Timeloss
Timeloss, texte, mise en scène et scénographie d’Amir Reza Koohestani, (en persan surtitré)
Soit deux comédiens, dans un studio d’enregistrement, assis chacun à une petite table, lui, derrière, côté jardin, elle, devant, côté cour, et lui tournant le dos.
Ils répètent le texte d’une pièce qu’ils ont jouée ensemble douze ans auparavant, et dont la captation vidéo de l’époque nécessite une nouvelle bande -son.
Sur deux écrans verticaux, séparés par un panneau noir et situés derrière chacun des acteurs, défilent des séquences de la pièce à doubler, interprétées par des acteurs plus jeunes. Un ingénieur du son lance aux doubleurs des directives en voix off.
Sur scène, entre deux prises, les comédiens répètent indéfiniment les mêmes dialogues. Ceux de la pièce d’origine se confondent avec ceux de la situation présente, sans qu’on puisque distinguer s’il agit de leur propre histoire amoureuse ou de celle des personnages qu’ils doublent.
Tout se complique encore quand les acteurs d’ici et maintenant se retrouvent sur les écrans du passé, remplaçant leur alter ego juvénile. Dans ce dispositif complexe, s’élabore un jeu de miroir vertigineux qui renvoie à un ancien spectacle, joué il y a douze ans, Dance on Glasses (qu’on a pu voir sur ce même plateau du Théâtre de la Bastille).
On nous en projette quelques extraits : on y voit deux personnages assis face à face, chacun à un bout d’une très longue table. Le thème de Dance on Glasses était une rupture amoureuse. Ici le meuble a été coupé et chacun reste devant sa petite table, isolé, mais il ne peut plus regarder son partenaire, ou même lui parler autrement que dans un langage codé, monté en boucle.
La création d’Amir Reza Koohestani nous rappelle que la littérature persane est avant tout poétique et métaphorique. L’auteur travaille ici sur la trace, le temps qui passe, les corps qui vieillissent et sur ce qu’il reste des amours mortes.
Par ricochet, il est question d’exil, de solitude, de l’impossibilité de s’exprimer. Il renvoie aussi à l’éphémère du théâtre vivant, aussi bien qu’à la persistance dans une œuvre, des œuvres antérieures…
La lecture des sur-titres et les multiples niveaux de représentation demandent une grande concentration aux spectateurs, soutenue par la présence prégnante de Mahin Sadri et Hassan Madjooni. Ils restent statiques mais font vivre intensément leurs personnages dans cette langue chantante qui est la leur.
Un exercice de style captivant.
Mireille Davidovici
Théâtre de la Bastille jusqu’au 30 novembre, 76, rue de la Roquette 75011 T. 01 43 57 42 14