuze (Claudine) ont tendance à cabotiner; et cette distribution inégale manque d’unité.
Donc, une mise en scène honnête mais un peu timorée, comme si Hervé Pierre, qui louche du côté de Brecht et du réalisme pictural, n’avait pas osé aller jusqu’au bout pour dire, à sa façon, cette farce d’une remarquable cruauté. On oubliera aussi les petits intermèdes  pas très bien dansés et inutiles qui cassent un rythme. déjà un peu plan-plan.
On se souvient avec nostalgie de la mise en scène  de Roger Planchon. avec Claude Brasseur…Restent les magnifiques dialogues de Molière, et qu’on entend très bien. C’est  au moins cela, et donne encore plus envie de relire cette pièce  sur  l’institution  du mariage; en termes plus crus, dira le marquis de Sade quelque cent ans plus tard, c’est « un pacte mercenaire et vil, un trafic honteux de fortunes et de noms qui, n’enchaînant que les personnes, laissent les cœurs à tout le désordre du désespoir et du dépit ». C’est déjà toute la cause des ennuis de Georges Dandin…
Donc à voir seulement si on n’est pas trop exigeant, et surtout pour Jérôme Pouly et pour le plaisir d’entendre ce texte sublime.

Philippe du Vignal

Comédie-Française Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier 75006 Paris jusqu’au 1 er janvier. T: 01 44 39 87 00/01

Focus à Théâtre ouvert

Focus à Théâtre ouvert

 

141117_rdl_0056Théâtre Ouvert, Centre National des Dramaturgies Contemporaines, vient de s’offrir une semaine intense, un “focus“ sur ce qui est sa raison d’être, un lieu de découvertes sans frontières. Nicolas Bouchaud a donné sa voix au Discours de Monsieur le député, de Massimo Sgorbani, la franco-roumaine Alexandra Badea a poursuivi le travail commencé avec Pulvérisés avec Dépressurisation / Module 1, dans la même soirée où Jean-François Auguste mettait en voix Mai XXIe sicle. L’échec est-il le propre de l’âme ? de Fernando Renjifo, lui-même inspiré par Anselm Kiefer.L’Europe de l’écriture existe, et de toutes les écritures : vidéo, chorégraphie –la danseuse Olivia Granville confinée par un texte d’Aurore Jacob Au bout du couloir à droite-, performance –parmi mon regret de n’avoir pu tout suivre, il y a d’avoir manqué celle d’Anne-James Chaton, Décade-Le Voyage à Marseille-. Le théâtre s’affirme ici évidemment “indisciplinaire“.

Deux beaux textes ont été réunis en une soirée très bien composée : Histoires naturelles de l’oubli, de Claire Fercak (1), et Des Territoires, de Baptiste Amann. Dans le premier, un roman, on suit les chemins de deux êtres juste un peu décalés, un soigneur amnésique dans un zoo et une bibliothécaire souffrant de stress post-traumatique. Les vies parallèles finissent par se rejoindre, bien sûr, en un grand saut dans l’oubli réparateur. On est heureux d’entendre ce beau texte soutenu par la musique discrète de Jean-Christophe Urbain, on peut juste regretter que Philippe Calvario n’ait pas travaillé la mise en voix avec la même rigueur poétique. La bande de Baptiste Amann a pris son texte avec une autre poigne : cette histoire de fratrie, assez banale en elle-même (il faut vendre la maison après la mort des parents), y compris dans les « thèmes » qu’elle prétend ne pas traiter -l’adoption, le racisme…- trouve une force inattendue avec la découverte, dans le jardin familial, des restes de Condorcet en personne. Les enjeux, du coup, ne sont plus les mêmes. Logiquement, cet excellent groupe de comédiens va créer la pièce en 2015, à Reims et à Marseille : à suivre, avec bonheur.

Théâtre Ouvert a ses fidèles : Stanislas Nordey, actuel directeur du Théâtre National de Strasbourg, a choisi de mettre en voix Un jour nous serons humains de David Léon. Et la dernière soirée s’est focalisée autour de Noëlle Renaude. Marie Vermillard a filmé à l’automne 2012, autour de L’Enquête et Accidents (Théâtre Ouvert, automne 2012), quelques-uns des échanges entre l’auteur femme de scène et son acteur complice Nicolas Maury. Cela donne un regard de spectatrice parfois rêveuse, peut-être même ensommeillée, avec ses ralentis et ses flous, et une déclaration d’amour à la création en train de se faire. Noëlle Renaude a trouvé une autre complicité scénique, avec Luc Carutti : L’oralité on dit mais c’est quoi l’oralité. Le texte de l’entretien, retranscrit par Nicolas Doutey, est rigoureux, fervent, sur ce que c’est qu’écrire, sur la place exacte de la fiction, sur un paquet d’illusions d’auteur à balayer. Et sur la place de l’acteur, que l’expérience vérifie. Noëlle Renaude est une femme de théâtre, d’écriture et de parole ; Luc Carutti l’imite très bien, au point, dit-elle, de l’« usurper », devenant ainsi le légitime acteur de sa parole. On ajoutera : pour notre plus grand plaisir, qui naît précisément de cette incorporation essentielle. Nicolas Doutey a eu moins de bonheur avec sa propre écriture (minimale) aux mains de Rodolphe Congé. À force de puritanisme esthétique, cette tentative dé réduire le théâtre à ce qu’il est, juste des acteurs sur le plateau, avec une seule situation, manque paradoxalement de corps. Le soupçon qui pèse sur la (re)présent(ation), c’est-à-dire sur la fiction et sur une éventuelle intention, écrase en même temps le présent et la présence. Bref, on s’ennuie terriblement, sans pouvoir se consoler en se disant que cela interroge la place du spectateur.

Voilà, on espère vous avoir donné plein de bonnes et de moins bonnes raisons d’aller suivre ce qui se passe à Théâtre Ouvert.

Christine Friedel

  1. à paraître en janvier 2015 aux éditions Verticales
  2. Théâtre Ouvert :01 42 55 74 40

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