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Là-bas, c’est dehors de Richard Peduzzi

9782330027056Richard Peduzzi, 70 ans, est avant tout scénographe de théâtre, d’opéra et de cinéma; il a signé la plupart des décors de Patrice Chéreau rencontré un soir d’hiver  au théâtre municipal de Sartrouville, pas loin de la maison de Céline, et juste au-dessus d’un marché couvert (bonjour le bruit des machines-balayeuses, le dimanche après-midi!) Cela ne nous avait pas empêché d’y découvrir les spectacles du jeune metteur en scène et Les Petits Bourgeois de Maxime Gorki, réalisé.. par Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil… C’était en 1967,  Chéreau jeune metteur en scène, auréolé du succès des Soldats de Lenz avait 22 ans  et s’était vu confier la direction de ce petit théâtre de la banlieue parisienne.
Commencement d’une amitié indéfectible entre ces deux jeunes gens du même âge, déjà initiés aux arts plastiques par leur père: celui de Patrice était peintre et dessinateur de tissus, et celui de Richard lui parlait souvent de peinture, sculpture et architecture, des artistes baroques aux surréalistes. Vous avez dit hasard?
Mais Richard Peduzzi est aussi peintre, sa vocation première, et designer; il a aussi remarquablement dirigé l’Ecole nationale des art décoratifs de 1990 à 2002, puis la Villa Médicis pendant six ans. Il a encore trouvé le temps dans cette vie bien remplie, de travailler à la scénographie de multiples expositions, de créer des meubles comme son très beau et fameux banc en bois tropical en lamellé collé qu’on voit dans de nombreux musées et à l’architecture des façades et du cuvier de Mouton Rotschild…
Ce livre commence par un étonnant parcours, celui d’un gamin  dont le père et la mère s’étaient séparés après sa naissance, et qu’il n’a connus qu’à cinq ans. Cette mère qui avait été injustement mise en prison  où il allait la  voir  et qui lui a dit un jour une phrase reprise dans le titre: « Là-bas, c’est dehors ». Richard Peduzzi vivait, dans une ville de Normandie chez ses grands-parents paternels  et   au Havre, qui avait été bombardé et était  presque entièrement en ruine,chez ses grands-parents maternels qui tenaient un  café-restaurant ouvert jour et nuit,  lieu privilégié d’observation  pour des créateurs de théâtre comme avant lui, Pina Bausch et Roger Planchon..
Richard Peduzzi raconte- et formidablement bien- les souvenirs de son enfance, sa rencontre avec son père, ancien résistant qui vivait à Paris ; la dernière rencontre avec sa mère avant qu’elle ne se remarie.  Le petit Richard trop difficile à élever pour des gens déjà âgés, fut mis en pension mais à quinze ans, s’enfuit habiter chez sa tante à Paris;  elle lui fera visiter le Louvre, le musée des Arts et métiers, de la Marine, et il est facile de voir l’influence que ces découvertes eurent sur ses scénographies.
Elle l’emmena aussi au théâtre de l’Odéon. Richard Peduzzi raconte (et c’est fascinant) ce Paris d’autrefois, si proche encore et si lointain, celui du Saint-Germain-des-Prés, où il croise le grand pianiste de jazz Bud Powell et Charlie Parker qui habitaient le fameux hôtel Louisiane fondé il y a deux siècles, et bien connu de tous les artistes et écrivains, en particulier américains,  dont John Coltrane, Archie Shepp, Ernest Hemingway, Henri Miller, Salvador Dali…
Après des bouts de scolarité en pension, ces années de liberté à Paris furent donc, on le devine, fondatrices dans la formation de Richard Peduzzi; il en arrive à s’inscrire à l’atelier du sculpteur Charles Aufret qui l’influença beaucoup.  On n’a jamais sans doute assez dit combien les volumes étaient en effet importants dans ses scénographies et bien entendu aussi dans ses travaux de design. Avec des murs impressionnants comme dans Massacres à Paris de Marlowe, La Tour d’écrou de Benjamin Britten, L’Or du Rhin, Le Conte d’hiver, Peer Gynt
Il dit dans un très beau texte: « J’ai choisi les décors de théâtre comme moyen de peindre, de mêler la peinture et l’architecture, ou plutôt de construire ma peinture ».(…) J’aime les grandes villes, marcher dans les rues, découvrir les architectures, regarder les gens; me souvenir de détails, rassembler des images en recomposant des morceaux pris çà et là, et fixer tout cela en faisant une peinture ou un décor ».
Il y a aussi dans ce livre quelques pages sur l’Ecole des Arts Déco que Richard Peduzzi dirigea pendant douze ans, réformant notamment la section Scénographie dirigée par le remarquable Guy-Claude François, disparu il y a deux ans, et qui a conçu, on le sait, la majorité des décors du Théâtre du Soleil. On aurait aimé que Richard Peduzzi s’étende davantage sur cette expérience pédagogique aussi discrète qu’exceptionnelle. Mais curieusement là-dessus, il n’est guère bavard, et c’est dommage, alors qu’il y avait visiblement retrouvé l’école qu’adolescent, il  aurait sûrement bien aimé connaître…
On retiendra aussi les pages où Richard Peduzzi parle de ses créations de mobilier, en particulier à la bibliothèque de l’Opéra de Paris. Et ce gros livre comporte, véritable plaisir pour l’œil, une importante iconographie: à la fois dessins, esquisses, photos, tous  très bien mis en page.

