Géographie de l’enfer

Géographie de l’enfer d’Alex Lorette, maquette d’Adrien Popineau

 

 IMG_3933Au  Mardis Midi du Théâtre 13/Seine, a lieu régulièrement une  présentation de textes de théâtre choisis par le comité de lecture des EAT( écrivains associés du Théâtre), sous forme de maquette. On entend par là une mise en voix de la pièce, en présence de l’auteur,  par un metteur en scène qui apporte à l’œuvre un premier éclairage, sans pour autant avoir le projet de la monter.
  Géographie de l’enfer nous entraîne aux fins fonds d’une forêt, dans une étrange famille. Franck et J.C. parlent de viande, d’abattoir, quand échoue, chez ces marginaux inquiétants, un jeune homme bcbg, en costard cravate, tout droit sorti de sa BMW accidentée.
Qui sont ces gens ? Et lui, que vient-il faire dans ce trou perdu ? La petite sœur tourne autour du nouveau venu, le renifle, l’aguiche. Lui, d’abord rétif, se laisse séduire. Et si c’était cet amour sensuel, primitif et brutal, qu’il  cherchait ?  « Ici, c’est comme un autre monde, lui dit-elle, c’est la forêt qui fait ça», .
L’étranger s’abandonne à ses instincts et, comme les autres, arrive à un point de non-retour où, comme dans L’Enfer de Dante, idée départ de la pièce, il lui faut abandonner tout espoir.
Grâce à la lecture de cette œuvre étrange au sombre symbolisme, et  à l’ univers noir proche du « gothique », on a pu découvrir un auteur belge peu connu en France et dont on aimerait savoir plus.

Mireille Davidovici

 Théâtre 13/Seine, 30 rue Chevaleret  75013, T.01 45 88 62 22. Prochain Mardi Midi : 9 décembre à 12h30 avec Les Filles aux mains jaunes de Michel Bellier, maquette de Johanna Boyé.


Archive pour novembre, 2014

Coup de théâtre

Coup de théâtre(s) de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino,  mise en scène de Sébastien Azzopardi.

 coup-theuaetres_2014-remilie-brouchon_louis-armand-0959Les Dieux demandent à Ulysse aux mille ruses, de récupérer la quenouille du temps, volée par Pantalone. Après avoir vaincu Poséidon et le Cyclope, il souhaiterait profiter d’un repos bien mérité, mais Œdipe, Achille et Hercule: aucun n’est disponible et les Dieux ne lui laissent donc pas le choix.
Même Pénélope et le Sphinx encouragent Ulysse à entreprendre un nouveau voyage;  avec l’aide d’Athéna, il part donc pour une nouvelle odyssée qui va l’emmener en Italie au cœur de la commedia dell’arte, où il rencontre Arlequin et Colombine, amoureuse de Lélio, mais promise par son père au vieux Pantalone,  âgé de 98 ans.
Puis Ulysse, à la poursuite de Pantalone, repart en compagnie d’Arlequin, brave une nouvelle tempête, puis arrive en Angleterre où les trois sorcières de Macbeth ont transformé Pantalone en Hamlet!
Il y rencontre aussi  Puck et l’âne, sortis tout droit du Songe d’une nuit d’été, et  Roméo et Juliette qui, sur son balcon, victime de la poudre d’amour jetée par Puck, tombe amoureuse d’Ulysse dès qu’elle l’aperçoit, au grand désespoir de Roméo!

L’âne est lui aussi victime de sa poudre d’amour, et se met à aimer  Arlequin. Puis  Hamlet ex-Pantalone vend la quenouille permettant  de remonter le temps à un mystérieux personnage qui s’avère être Cyrano de Bergerac…
Le célèbre héros d’Edmond Rostand, va, avec cette quenouille, trouver le grand Molière, entouré de Précieuses totalement ridicules et un peu « femmes savantes »  Et il lui demande de  réécrire son histoire pour lui permettre de vivre heureux avec sa bien-aimée Roxane.

