Focus à Théâtre ouvert
Focus à Théâtre ouvert
Théâtre Ouvert, Centre National des Dramaturgies Contemporaines, vient de s’offrir une semaine intense, un “focus“ sur ce qui est sa raison d’être, un lieu de découvertes sans frontières. Nicolas Bouchaud a donné sa voix au Discours de Monsieur le député, de Massimo Sgorbani, la franco-roumaine Alexandra Badea a poursuivi le travail commencé avec Pulvérisés avec Dépressurisation / Module 1, dans la même soirée où Jean-François Auguste mettait en voix Mai XXIe sicle. L’échec est-il le propre de l’âme ? de Fernando Renjifo, lui-même inspiré par Anselm Kiefer.L’Europe de l’écriture existe, et de toutes les écritures : vidéo, chorégraphie –la danseuse Olivia Granville confinée par un texte d’Aurore Jacob Au bout du couloir à droite-, performance –parmi mon regret de n’avoir pu tout suivre, il y a d’avoir manqué celle d’Anne-James Chaton, Décade-Le Voyage à Marseille-. Le théâtre s’affirme ici évidemment “indisciplinaire“.
Deux beaux textes ont été réunis en une soirée très bien composée : Histoires naturelles de l’oubli, de Claire Fercak (1), et Des Territoires, de Baptiste Amann. Dans le premier, un roman, on suit les chemins de deux êtres juste un peu décalés, un soigneur amnésique dans un zoo et une bibliothécaire souffrant de stress post-traumatique. Les vies parallèles finissent par se rejoindre, bien sûr, en un grand saut dans l’oubli réparateur. On est heureux d’entendre ce beau texte soutenu par la musique discrète de Jean-Christophe Urbain, on peut juste regretter que Philippe Calvario n’ait pas travaillé la mise en voix avec la même rigueur poétique. La bande de Baptiste Amann a pris son texte avec une autre poigne : cette histoire de fratrie, assez banale en elle-même (il faut vendre la maison après la mort des parents), y compris dans les « thèmes » qu’elle prétend ne pas traiter -l’adoption, le racisme…- trouve une force inattendue avec la découverte, dans le jardin familial, des restes de Condorcet en personne. Les enjeux, du coup, ne sont plus les mêmes. Logiquement, cet excellent groupe de comédiens va créer la pièce en 2015, à Reims et à Marseille : à suivre, avec bonheur.
Théâtre Ouvert a ses fidèles : Stanislas Nordey, actuel directeur du Théâtre National de Strasbourg, a choisi de mettre en voix Un jour nous serons humains de David Léon. Et la dernière soirée s’est focalisée autour de Noëlle Renaude. Marie Vermillard a filmé à l’automne 2012, autour de L’Enquête et Accidents (Théâtre Ouvert, automne 2012), quelques-uns des échanges entre l’auteur femme de scène et son acteur complice Nicolas Maury. Cela donne un regard de spectatrice parfois rêveuse, peut-être même ensommeillée, avec ses ralentis et ses flous, et une déclaration d’amour à la création en train de se faire. Noëlle Renaude a trouvé une autre complicité scénique, avec Luc Carutti : L’oralité on dit mais c’est quoi l’oralité. Le texte de l’entretien, retranscrit par Nicolas Doutey, est rigoureux, fervent, sur ce que c’est qu’écrire, sur la place exacte de la fiction, sur un paquet d’illusions d’auteur à balayer. Et sur la place de l’acteur, que l’expérience vérifie. Noëlle Renaude est une femme de théâtre, d’écriture et de parole ; Luc Carutti l’imite très bien, au point, dit-elle, de l’« usurper », devenant ainsi le légitime acteur de sa parole. On ajoutera : pour notre plus grand plaisir, qui naît précisément de cette incorporation essentielle. Nicolas Doutey a eu moins de bonheur avec sa propre écriture (minimale) aux mains de Rodolphe Congé. À force de puritanisme esthétique, cette tentative dé réduire le théâtre à ce qu’il est, juste des acteurs sur le plateau, avec une seule situation, manque paradoxalement de corps. Le soupçon qui pèse sur la (re)présent(ation), c’est-à-dire sur la fiction et sur une éventuelle intention, écrase en même temps le présent et la présence. Bref, on s’ennuie terriblement, sans pouvoir se consoler en se disant que cela interroge la place du spectateur.
Voilà, on espère vous avoir donné plein de bonnes et de moins bonnes raisons d’aller suivre ce qui se passe à Théâtre Ouvert.
Christine Friedel
- à paraître en janvier 2015 aux éditions Verticales
- Théâtre Ouvert :01 42 55 74 40