Philippe du Vignal

Editions Acte-Sud 304 pages, 250 iconographies, 42€

 Théâtre de la Foire, ou l’Opéra comique – Lesage, Fuzelier et d’Orneval, choix de pièces des années 1720 et 1721, édition de Dominique Lurcel

1540-1Connaissez-vous Arlequin, Roi des Ogres ou les Bottes de sept lieues, une  pièce en un acte de Lesage, Fuzelier et d’Orneval, représentée par la troupe du Sieur Francisque à la Foire de Saint-Germain en 1720? Avec Arlequin et à ses côtés Pierrot, le cuisinier, mais aussi, deux marmitons, une circassienne, Scaramouche, plusieurs grivois, une troupe d’ogres et d’ogresses, des danseurs et des danseuses de l’Opéra de Paris et un chat sauvage…
Connaissez-vous La Forêt de Dodone ? Un autre acte de Lesage et d’Orneval, représentée aussi par la troupe du Sieur Francisque à la Foire de Saint-Germain en1721? Avec comme personnages, deux vieux chênes qui parlent et dansent avec  un jeune chêne mâle, puis avec  un jeune chêne femelle; il y a aussi Arlequin, un grand chêne, autour de Colin et Colinette, les nouveaux mariés, sans oublier Scaramouche. Mais rien ne va plus pour les chênes de la mythique forêt de Dodone, vexés de l’abandon auquel les condamne la société car leurs oracles ne font plus recette! On leur préfère les bois discrets de Boulogne ou de Vincennes. Surviennent Arlequin et Scaramouche. Tant mieux pour les feuillus.
Connaissez-vous La Tête-Noire ? Encore un acte de Lesage, Fuzelier et d’Orneval, représentée aux mêmes endroit et année. Ecrite à l’occasion d’un faux bruit qui courut à Paris, qu’il y avait dans certaine communauté une jeune demoiselle au visage ressemblant à une tête de mort. On offrait, disait-on, une somme considérable au premier garçon qui l’épouserait… Mais encore une fois, et par chance, Arlequin n’est pas loin.
Dans cette production foraine, c’est la cohérence historique et chronologique qui s’est imposée à Dominique Lurcel, le responsable de l’édition. Les pièces qu’il a réunies sont des années 1720 et 1721, époque charnière dans l’histoire de la Foire. Choix qui fut aussi celui de Jean-Louis Barrault  quand, en 1986, il créa Théâtre de Foire, le spectacle du quarantième anniversaire de sa compagnie, et le dernier qu’il devait mettre en scène. C’est aussi pour l’éditeur, l’occasion de rendre hommage à l’entrepreneur forain qu’était le Baptiste des Enfants du Paradis.
  Une bonne centaine d’années, c’est le temps du Théâtre de la Foire, depuis la fin du XVIIème siècle, avec d’abord, la Comédie-Française à peine née puis, avec l’Académie Royale de Musique (l’actuel Opéra),  jusqu’à la Révolution française qui, avec la fin des privilèges, autorisera enfin la multiplication des petits théâtres.  Avec  une centaine de pièces écrites  dans l’effervescence littéraire de l’époque par  Lesage, Fuzelier, d’Orneval, Piron, Pannard et Carolet…
  Les entrepreneurs forains, face aux interdictions et aux menaces dont ils font l’objet, doivent inventer toujours des formes nouvelles. Ainsi, dès 1714, l’appellation « opéra-comique » désigne les théâtres qui, interdits de paroles par de multiples procès, obtiennent de sous-louer à l’Opéra son privilège et ont recours dès lors à la chanson et à la musique. Quant aux Foires de Paris, elles  sont bien plus anciennes : celle de Saint-Germain mentionnée pour la première fois en 1176, et celle de Saint-Laurent en 1344… À l’origine, les repères forains, étaient de vastes enclos loués à des religieux, puis devinrent des rues alignées de loges et de boutiques dans un ordre architectural auquel une foule de spectateurs vient ajouter sa couleur: bourgeois, gens de qualité, voleurs et prostituées. Les premiers se rendent sur les lieux le soir, « aux chandelles »  et les seconds s’y pressent le jour.
  Très tôt, sont arrivés  bateleurs, maîtres de tours de passe-passe, montreurs d’animaux, marchands d’illusions, échassiers…. Puis, les loges commerciales sont attribuées peu à peu à des funambules, sauteurs et marionnettistes. Ces loges en bois deviennent peu à peu des salles de spectacle dotées de machineries. Dominique Lurcel précise dans sa préface qu’autour des années 1670 le théâtre y fait enfin son apparition, timidement d’abord, avec quelques dialogues  en guise de lien entre deux numéros de sauteurs. 
Mais la Comédie-Française veille et censure. Elle fait même démolir les loges des entrepreneurs présomptueux qui, après avoir introduit des marionnettes dans leur spectacle, finissaient par engager de jeunes comédiens! Face à la Comédie-Française et à l’Opéra,  le public et les auteurs soutiennent le Théâtre de la foire qui  demeure un reflet de son temps, un lieu de la dérision et de l’irrespect où se  télescopent  thèmes et représentations sociaux, essence même de la parodie et du burlesque et où les héros de tragédies se retrouvent dans les costumes de Pierrot et d’Arlequin, à la façon des compagnons d’Ulysse transformés en pourceaux par Circé.
  La puissance corrosive de la subversion ne s’entretient que dans la peur du gendarme; quand elle s’atténue, la force de la dérision aussi : «Celle de la Foire, note Dominique Lurçel, est d’avoir pleinement coïncidé avec le profond mouvement anti-autoritaire qui mine alors la monarchie française. » Le roi apparaît sous les traits de Pierrot! L’entreprise de dégradation dans le burlesque correspond à celle de l’autorité en ce début de XVIII ème siècle. «Dans sa lutte contre les privilèges – et en utilisant l’arme du rire – la Foire rencontre l’esprit frondeur d’une société trop longtemps corsetée et avide d’émancipation, assoiffée de plaisirs et de liberté, au point de s’enivrer jusqu’à l’autodestruction.»
  Le public rit, et rit aussi de lui-même sans le savoir, peuple et nobles confondus,  avec une joie  inextinguible qui se taira  à la Révolution. Découvrons avec un plaisir toujours renouvelé ces œuvres qui, traitant de leur temps, nous  parlent aussi du nôtre…