Arlequin lui arrache la quenouille des mains mais  Molière la lui reprend pour  la redonner à Ulysse. Nous nous retrouvons alors dans une chambre de L’hôtel du libre échange, où des personnages de plus en plus déchaînés enchaînent les quiproquos, se poursuivent, se retrouvent dans des placards. Il ont tantôt un fil à la patte, tantôt la puce à l’oreille, pendant que Monsieur chasse et que Madame se promène toute nue,  comme  l’indiquent les titres de ces cinq pièces de Georges Feydeau…
Tout ce joyeux délire se termine par un french-cancan endiablé. Puis, après une nouvelle tempête, nous voici en Russie, où vivent Roxane Robinova et Cyranovitch, parents d’un petit John Malkovitch, désespérés à l’idée de devoir vendre leur Cerisaie. Nina, actrice tout droit sortie de La Mouette de Tchekhov et qui ne joue que des rôles de volatiles! ne semble pas aller beaucoup mieux…
Après l’épisode russe, deux personnages qui ressemblent fort aux  Vladimir et Estragon d’En attendant Godot sont assis près d’un arbre. Puis  la  Roxane de Cyrano est  tout d’abord prise pour la Cantatrice chauve, chère à Eugène Ionesco (le fameux titre, un peu énigmatique, provient en fait d’une erreur dûe à un saut de page par un comédien à la première lecture, disait Nicolas Bataille, son premier metteur en scène, et qui a  été gardé).  Roxane  rejoint Vladimir et Estragon, avec la quenouille qui…ne fonctionne plus et  ne permet donc plus de se déplacer dans le temps.
Il faudrait pour sortir les personnages de cette situation désespérée,  un deus ex-machina; il apparaît alors… sous les traits de Molière qui nous dit la vérité : la quenouille ne marche pas, c’est un simple accessoire de théâtre, et les personnages sont ceux d’un théâtre,  voulus par les auteurs (tels des Dieux décidant du sort des hommes ), et tout est écrit dans le texte: « Les hommes ont toujours eu besoin d’histoires (… ) pour échapper à l’ennui ». « Il faut fatalement que je meure chaque soir », soupire alors Cyrano.
Puis arrive le moment où les acteurs se trouvent face à une page blanche… Ils vont donc  pouvoir faire ce qu’ils veulent, et surtout célébrer l’amour du théâtre.Arlequin, l’amuseur universel, pourra aussi bien être Scapin que Sganarelle.  Quant au  retour d’Ulysse dans sa chère petite Ithaque, il  se fera en musique,  comme dans un musical de Broadway. « On est les plus heureux des tragédiens, car tout est bien qui finit bien » et  « Ulysse a fait un beau voyage ». chantent tous les acteurs avec joie.
  Il s’agit là d’une parodie burlesque, mais pas toujours du meilleur goût! Les auteurs auraient pu nous épargner blagues salaces, clins d’œil à l’actualité politique et jeux de mots du genre: « On ne fait pas d’Hamlet sans casser des œufs ! ».
Mais le spectacle reste drôle, joué par une équipe de bons comédiens (Benoit Cauden, Alyzée Costes, Alexandre Guilbaud, Nicolas Martinez, Laurent Maurel, Olivier Ruidavet, Salomé Talaboulma), l’intrigue est bien ficelée et chaque univers théâtral  est aussitôt reconnaissable: on implore sans cesse Zeus et Athéna, Hamlet, toujours un crâne à la main, termine ses phrases par  Telle est la question! et Vladimir et Estragon tiennent un langage abscons…

Mais mieux vaut connaître ses classiques pour apprécier ce spectacle où une quenouille  permet de traverser les temps du théâtre. Mais, sous le pastiche et la caricature, se cache un bel hommage aux dramaturges, à leurs  illustres personnages, et aux répliques mythiques  comme celles, entre autres,  de Cyrano ou du Cid : « C’est un roc ! C’est un pic… c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? … c’est une péninsule ! » . « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées La valeur n’attend point le nombre des années. »
On peut espérer que  le spectateur  aura ensuite envie  de relire, entre autres, Cyrano, ou  Hamlet

Isabelle Fauvel

Théâtre de la Gaieté Montparnasse 26 Rue de la Gaité, 75014 Paris T: 01 43 22 16 18

Yvonne, princesse de Bourgogne

Pierre Grobois

Pierre Grobois

 

Yvonne, princesse de Bourgogne, de Witold Gombrowicz, traduction de Constantin Jelenski et Geneviève Serreau, mise en scène de Jacques Vincey

 

L’imaginaire de l’écrivain et  dramaturge polonais  est théâtral, comme par nature : l’interaction des êtres entre eux est l’essence de ses pièces, ce qui privilégie une vision artistique avant-gardiste, autant que chaotique et bousculée.
  Selon Blonsky, spécialiste de  Witold Gombrowicz, si les hommes dans son œuvre ressentent, pensent et  font, ce n’est que par rapport aux autres, grâce à eux et pour eux. Tout être est forcément inclus dans un milieu. Pour Witold Gombrowicz, toute activité humaine est médiatisée par des « formes », masques et habitudes mentales, à la fois  moyens de communication et de domination.
Démonstration faite avec  Yvonne, princesse de Bourgogne,  publiée en 1938, et créée à Varsovie en 1957, où  Witold Gombrowicz  s’amuse des usages et stéréotypes sociaux, et des relations de maître à esclave.