 Véronique Hotte

 Editions Gallimard, Folio Théâtre N°158

Chemins de traverse / l’apport de Jean-Pierre Ryngaert aux études théâtrales, sous le direction de Joseph Danan et Marie-Christine Lesage

   Ce livre,  dirigé par deux universitaires, trace, grâce à de nombreuses contributions, le portrait composite d’un homme à la fois pédagogue, praticien et théoricien du théâtre. Auteur de plusieurs ouvrages dont le précieux Lire le théâtre contemporain, Jean-Pierre Ryngaert propose une approche déterminante des écritures dramatiques d’aujourd’hui.
 L’ouvrage rappelle aussi ce que fut l’éducation populaire, dont le docte professeur est issu, un concept aujourd’hui en complète désuétude : « Une alliance étroite entre l’instruction publique et l’initiation artistique », portée sous la bannière du secrétariat à la Jeunesse et aux  Sports » par des personnalités de la trempe de Jacques Debary et d’Etienne Catallan.
  Trêve de nostalgie ! Jipi, comme on le surnomme, réconcilie théorie et pratique : « L’enseignement entre théorie et pratique dans les enseignements artistiques à l’Université est jalonné de doutes et de retrouvailles. On y danse le tango des avancées définitives et des reculs inattendus, en comptant avec les espaces si petits et les étudiants si nombreux », écrivait-il, y a une quinzaine d’années déjà.
  C’est à combler cet écart qu’il s’emploie:  » L’apport théorique de Jean-Pierre Ryngaert partait toujours d’une expérimentation du plateau, d’une interrogation qui se frottait à la pratique et à la mise en œuvre, aux expériences, aux improvisations, dirigées, et aux débats, aux discussions… Il a vraiment inventé un concept d’atelier de recherche’…  » se souvient Sylvie Chalaye, qui fut son élève et qui dirige aujourd’hui l’UFR Paris 3.
  Son apport théorique dans le domaine de la dramaturgie contemporaine est incontestable : « Lecteur amoureux, qui entend bien défendre les formes qui le séduisent, Jean-Pierre Ryngaert s’est attaché à rendre compte des nouveaux modes de production et d’interprétation des textes en témoignant d’un intérêt constant pour les écritures fragmentaires, discontinues, hétérogènes », rappelle Julie Sermon, co-auteur avec lui de Théâtres du XXIème siècle: commencements.
  Bien d’autres témoignages apportent un éclairage à ces Chemins de traverse, dont celui des écrivains de théâtre qu’il a si bien analysés : « Je noterai principalement cet intérêt qu’il fut l’un des premiers dans sa  sphère à manifester pour certaines écritures en train de s’inventer », dit Noëlle Renaude,et j’ai cru voir, au-delà de ce sérieux tenu en toutes occasions ou presque, un petit air de mine de rien qui avait au fond du mal à ne pas se faire voir et arrangeait bien autrement la mine sévère du professeur d’université. Il avait, en plus de son goût affiché pour les histoires, un œil plutôt rigolard qu’il promenait à l’insu de sa fonction sur les choses, les gens, les situations, les paysages, les plats cuisinés, les belles lettre, les conflits, les décisions à prendre, les avis partagés et pas partagés, les entrelacs institutionnels, les sentiments amoureux, les théories, les innovations, les voyages, les familles, les spectacles, et les fameuses histoires, les siennes et celles des autres… ».
D’autres auteurs lui dédient une pièce, dont David Lescot, Philippe Minyana ou Joseph Danan. Daniel Danis   conclut,  lui,  par un Envoi , allusion aux nombreuses incursions de Jean-Pierre Ryngaert dans la Belle Province.

 » Entre les France là et les Québec ci / …. Tu déposes sur une écritoire de découvreurs/ les terres réciproques faites de vagues et de vogue / comme un plaisir du savoir en partage…»
  A priori, on peut se demander pourquoi publier un ouvrage endogamique, célébration d’un universitaire par ses pairs, au risque de rester dans l’entre-soi. Quel lectorat en dehors du petit cercle des initiés, étudiants, et complices ? Mais de ce livre en éclats, émerge un personnage emblématique d’un certain paysage théâtral qui s’est développé à partir des années soixante-dix, âge d’or d’une politique culturelle aujourd’hui en berne.
 Même s’il est avant tout universitaire, avec une annexe bio-bibliographique quasi-exhaustive de quatorze pages,  sont mis ici en lumière le travail et l’itinéraire d’un homme qui, parmi d’autres enseignants souvent laissés dans l’ombre, contribue à transmettre un théâtre vivant et exigeant, alors qu’un inquiétant discours populiste, tenu aussi  par les technocrates de gauche, menace toute innovation artistique.

 Mireille Davidovici

 Éditions Théâtrales, collection Sur le théâtre, 314 pages, 19,90 euros.

 


Archive pour décembre, 2014

Faire danser les alligators sur la flûte de Pan

Faire danser les alligators sur la flûte de Pan, d’après la correspondance de Louis-Ferdinand Céline, adaptation d’Emile Brami, mise en scène d’Ivan Morane

 

  maxresdefaultLe spectacle avait été créé, il y a deux ans au Trident-Scène nationale de Cherbourg. Les romans de Céline ont souvent été adaptés au théâtre et Fabrice Luchini, en 1985 déjà,  avait ainsi créé  Voyage au bout de la nuit au Théâtre du Rond-Point comme l’a aussi fait récemment Jean-François Balmer.

Ivan Morane a travaillé, lui, à partir de la Correspondance du docteur Louis-Ferdinand Destouches, sur son art de l’écriture et du personnage. «Céline écrit comme s’il était le premier, dit-il,  à se colleter avec le langage, et secoue de fond en comble le vocabulaire de la littérature  française.
Comme s’envole la balle, tombent les tournures usées », écrit Léon Trotsky à propos du Voyage au bout de la nuit. On  découvre ici,  non pas une adaptation d’un de ses romans  mais bien l’écrivain lui-même,  sa dimension existentielle et créative.

Le spectacle commence et finit dans une  grande tension dramatique, avec cette dernière lettre signée Destouches, écrite à son éditeur Gaston Gallimard mais restée sur son bureau de Meudon. Céline mourra le lendemain… « Où en est-il, quelques heures, quelques minutes, avant de mourir ? » se demande Ivan Morane,  dont la mise en scène comme l’adaptation d’Emile Brami font songer d’un point de vue dramaturgique et esthétique à un éventail avec  fermeture, ouverture, fermeture…
Dans la pénombre,  on aperçoit d’abord, des feuilles blanches accrochées à un fil avec des pinces à linge, un lit, une table, une chaise, un piano, un escabeau en bois, et des livres de tous les écrivains qu’il insulte et qu’il jette au sol.
Puis, la scène s’éclaire, et sous les doigts de Louis-Ferdinand Céline, magistralement interprété par Denis Lavant, jaillit un air de piano: « La magie n’est pas dans les mots, elle est dans leur juste touche, ainsi du piano-des airs, du Chopin, des notes ».
Défilent alors sous nos yeux, toujours au rythme de cette ouverture/fermeture, des séquences où Céline est en proie à ses doutes, colères, et prises de position socio-politiques et esthétiques souvent violentes.  

« Plutôt que dans les romans, qui sont, par définition, des œuvres d’imagination, dit Emile Brami, j’ai choisi de puiser pour l’essentiel dans l’énorme correspondance de Céline; il y est plus sincère et plus vrai, ce qui permettait d’aborder tous les aspects de l’homme, qu’ils soient glorieux ou sordides ».

Ce qui n’exclut pas d’entendre çà et là des fragments de ses romans; comme dans une partition de musique, viennent alors s’agencer avec précision, extraits de textes, musique, travail de lumière de Nicolas Simonin, en totale  harmonie avec le rythme du spectacle qui a «la particularité de n’utiliser aucun contre-jour, ni aucun filtre. Dans le souci d’échapper au maximum à une esthétique théâtrale. » Décor et gestuelle du comédien forment ici une sorte de symphonie poétique et musicale.
  « Les mots ne sont rien, disait Louis-Ferdinand Céline, s’ils ne sont pas notes d’une musique du tronc ( …) « Je ne veux pas narrer, je veux faire ressentir ». On reproche parfois  à Denis Lavant de faire du Denis Lavant, mais ici son jeu, à l’incroyable énergie, sa voix, son corps, donnent un aspect à la fois cabotin et énigmatique au personnage de l’écrivain. Il sait en faire ressortir l’agressivité, l’exagération, l’ironie, le mépris, l’ambiguïté, le découragement et le dégoût qui l’habitent…

  Denis Lavant parvient même à en être proche physiquement, dans ses intonations, et on est ébloui par son  mimétisme.La magie théâtrale opère, et nous sommes bien en présence de Louis-Ferdinand Céline ou Destouches, c’est selon!
Emile Brami  a eu la bonne idée de choisir de très courts extraits « comme s’il s’agissait de mots, l’écriture de Céline devenant alors une langue en soi. (…..) J’ai tenu à ce qu’il n’y ait rien qui vienne de moi afin que l’on entende seulement sa fameuse « petite musique »   