 Le dramaturge pousse loin l’investigation de l’inconscient, en  donnant à ses pièces une  dimension fantastique et onirique, mais aussi comique et teintée  d’effroi. Parodie brillante,  Yvonne, princesse de Bourgogne contrefait la comédie de salon. Cette histoire tragi-comique  a pour thème l’introduction à la cour royale d’Yvonne, une fille sans charme rencontrée à la promenade par le prince Philippe, héritier du trône. Mais ce  héros de conte, ne fraye qu’avec la loi du désir et de la séduction, s’élève contre ces poncifs contre-nature, et décide d’aimer la laideur, en la personne d’Yvonne qu’il prend pour fiancée, aussi empotée et apathique soit-elle : «Je ne m’y soumettrai pas, je l’aimerai ! »
  Ce qui se passe alors dans la famille royale pourrait évoquer, comme à l’envers, Théorème (1968) de Pier Paolo Pasolini qui met en scène les ravages de la beauté d’un jeune homme dans une riche famille bourgeoise  à Milan. Une situation anormale  chez des gens normaux...
 Jacques Vincey évoque une normalité qui dérape progressivement dans la monstruosité à travers le déchaînement des pulsions, et s’amuse des situations farfelues à l’intérieur d’un milieu rigide et plein de préjugés, malgré le panache affiché par la famille royale…
La scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy donne à voir une sorte de salle de sports à l’intérieur même de la maison,  rappel lointain du court de tennis de  Terre étrangère  d’Arthur Schnitzler,  mise en scène de Luc Bondy en 1984.
 Et donc trente ans plus tard encore avec cette Yvonne, c’est à travers le ping-pong, l’entrainement physique, la course sur tapis roulant sous contrôle cardiaque, que le culte du corps de ces sportifs, hommes  et femmes, habillés de blanc, atteint aujourd’hui son apogée musclée. Bref, le corps est le maître adulé ici-bas qui rend l’homme asservi à lui-même.
  Derrière de grandes baies vitrées, une végétation tropicale foisonnante meuble le jardin attenant, avant que cette sauvagerie naturelle n’investisse les appartements du palais princier. La nature envahit alors l’espace, comme les désirs enfouis envahissent le corps et l’esprit. Plus rien n’est alors contrôlable : la liberté existentielle du désir fait loi.
Le Prince Philippe (Thomas Gonzalez) joue une folie inquiétante mais enjouée et fantasque, accompagné dans ses mauvais agissements par la velléité jouée de Clément Bertonneau. Marie Rémond est une Yvonne aussi timide que possible – l’exclue de rêve -, et  les autres jeunes et belle femmes sont pleines d’hypocrisie et de rouerie.
Hélène Alexandridis  joue la reine Marguerite, de manière appuyée, tel un pantin mécanique.
Alain Fromager est un roi hystérique, absolument incapable de se maîtriser,  dont le chambellan (Jacques Verzier) est aussi classe que superficiel et peu fiable.
  Une galerie de caricatures dans un palais bruyant, pris de folie ravageuse, et qui offre au public un joyeux moment absurde de farce triviale.

 Véronique Hotte

 Théâtre 71 de Malakoff, jusqu’ au 30 novembre. T : 01 55 48 91 00

 

 

L’Avare

L’Avare : un portrait de famille en ce début de troisième millénaire de Peter Licht, d’après Molière, mise en scène de Catherine Umbdenstock

images   Selon la note d’intention, par ailleurs passionnante et juste  sur  le  monde contemporain, cet Avare, inspiré de Molière,  est ici une revue avec dialogues,  musique et chansons, où, de numéro en numéro, chacun des enfants d’Harpagon  vient parler de  lui : « C’est, dit Peter Litcht, le règne de l’individualisme, de la cupidité… l’amour est réduit à l’état d’anecdote, et… l’argent – à la fois son manque et ses promesses de bien-être – est l’unique constante fédératrice et garante de l’accomplissement de soi. »
   L’auteur allemand Peter Licht, a construit sa pièce comme une variation sur L’Avare, en soulignant d’abord l’intérêt exorbitant accordé à l’argent et à la jeunesse, comme si l’existence ne se réduisait qu’à ce printemps de l’âge où s’élaborent les projets, les envies et programmes aléatoires. Et il condamne ici ce moteur contemporain du désir :  les vieux possèdent l’argent que les jeunes veulent insolemment récupérer. Nulle révolte à l’horizon, nulle pensée économique alternative,mais un désir juvénile d’une consommation et de jouissance immédiates…
 Cléante, le fils de famille, avoue : « Moi, j’hallucine… j’ai les nerfs, le type, il me laisse pas toucher à mon fric… Je peux toujours crever… Pour du demi-luxe, je vais pas m’arracher la tronche…Lui, l’autre qui s’étale dessus mais à fond. Sur mon héritage. Pas encore si mort que ça le vieux. Coriace, celui-là, il ramasse toujours plus pour lui. Et le meilleur, il veut même goûter à la chair fraîche maintenant, à MA chair fraîche…et cette chair fraîche, moi, j’en ai besoin pour mon plan de vie. »
  Le frigo, dans l’appartement, est vu comme un temple laïque de survie, quand arrive l’heure du réchauffement climatique et donc des interrogations écologiques  sur  l’envahissement des déchets, avec un ordre à recomposer de l’intérieur , alors que règne la confusion des sentiments amoureux et le chaos des foyers.
Cléante chante ainsi son amour  à sa belle :  « Marianne viens-tu avec moi/ ou restes-tu ici/ ou restes-tu chez toi ? » Et Frosine (Nathalie Bourg), anorexique réduite à manger un yaourt nature, fait la leçon aux jeunes dont elle est responsable,  sur  la tenue du ménage.