  Il sait nous faire sentir le travail  exceptionnel de l’écrivain sur le modelage de la langue, sur  l’écriture musicale et le rythme. Céline avait l’obsession d’éprouver une émotion pour créer son art poétique : «Pas une syllabe au hasard, disait-il. Je me sers du langage parlé, je le recompose pour mon besoin-mais je le force en un rythme de chanson-je demeure toujours en danse. Je ne marche pas ». (…) « Je connais la musique du fond des choses… Je saurais, s’il le fallait, faire danser les alligators sur la flûte de Pan. Seulement, il faut le temps de tailler la flûte et la force pour souffler… Souvent la flûte, si légère qu’elle soit, me tombe des doigts… »

 Elisabeth Naud

 Théâtre de l’œuvre 55, rue de Clichy 75009 Paris. Du mardi au samedi à 21h, et dimanche à 15h. T: 01 44 53 88 88.  Jusqu’au 11 janvier.

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Pour entrer dans 2015

 

   Chers lecteurs,

  Vous êtes de plus en plus nombreux à nous lire; grâce à vous, Le Théâtre du Blog, en excellente santé, a reçu,  en octobre, 49.000 visites sur le site en général et 60.000 visites concernant chacune un spectacle.
Toute notre équipe vous en remercie et continuera à vous rendre compte de l’actualité théâtrale. Nous vous souhaitons d’excellents spectacles pour cette nouvelle année.
Pour entrer en 2015, voici douze des toujours formidables et si merveilleusement caustiques Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio (Robert Laffont); nous en avons choisi une pour chaque mois de l’année, sur le théâtre, les acteurs, le cirque, la musique, la photo…

Philippe du Vignal

 

bathoIl y a certains décors de théâtre qui pourraient très bien servir pour les sans-abri.

Si les gens sortent au théâtre, c’est pour aller au restaurant après.

Le plus bel instrument de musique, c’est la voix humaine, et surtout, tu peux bouffer avec.

Mozart, il est mort dans la misère, les mecs du rap, il sont moins cons.

La photographie fixe l’instant présent pour en faire du passé, c’est malin!

Au théâtre aussi, un jour, t’en auras du pop-corn à manger.

Le cirque de Pékin, il en aura usé des femmes-caoutchouc!

On n’en a plus des grands journalistes comme Shakespeare.

Au moins, au théâtre, les acteurs ne sont pas aplatis sur le mur.

Le coq chante et le tigre répond, c’est comme ça quand un cirque s’arrête dans la campagne.

Quand on fait du théâtre, c’est le soir qu’on parle.

La musique classique, c’est rien que de la vieille musique moderne.

Les animaux qui jouent plus dans les films, finissent dans les fermes à la campagne, alors que les vieux comédiens à la retraite, on les laisse crever en banlieue.

Comment va le monde? Arnaud Anckaert

Comment va le monde? écriture et conception d’Arnaud Anckaert et Didier Cousin, à partir des cahiers de bord de Capucine Lange

 

DSC03037 « En 1999, nous sortions de l’école de Théâtre Lassaad à Bruxelles, qui enseigne la méthode Lecoq. Diplôme en poche, c’est bien beau.. Quelles questions se poser ? Quels choix faire ? Quels modèles rejeter ou adopter « se demandaient Arnaud Anckaert et sa compagne Capucine Lange. Ils décident alors de se lancer avec enthousiasme et ténacité dans un voyage en Europe, pour voir en continu, comment on fait du théâtre ailleurs qu’en France. Et dans quinze pays : Suisse, Slovénie, Pologne : patrie de ces deux monuments exemplaires du théâtre du vingtième siècle que furent Jerzy Grotowski et Tadeusz Kantor, récemment mais déjà disparus à l’époque mais aussi Allemagne, Finlande, etc…. Ils écrivent quelques centaines de lettres qui devaient être convaincantes puisqu’ils reçoivent  quarante réponses positives. Pas mal !
 Et les voilà partis dans une camionnette retapée pour y loger, filmant rencontres, répétitions, prenant des tonnes de notes sur ce voyage initiatique. Ils sont reçus partout avec générosité, et souvent logés, par une trentaine de directeurs de théâtres ou de compagnies…
  C’est tout cela que raconte une heure durant Arnaud Anckaert, remarquable metteur en scène d’Orphelins de Dennis Kelly et de Constellations de Nick Payne* (voir Le Théâtre du Blog). Dans Comment va le monde, il est acteur, lit ces carnets de bord, commente une rencontre ou un tel ou tel événement de ce voyage/pèlerinage initiatique, introduit une des petites séquences vidéo tournées caméra à la main, un peu gauche mais très émouvante.
Il est là, solide, simple mais passionnant conférencier mais reste très pudique. Il il sait créer une complicité évidente avec le public de khâgneux, fascinés par ce qu’il raconte de cette épreuve artistique et humaine qu’a vécu ce couple une année durant.
 Et c’est long, un an d’errance volontaire! Même bien programmée et singulièrement enrichissante pour les deux élèves-comédiens qu’ils étaient encore… Il raconte qu’il se retrouvera seule après qu’elle ait finie par  craquer, avant d’aller rejoindre une amie en Angleterre. Même si le couple s’est ensuite retrouvé. Vérité, semi-vérité teintée de romanesque? On ne le saura jamais mais qu’importe…
  En tout cas, cette petite forme, comme disait Antoine Vitez, à la fois conférence/monologue/confidence de quelque soixante minutes fonctionne très bien. Du moins, jusqu’à l’arrivée, dans les dernières minutes de Capucine Lange, comme pour dire qu’elle existe bien et qu’il ne faut pas l’oublier. Dommage ! Cette irruption d’un dialogue sonne un peu faux et casse cette connivence qu’Arnaud Anckaert avait réussi à établir avec son public.
  Que ce dérapage dramaturgique ne vous empêche surtout pas d’y aller voir si Comment va le monde ? passe près de chez vous…