  L’inventaire scénique des situations que tous ces jeunes gens mettent en place ,compose un désordre bien vivant, mais, après une introduction en matière prometteuse, déçoit l’attente du public qui n’y trouve pas son compte: répétitions des messages et  dramaturgie qui fait du sur-place. On a seulement droit à l’illustration d’un état catastrophique du monde, façon Plus belle la vie revisitée!
  Les comédiens, certes talentueux, ne sont  pas dirigés, et chacun, comme une métaphore de l’individualisme dénoncée dans la pièce, joue sa  partition, au détriment d’un travail choral qui arrive parfois, le temps d’une chanson…
  Cléante (Lucas Partensky) a du cœur à l’ouvrage : il clame  sa colère, jetant ses mots de haine et d’écœurement en un joli concert de slam et de joutes oratoires auxquelles on adhère sans mal. Fléchette (Clément Clavel) est un fieffé bandit, un filou attachant qui voudrait bien s’attacher la belle Marianne (Charlotte Krenz), à la fois ingénue et perfide. Vali (Chloé Catrin) ajoute une note comique bien personnelle. Elise (Claire Rappin) joue, sans nuances et de son côté, une ado caricaturale de banlieue à capuche.
  Des talents sans doute en germe mais la  mise en scène ne décolle pas, par manque de direction d’acteurs, de rythme  et  de  progression dramatique,  et sans rêves… comme ces jeunes gens mélancoliques.

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Commune Aubervilliers, jusqu’au 7 décembre.T: 01 48 33 16 16

 

 

Vertep de Noël

Vertep de Noël par le Vagrant Booth Theatre de Moscou

IMG_5645Si vous passez par Moscou… voilà une escale à ne pas manquer: ce  théâtre de marionnettes présente, pour la période hivernale, une pièce de trente minutes racontant la nativité de Jésus.
Cette forme, très populaire en Russie, en Ukraine et en Pologne, existe depuis le XVIIIème siècle. Un petit castelet dominé par une étoile allumée en permanence, à deux niveaux de jeu, accueille les personnages principaux: Jésus, un ange, le roi Hérode, un berger, Marie et le Diable, (un ajout de la croyance populaire).
Le spectacle est uniquement éclairé aux chandelles. Serviteur assigné à cette tâche, une marionnette de 15 cm de haut, glissant sur  un rail du plancher du castelet, vient allumer  huit bougies.
Représentation qui se révèle d’une grande poésie, et à la délicatesse de manipulation remarquable. La fable est connue… Elena Slonimskaya accompagne le récit avec des chansons sur une musique jouée sur une sorte de cithare du XIIIème siècle. Son conjoint, Alexander Gref, l’accompagne dans la manipulation des marionnettes.
Ces deux anciens chimistes ont d’autres spectacles à leur répertoire, en particulier le théâtre de Petrushka… qui est lui, beaucoup moins politiquement correct. Le Vagrant Booth Theatre, avec ce castelet, démontable pour l’itinérance, leur appartient. C’est une petite structure proche de l’esprit du théâtre Ten, (voir Le Théâtre du Blog).

Jean Couturier

 Spectacle présenté à la Nef de Pantin le 23 novembre.
http://www.booth.ru/ »www.booth.ru

http://www.la-nef.org/ »www.la-nef.org

En quoi faisons-nous compagnie

En quoi faisons-nous compagnie avec le menhir dans les landes, texte et mise en scène Marielle Pinsard

  5a80427c2ad416024379b8fc4a79fb40Un titre intrigant pour un spectacle tout en images et plein de fantaisie, où il est globalement question de la relation étroite de l’homme avec sa part animale. Mais aussi des rapports Europe/Afrique: pour construire son spectacle, Marielle Pinsard est allée au Bénin, au Burkina Faso, au Mozambique et en Afrique du Sud, y  a rencontré des artistes et en a rapporté des légendes et des récits qu’elle entrelace avec ceux de sa Suisse natale. En prologue et à l’avant-scène, Belle, celle du conte populaire, blonde dans sa jolie robe rose de princesse, fait le récit farfelu et dans une langue désarticulée, accompagnée de borborygmes, de sa rencontre avec la Bête. « L’enchanteresse, elle a tourné le prince entre un bétail…»(sic) explique l’actrice qui, au terme d’un monologue virtuose, se glisse subrepticement hors de son vêtement, et rampe gracieusement, nue comme un ver. Au deuxième tableau, très réussi, Adam donne naissance à Eve, et les voilà, jouant au golf avec la pomme de Guillaume Tell ! Plus tard, les acteurs vont, déambulant, avec un sac à dos pour tout vêtement puis tombent sans pouvoir se relever, comme des tortues sur le dos…
Artistes européens et africains mêlent leurs folklore, masque et pagnes, Lederhose et Mickey, vaudou et culturisme…: en quatorze tableaux, où chacun apporte son regard sur l’homme et la bête. Numéros musicaux alternent avec parodies osées, danses et jeux de masques parfaitement réussis: la metteuse en scène  propose une soirée très ludique et elle a eu une attention particulière pour les nombreux costumes qui sont autant de mues (et de dépouilles) sur les corps des comédiens.
Malheureusement, le spectacle souffre d’une structure composite : les scènes les plus inventives et les plus folles, les morceaux de bravoure les plus aboutis alternent avec des moments convenus, qui cassent une belle dynamique. Mais il faut aller découvrir le travail original de Marielle Pinsard qui, après une belle percée en Suisse, a fondé sa compagnie en 2000. Elle se penche sur la thématique de l’homme et la bête, avec un premier spectacle, Assis et carnivore, en 2010, et son prochain projet On va tout dallasser Pamela!  coproduit par le Tarmac et se donnera en Côte d’Ivoire, en France et en Suisse.

 Mireille Davidovici

 Le Tarmac 159, avenue Gambetta T: 01 43 64 80 80 jusqu’au 5 décembre.

 

 

la danse du diable

La Danse du diable, histoire comique et fantastique, écrite, mise en scène et jouée par Philippe Caubère, après avoir été improvisée sous la direction de Jean-Pierre Tailhade et Clémence Massart

bras claudine.JPG-9bd91e7bC’était au festival d’Avignon dans cette belle salle de bourse d’autrefois, dite de la Condition des Soies aux beaux murs de pierre, il y a déjà trente-trois ans déjà, et il nous en souvient d’en avoir parlé avec ferveur au micro de France-Culture. Le jeune Philippe Caubère, était en rupture de ban douloureuse d’avec le Théâtre du Soleil et d’Ariane Mnouchkine, sa  directrice qui, dit-on, n’a jamais vu un seul de ses spectacles, et où il passa sept ans.
Il en fut l’un des principaux et meilleurs acteurs (il joua notamment Molière dans le film éponyme, puis Don Juan et, après un détour comme comédien chez le metteur en scène Otomar Krejca, se lançait seul, (mais c’était tout à son honneur) avec l’angoisse au ventre dans cette Danse du diable. Le public regardait absolument fasciné  ce jeune comédien inconnu se lancer avec fougue et sincérité dans cette aventure.
A l’époque, il ne savait pas, et, nous non plus, qu’il allait servir de modèle à de nombreux acteurs et actrices qui, à leur tour, ont adopté le monologue comme moyen d’expression, non pas pour jouer une série de sketches mais pour raconter une saga personnelle où le Théâtre, la scène et ses interprètes, est, à la fois, le moteur et la cible privilégiés.
Depuis Philippe Caubère n’a cessé d’enchaîner avec succès des spectacles dont il reste l’auteur/metteur en scène et l’unique interprète, avec des personnages fétiches: Ferdinand Faure, son double, jeune homme rêvant de gloire scénique, mais aussi sa mère aussi chérie que redoutée, sa sœur Isabelle, elle aussi comédienne au visage merveilleux, disparue il y a quatre ans, le général de Gaulle, Johny, madame Colomer, sa prof de cours de théâtre et ses copains  marseillais, etc…
I
l entreprit ensuite Le Roman d’un acteur, une sorte de saga de onze spectacles de trois heures chacun, où il raconte la vie du jeune Ferdinand Faure (Caubère)  depuis  la fabuleuse histoire du Théâtre du Soleil jusqu’à sa décision d’écrire et de  créer lui-même ses spectacles. Avec une passion évidente pour la gestualité genre commedia dell’arte contemporaine, dès qu’il s’agit d’imiter et/ou de recréer un personnage .
  Il a publié aussi  chez Denoël Les carnets d’un jeune homme 76/81 et  mis en scène et joué  un Aragon en 1996 ;  et Urgent crier !  (2004) de son ami et poète et metteur en scène André Benedetto qui fut à l’origine du théâtre off en 1968. En 2000, Philippe Caubère avait déjà repris cette Danse du diable, à partir des impros initiales, avec, L’Homme qui danse,  huit spectacles autobiographiques de trois heures chacun.
  L’homme exaspère souvent, n’a pas que des amis mais ne laisse personne indifférent; il a en tout cas acquis au fil des années un capital/public impressionnant toutes générations confondues, même si ses spectacles comme le dernier que nous avions vu au Théâtre du Rond-Point, sont trop longs, et affligés d’une mise en scène le plus souvent approximative.
Bref, sept ans après, il était intéressant d’aller faire un état des lieux, à l’occasion de cette reprise de cette Danse du diable, par ce diable d’homme, toujours aussi jeune à 65 ans, à la mémoire fabuleuse, capable de jouer plus de trois heures durant, même si le corps est un peu moins agile…
Et cela donne quoi? La salle comble a une connivence évidente avec cet homme, seul, sur le plateau nu, sans micro HF bien sûr, sans musique, sauf à la fin, sans accessoires qu’une table et un petit banc, sans véritable costume, qui s’avance crânement dans le pinceau d’un projecteur à la rencontre de SON public, venu pour voir cette bête de scène passer d’une histoire à l’autre, l’air de ne pas y toucher, avec un remarquable sens de l’espace.   Que vient voir le public? Sans doute la performance d’un acteur à laquelle on ne peut être indifférent. Et là on dit chapeau, l’artiste!
Cela dit, les réactions dans la salle sont des plus curieuses: on voit les inconditionnels de Philippe Caubère, en général gens qui l’ont vu autrefois, savourer ici la chose avec nostalgie, comme une lampée de vieil Armagnac, et rient souvent de bon cœur; les plus jeunes (il y avait nombre de lycéens et d’élèves de cours de théâtre qui ne l’avaient évidemment jamais pu le voir) riaient aussi comme en rafale.
Et puis il y a ceux qui, comme nous, restaient  absolument fermés à ces redondances, et à ce qu’il faut bien appeler un rare cabotinage d’un acteur qui se permet tout et n’importe quoi sur scène, y compris les blagues pipi-caca, avec une rare prétention. Et ce n’est une question de génération: il y avait près de nous un jeune couple d’une trentaine d’années à peine qui restait  impassible et ne riait pas du tout.
D’autant que ce monologue/performance dure plus de trois heures! C’est interminable et souvent pénible, d’autant que, pendant toute la première partie, l’acteur, on ne sait pourquoi, a une diction des plus moyennes et boule son texte, donc désolé de dire les choses mais on l’entend  mal. Comme, de plus, les petites histoires caubériennes ont quand même bien vieilli (comme ces imitations de de Gaulle!), elles ne nous concernent plus beaucoup !
La salle après l’entracte, était moins pleine, des spectateurs qui avaient mal calculé leur degré de résistance à cette logorrhée s’étaient enfuis… Mais la dernière heure, non exempte des pires facilités et de longueurs, est quand même nettement meilleure. Philippe Caubère, quand il raconte son adolescence marseillaise, ses cours de théâtre, etc…  est plus convaincant.  Du coup, les choses sonnent mieux, et on se prête même à sourire.
Mais ce qui demeure le plus gênant dans ce spectacle: on a l’impression que Philippe Caubère, au mépris d’une dramaturgie qui serait intelligemment élaborée, ce qui est loin d’être le cas ici, pourrait  nous servir  un heure de plus d’un texte qui ne tient, (et encore!) que par sa seule présence.
Non désolé, quelles que soient par ailleurs les indéniables qualités de l’acteur, cette Danse du diable est loin d’être un bon spectacle, et c’est d’autant plus dommage que, s’il avait fait appel à un metteur en scène qui aurait imposé d’urgence des coupes indispensables et l’aurait dirigé, ce monologue y aurait sans aucun doute, beaucoup gagné.
Reste une performance d’acteur/vedette qui doit chaque soir remettre le couvert (et visiblement il aime cela!) et dont on vend à la sortie les CD, DVD, affiches… Cela suffit-il à passer une bonne soirée de théâtre? La réponse est non. Maintenant à vous de décider…