Philippe du Vignal

Spectacle vu à la Ferme d’en haut à Villeneuve-d’Asq le 13 décembre.

Orphelins de Dennis Kelly, les 8 et 9 janvier au Phénix – Scène Nationale de Valenciennes ; le 13 janvier,Théâtre de Saint-Lô ; le 27 janvier ABC, Dijon et le 30 Théâtre de la Tête Noire, Saran (Loiret). Et en Suisse, le 16 janvier, Théâtre de Valère, Sion : les 18 et 19 janvier, Théâtre Palace, Bienne ; le  20 janvier, Théâtre de Vevey ; les 22 janvier Théâtre Benno Besson, Yverdon les Bains ; les 24 et 25 janvier, Théâtre Equilibre Nuithonie, Villars-sur-Glânes; le 3 février, Espace Jéliote, Scène Conventionnée d’ Oloron Ste Marie ; le 10 janvier, Théâtre de Brétigny – Scène Conventionnée du Val d’Orge.
Constellations de Nick Payne le 19 février Le Manège – Scène Nationale Mons/Maubeuge, à Jeumont et le 24 février Maison de la Culture de Tournai, Belgique.

 

Bargfeld n° 37

Bargfeld n° 37,  d’après des textes d’Arno Schmidt, adaptation de Natascha Rudolf et Hubertus Biermann, mise en scène de Natascha Rudolf.

BargfelsBd« Tout est dans mes livres. Le reste amoché de l’homme, on ferait mieux de ne plus le regarder… » écrivait Arno Schmidt. Bargfeld n°37 est la dernière adresse de l’écrivain allemand (1914-1979) et de sa femme Alice. Réfugié quinze ans  à l’Est, le couple a retrouvé le village où il avait vécu au sortir de la guerre,  à 20 km de l’ancien camp de Bergen-Belsen, occupé par les Britanniques et la nouvelle armée de l’Allemagne de l’Ouest.
En 1958, ils devinrent donc propriétaires d’une maisonnette de 70 m2 à Bargfeld, un petit village, au nord de Hanovre. Informant par carte postale quelques personnes de cet événement capital dans sa vie, Arno Schmidt y ajouta la longitude et la latitude du lieu.
Célèbre avant la guerre, travailleur acharné et maniaque, il rédige plusieurs milliers de fiches pendant ses nuits d’insomnie, et répond aux questions qu’on lui pose sur sa vie et sur son travail qui se confondent. Dans
un quasi-monologue, remarquablement interprété par Hubertus Biermann, secondé par sa femme silencieuse (Natasha Rudolf) qui lui tape ses textes, réussit à le nourrir un peu, et le soigne comme son enfant. Dans un décor de Michel Jacquelin, un plateau cerné par d’anciennes machines à écrire qui se transforme à vue, l’écrivain se livre à une étonnante loghorrée. Il répond aux questions sur sa biographie (il a exercé d’abord exercé un métier technique). « Est-ce qu’un écrivain peut gagner sa vie avec la seule littérature (…) je vis en cellule d’isolement intellectuel, plus de promenades, négligence totale de ma propre santé… ». Le couple écoute un enregistrement sur un vieux magnétophone d’extraits d’un livre de 500 pages.  « Mon cœur appartient à ma tête (…) l’écrivain ne doit faire cause commune avec personne ! ».
De ces milliers de pages écrites la nuit, il conserve la lucidité : « Qui oserait faire l’apologie de son passé, pas moi en tous cas ! ». Il raconte son enfance lamentable et effrayante: « J’ai l’impression d’être un enfant intelligent (…) le travail, est-ce une vertu ? ».
Ce spectacle surprenant sur la vie d’un maniaque obsessionnel , ouvre des horizons sur la découverte de cet étrange personnage que fut Arno Schmidt.