Philippe du Vignal

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, du 7 novembre au 7 décembre. Relâche les lundis et jeudis. Attention: à 19 h le mardi, et à 20 h mercredi, vendredi, samedi, et à 16 h le dimanche. T: 01 53 05 05 19 19. www.athenee-theatre.com

novecento

Novecento d’Alessandro Baricco, traduction de Françoise Brun, adaptation de Gérald Sibleyras, André Dussollier et Stéphane de Groodt, mise en scène d’André Dussollier

 novecento-bonlieu-21-2« Le premier à voir l’Amérique, sur chaque bateau, il y en a eu un ! »,  lance au public, au début du spectacle, le trompettiste et narrateur de ce récit maritime et théâtral. Mais celui qui a embarqué à bord du Virginia , reste unique en son genre ! Abandonné tout bébé par ses parents pauvres sur ce transatlantique, il deviendra « le plus grand pianiste du monde », sans avoir jamais mis pied à terre ! Il aura eu comme rêve et souhait les plus chers, de voir la mer!
André Dussollier souhaitait ardemment depuis douze ans, interpréter ce monologue d’Alessandro Baricco, auteur dramatique italien et musicologue contemporain: « A sa parution, j’avais demandé à Jean-Michel Ribes de me mettre en scène ». Vœu réalisé et avec panache : c’est aujourd’hui, André Dussollier qui met en scène et joue, accueilli par Jean-Michel Ribes au Théâtre du Rond-point.   