Edith Rappoport

Spectacle joué à L’Échangeur de Bagnolet jusqu’au 20 décembre.
www.lechangeur.org

Naharin’virus par la Batsheva Dance Company

Naharin’s Virus par la Batsheva Dance Company, chorégraphie d’Ohad Naharin

IMG_6713Quel bonheur de voir de la danse qui  fait sens! Ohad Naharin a pris ici, pour fil conducteur, des extraits d’Outrage au Public de Peter Handke, auxquels se mêlent les paroles autobiographiques des interprètes. Cette véritable création collective repose sur leurs propositions, et ils sont tous d’une présence scénique exceptionnelle.
Naharin’s Virus débute lentement : en silence, une danseuse dessine sur un mur barrant tout le fond de scène. Le premier mot inscrit est :VOUS. Le chorégraphe israélien  veut ainsi nous faire sortir en permanence de notre position confortable de spectateur passif.
Et ce, par la puissance du texte, proféré par un danseur, perché sur le mur : «Le sujet c’est vous. Vous êtes le centre d’intérêt. Nous ne traitons pas le sujet, nous vous traitons. …Vous n’êtes pas au singulier. Vous êtes au pluriel…Vous êtes l’événement». Mais aussi par la chorégraphie : les dix-huit interprètes  nous questionnent fréquemment du regard; en costume lycra couleur chair et noir, qui les fait ressembler à des lettres de l’alphabet, ils réalisent ainsi une calligraphie dans l’espace, en redoublant les graffitis qui s’inscrivent sur le mur.
L’harmonie du mouvement dansé est parfaite, que cela soit en groupe ou en solo, et chaque figure semble ressentie au plus profond des corps. L’énergie et les ruptures de rythme de ces virtuoses du geste sont accompagnées par des musiques à la puissance émotionnelle exceptionnelle, en particulier L’Adagio pour cordes de Samuel Barber, et une partition originale du compositeur palestinien Habib Allal Jamal.
Des cloches résonnent, précédant un cantique: nous nous croyons à Jérusalem! Dans cette création (2001), la danse est valorisée en permanence par le texte, sans pour autant l’illustrer. Les mots prononcés nous évitent de sombrer dans trop d’émotion et cela induit une mise à distance : «Nous pourrions devenir pathétiques, nous ne simulons pas. Ici rien n’est simulé, rien n’est fabriqué. »
Vers la fin -la pièce dure une heure dix-, les propos de Peter Handke surprennent le public : «Vous serez insultés, parce que l’insulte est une façon de communiquer. En insultant, nous devenons naturels. Nous avons une prise sur vous. Nous renversons l’obstacle qui nous sépare. Nous renversons le mur. Nous allons vers vous».
Ce mur, figure de toutes nos fractures, compte-tenu du pays de la compagnie, possède une haute valeur symbolique, et  est  définitivement brisé quand un danseur termine par ces mots : «Vous étiez ce soir, les bienvenus. Nous nous remercions. Bonne nuit».
Presque une parole sacrée…

Jean Couturier

Théâtre National de Chaillot du 17 au 21 décembre.Deuxième programme: Decadance Paris du 24 au 28 décembre.              

Gustave, librement inspiré de la correspondance de Gustave Flaubert

Gustave,  librement inspiré de la correspondance de Gustave Flaubert, mise en scène d’Arnaud Bédouet

gustave_thumb-620x250 C’est comme une rencontre intime, celle de Jacques Weber et du public  invité chez Gustave Flaubert.
Affaire délicate que celle de mettre en scène, un auteur et son œuvre littéraire, sa vie. quand ce n’est pas l’adaptation d’un roman ou une lecture mise en espace  pour la scène. On se souvient  de Fabrice Luchini jouant pour la première fois, un extrait du Voyage au bout de la nuit, au Théâtre du Rond-Point en 1985,  à la demande de Jean-Louis Barrault, et depuis de nombreuses créations ont vu le jour,  permettant ainsi à un large public de découvrir une œuvre, un auteur.
  Gustave, donné dans ce charmant et un peu désuet Théâtre de l’Atelier, a comme matériau, la Correspondance de Gustave Flaubert. C’est dit, Arnaud Bédouet, « un immense personnage de théâtre et son verbe évoque un Falstaff, un Don Quichotte, un Alceste. Nous sommes dans la démesure des sentiments et, je le pense, assurément au théâtre »
  Pour être à la hauteur de ce poète anarchiste « dans un corps de bourgeois », Arnaud Bédouet offre au public, une mise en scène au rythme très enlevé, avec une interprétation  physique et sensuelle du personnage de Gustave Flaubert par Jacques Weber qui est formidable !
 « Louise me quitte » dit Gustave qui  ajoute quelques instants plus tard: « L’amour n’est pas un met principal, c’est un assaisonnement »… Louise Colet,  une poétesse rencontrée en 1846 dans l’atelier du sculpteur Pradier, sera son amante pendant une dizaine d’années.
  Jacques Weber prend véritablement possession de l’espace scénique avec autant de subtilité que de fougue. Le décor, sobre, et poétique crée une atmosphère charnelle, et on se sent habité par le quotidien de l’auteur, ses joies, sa mélancolie, son ironie, et l’on perçoit ses plus profondes obsessions et sestourments. 
Mais Gustave est ici avec un nommé Eugène, à la fois son homme de main, son valet,  confident, et compagnon. Bravo à Philippe Dupont ! Gustave en effet dialogue, ou semble dialoguer avec cet Eugène qui reste pratiquement muet mais qui  est  très important dans la construction du spectacle. Le  personnage nourrit en effet la situation, participe de sa théâtralité, et installe  ce  « monstre » de Gustave et de son monde, dans l’espace du théâtre et non  plus de la littérature.
  Eugène laissera échapper un seul mot : ABRICOT. Tellement inattendu, un vrai coup de théâtre !  A vous de découvrir pourquoi, en allant voir ce Gustave ou en vous plongeant dans la biographie de cet immense auteur.
  Spectacle haut en couleur, où jaillit une  « colère terriblement actuelle, pleine d’énergie et de joie, jusque dans ses pires détestations ». Mots sans concession sur l’art poétique, l’univers des écrivains, le monde et la société bourgeoise : « Etre connu n’est pas ma principale affaire. Je vise à mieux : à me plaire, et c’est plus difficile (…) Le succès me paraît être un résultat, et non pas le but (…). J’ai en tête une manière d’écrire et une gentillesse de langage à quoi je veux atteindre » ! écrivait Gustave Flaubert à son ami Maxime du Camp.
  Rien de plus salutaire, à notre époque conformiste et peureuse, obsédée par l’apparence, d’aller écouter et regarder , comme  le dit Arnaud Bédouet « la rage d’un homme qui tenait la gageure de vivre en bourgeois et de penser en demi-dieu » !