Pendant une heure trente, accompagné, de temps à autre, par le Jazz band club du Virginia,  André Dussollier, le trompettiste et narrateur, nous raconte l’histoire de Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento, rencontré sur ce transatlantique, et devenu son meilleur ami.
Quelle performance d’acteur ! André Dussollier ne cesse de swinguer avec les mots, au rythme du bateau, ou quand il est sur le quai, assis sur une caisse de marchandises prête à être livrée, abandonnée ou à exploser ! Mais jamais, (et c’était le risque), cette adaptation ne dérape, et ne devient une comédie musicale. Jamais illustratrice, la musique existe ici à part entière, et prolonge l’émotion poétique des mots proférés par le comédien.
Novecento était à l’origine une sorte de nouvelle, sous forme de monologue, publiée en 1994 en Italie.  Alessandro Baricco, l’avait destiné à un acteur, Eugenio Allegri, et à un metteur en scène, Gabriele Vaci qui en firent un spectacle au succès retentissant dans leur pays.
L’œuvre avait eu aussi comme interprète, Jean-François Balmer, en 2000, au Théâtre Pépinière-Opéra, dans une mise en scène de Frank Cassenti, et Il y a avait eu aussi une adaptation française au cinéma par Frank Cassenti, avec pour la musique, le groupe d’Archie Shepp, et trois autres grands musiciens de jazz.
Il y a du jazz mais sans piano « pour faire jaillir l’âme du plus grand pianiste de l’océan, et c’est le texte qui joue les solos », disait alors Jean-François Balmer. Mais ici, c’est à la fois avec fougue, sérénité mélancolique et nostalgie, que le conteur et trompettiste André Dussollier, s’empare de Novecento. Avec finesse, il réussit à mettre en mouvement la matérialité du texte, et en laisse ainsi exploser toute la théâtralité, et l’étrange enfouis au cœur même de l’écriture
.
  Le texte oscille entre le conte, genre littéraire qui appartient à l’oralité, et le monologue dramatique. Comme le précise André Dussollier «C’est une aventure très théâtrale, puisqu’un dialogue s’établit directement avec le spectateur, lors d’un long périple ponctué d’étapes inattendues».
Nous sommes à l’écoute d’une parole et nombre d’événements et de coups de théâtre ne cessent de  retenir notre attention. Ainsi, la découverte d’un bébé, futur héros du récit, né sur le bateau et laissé par ses parents dans une caisse posée sur le piano des premières classes, avec l’espoir qu’il soit adopté par des gens aisés…
Il ne le sera point, ou plutôt si… par la Musique, et deviendra un pianiste génial. Autre moment fort, celui d’une valse qu’il joue, pendant une terrible tempête lors de la traversée de l’atlantique. « Et c’est là, au fond de la cale que notre amitié est née », on entend quelques notes de piano d’Eric Satie, pour illuminer la naissance de cette amitié joyeuse, déchirante et éternelle à la fois, entre Novecento et le trompettiste, interprété ici par le jeune pianiste Elio Di Tanna, de formation classique.
Ou bien encore la disparition subite de Novecento… sans oublier le duel, et enfin, l’arrivée à New York ! Novecento aura ainsi passé trente-deux ans en mer, «Dans trois jours à New York, je débarque (…) je débarque, je dois voir la mer »…. On ne vous dévoilera pas la suite mais le public reste sous le charme de cette histoire incroyable, ébloui par la qualité de l’interprétation d’André Dussollier, et de l’orchestre, tous excellents.

   Novecento s’adresse aux adolescents comme aux adultes. Cette histoire étrange et prodigieuse, ouvre différents champs de lecture, et s’apparente au conte fantastique et philosophique, dont le personnage nous invite à voir et à entendre la musique du monde tel qu’il le perçoit. Pour André Dussollier, «Novecento incarne, aujourd’hui plus que jamais, le rêve d’une certaine liberté, d’une certaine fantaisie, il raconte qu’il est possible de vivre dans ce monde en échappant à la forme établie ».
Ce récit merveilleux, publié en 94 en Italie, évoque l’enfance et la capacité de l’artiste à imposer librement, mais  non sans risque, une vision souvent prémonitoire du monde et de l’existence. L’imaginaire, la poésie, la beauté sont de la fête; la musique qui en est le personnage principal,
possède cette capacité de transfigurer le monde et de faire surgir la beauté et l’extase…
Dommage, André Dussolier a modifié le début de histoire, et y ajouté une note grand-guignolesque, lors de l’accueil à bord des passagers par le capitaine Smith. Et la scénographie est bien convenue: un praticable en guise d’escalier ou de passerelle trône au milieu du plateau, et des projections en fond de scène, montrent le pont du bateau au coucher du soleil, avec parfois, la silhouette derrière le rideau, du trompettiste ou de l’orchestre de jazz…  Cela amoindrit une dimension existentielle très subtile, présente dans le texte, où gravité et conscience habitent l’âme et le cœur de Novecento et de son ami le trompettiste.
  Cela dit, bon vent à bord du Virginia ! Et même si Novecento vous laisse un peu mélancolique, ou très joyeux, c’est selon, vous saurez pourquoi la Terre est « un bateau trop grand (…) un trop long voyage, une femme trop belle . Un parfum trop fort ».
Une musique que le personnage « ne sait pas jouer » ! Et c’est tant mieux !  

 Elisabeth Naud

Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 6 décembre, à 18h30, puis du 11 décembre  jusqu’au 10 janvier,  à 21h.

Novocento:un monologue, monologue pour le théâtre, traduit de l’italien et post-facé par Françoise Brun, Gallimard, Folio Bilingue no 141.

 
 
 
 
 
 
 

Neige noire

Neige noire , variations sur la vie de Billie Holiday, texte et mise en scène de Christine Pouquet

neige-noire-variations-sur-la-vie-de-billie-holiday-3  Avec pudeur, trop de pudeur, Christine Pouquet raconte l’histoire de Billie Holiday, l’une des plus grandes chanteuses du vingtième siècle, toutes couleurs de peau et tous styles de musique confondus,dont les  parents n’étaient même pas majeurs! Elle fut expédiée à New York pour y rejoindre sa mère et y voir son père, guitariste de jazz : Eleonora Fagan refusera de porter le nom de sa grand-mère, descendante d’esclave, et choisit celui de son père musicien, et son propre surnom de garçon manqué: Billie Holiday.
Drogue, alcool, prostitution, prison : le texte passe là-dessus avec une discrétion écrasante. Billie doit-elle rester toute sa vie l’enfant qui demande si c’est l’heure du goûter ? On y gagne une gentille victime, mais on y perd une femme qui, sans cesse tombe, et se relève, avec un courage et un talent incroyables, jamais désespérée, parce qu’il lui reste toujours la musique.
Les deux interprètes de ce spectacle, un peu théâtre-récit, un peu comédie musicale, sont entraînés aussi bien au chant qu’à la danse et à la comédie, mais laissés sans véritable direction. Philippe Gouin, qui jouait ce soir-là le rôle de tous les hommes entourant Eleonora-Billie, y compris celui du narrateur, en fait trop,  et va chercher les rires aux dépens de son propre talent, qui est grand.
Peut-être pour contrebalancer la sobriété tranquille de sa partenaire, Samantha Lavital? La chanteuse apporte sur scène la plénitude de sa voix, et sa beauté innocente. Avec ça, et dans les codes du cabaret, pas besoin de beaucoup jouer, il suffit de donner quelques signes qui pourront caractériser les personnages qu’elle endosse, à côté de Billie, la mère ou la grand-mère.
Mieux vaut oublier une scénographie vieillotte et encombrante (des murs de valises, parfois à surprise, qui s’écartent peu à peu), des costumes peu précis (surtout ceux de l’homme « multi-rôles ») et se laisser emmener par la musique. Aux premières représentations, malgré des duos encore un peu flottants, les airs de cet opéra éclaté qu’est le jazz, étaient déjà bien calés sur de bons enregistrements. Et cela reste agréable.
Avec la complicité de sa metteuse en scène, Samantha Lavital, fraîche et belle chanteuse de gospel, refuse décidément de laisser grandir sa Billie Holiday. La « note bleue » pourrait arriver, un instant, de très loin, depuis les non-dits sur sa chute. Mais non, le fantôme de la grande Billie est repoussé par ce spectacle trop candide.

 Christine Friedel

 Théâtre de la Tempête,  jusqu’au 14 décembre. T: 01 43 28 36 36,

Untitled-I will be there when you die

Untitled - I will be there when you die, chorégraphie d’Alessandro Sciarroni

 

117263-img_0132Quatre jongleurs investissent le plateau nu et blanc, munis de leurs massues. Rompant le silence qui s’est installé un certain temps, l’un commence à en lancer une en l’air,  la rattrape dans un bruit mat,  puis la relance, et la rattrape, indéfiniment ;  puis le deuxième en fait autant,  à un rythme différent,  engendrant une autre note.
Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’ils jonglent, non pas à l’unisson mais chacun dans son coin, selon son style et sur son propre tempo. Puis ils s’empareront successivement de deux, puis trois, puis quatre massues, exécutant des  figures de plus en plus complexes, qu’ils font durer jusqu’à l’épuisement, en lâchant parfois une, puis la ramassant et recommençant.
L’ensemble de leurs gestes, les rotations de leurs instruments composent une symphonie visuelle et sonore, soutenue par la musique répétitive de Pablo Esbert Lilienfeld, présent à la console. Le rythme s’accélère jusqu’au crescendo, jusqu’au bout de leurs forces…
Dans la deuxième partie, les artistes, moins tendus, quittent leur pré carré pour échanger des passes ludiques ; plus souples, plus mobiles  ils projettent leurs ombres dansantes et colorées en fond de scène. Le chorégraphe italien, basé principalement au Teatro Stabile d’Ancone, s’intéresse surtout aux arts performatifs au sens large. On découvre son travail cette année, au Festival d’Automne, à Paris, où il présente trois spectacles autour de pratiques telles que la danse folklorique, le sport, et ici la jonglerie.
La tension entretenue d’un bout à l’autre du spectacle, la concentration des artistes qui défient les lois de la pesanteur, se transmettent à la salle. Hypnotisé par les circonvolutions incessantes des corps et des  massues, fasciné par l’équilibre précaire toujours prêt à se rompre, captivé par un univers sonore poly-rythmique, le public porte un regard nouveau sur cet art, mené ici à sa quintessence, grâce à une sobre réalisation scénique, et à la virtuosité des interprètes.
Un moment rare.

 Mireille Davidovici

Le Monfort 106, rue Brancion,75015 Paris jusqu’au 22 novembre;   puis au  Cent Quatre 104 rue d’Aubervilliers 75019 Paris,  du 26 jusqu’au 29 novembre; et au Centre culturel Jean-Houdremont 11, avenue du Général-Leclerc, 93120 La Courneuve.

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