Elisabeth Naud

Théâtre de L’Atelier, 1 place Charles Dullin, 75018 Paris, jusqu’au 31 décembre.  T: 01 46 06 49 24. Du mardi au samedi à 20h30, et le dimanche à  15h30.
 

 

Noël revient tous les ans

Noël revient tous les ans de Marie Nimier, mise en scène de Karelle Prugnaud

p183764_2Au Théâtre du Rond-Point, des spectacles liés à Noël mais attention à ne pas s’emmêler les pinceaux: Noël revient tous les ans et C’est Noël tant pis se jouent aussi  en même temps.
Ici, une mère et  son fils ont pour habitude de se retrouver le 25 décembre. Et chaque année, il amène, selon  sa mère, une nouvelle fiancée, qu’elle se régale… à appeler du prénom de la précédente! Le spectacle démarre au quart de tour: Pierre Grammont fait irruption avec son sapin et grimpe plusieurs fois à la corde, à chaque fois un peu plus essoufflé, puis fait appel à quelques spectateurs pour l’aider à dévoiler le décor caché sous des mètres de papier cadeau. Après ce prologue vite mené, la pièce peut s’installer: pour leur repas de Noël, la mère et le fils, assis sur des toilettes, mangent des chips  …
   C’est dire que Karelle Prugnaud ne recule devant rien et piétine les tabous : la relation curieuse entre la mère et le fils, les images créées par ces toilettes d’où on extirpe de la merde  figurée par des sacs en plastique rose où ils  plongent la tête… On l’aura compris, Marie Nimier est loin aussi de nous proposer une image lisse et délicieuse de Noël : « Si je pouvais éradiquer Noël du calendrier, dit-elle, ce serait un grand soulagement ».
Pour  l’écrivaine, c’est la période des angoisses et des nœuds, et c’est à ce moment que les absents refont surface: la sœur, avec qui la mère assure être en contact, au grand désespoir du frère qui sait bien qu’elle est morte, ou le père, parti, lui, il y a longtemps.

  Marie Nimier  a voulu bien faire mais son écriture est trop riche, avec notamment des non-dits surlignés! On n’est plus alors dans la farce mais dans la comédie dramatique. Mais il y a une scénographie inventive, de beaux accords de lumière, et des capsules vidéo réalisées par l’ancien acteur des Deschiens, Philippe Duquesne qui  accompagnent les changements de décor et filent la métaphore de la dinde farcie, de manière un peu grossière mais drôle.
Côté interprétation, mention spéciale à Marie-Christine Orry, à la voix si particulière (qui fait merveille dans le superbe court-métrage d’animation consacré à Kiki de Montparnasse : Kiki et les Montparnos). Cette bûche de Noël aux multiples parfums manque sans doute de finesse mais ceux qui ont envie de rire et de voir un théâtre qui ose casser les tabous, passeront un bon moment…

Julien Barsan

Théâtre du Rond Point jusqu’au 10 janvier. T: 01 44 95 98 21

Répétition de Pascal Rambert

Répétition, texte, mise en scène et chorégraphie de Pascal Rambert

marc-domage La dernière et très belle pièce de Pascal Rambert Clôture de l’amour qui avait été créée au festival d’Avignon en 2011, (voir Le Théâtre du Blog) avait connu un  grand succès; avec deux de ses interprètes d’alors, Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, il a fait appel aussi maintenant à Denis Podalydès, Emmanuelle Béart et Claire Zeller, pour créer  ce nouvel opus qui fait penser à Clôture de l’amour, son précédent spectacle.
 Décor unique de Daniel Jeanneteau: une salle de gymnase jaune et bleue, équipée d’un panier de basket, éclairée par des plafonniers de tubes fluo qui se déplacent selon les scènes.
La structure dramatique est fondée sur les monologues de quatre personnages qui se succèdent, et dont le prénom est le même que dans la vie.
Mais Pascal Rambert donne  aussi une grande importance  aux mouvements du corps…On assiste ici à la répétition d’un spectacle: Audrey, une belle  comédienne aux cheveux longs qui semble avoir vu un regard un peu trop appuyé chez Denis, un écrivain, sur Emmanuelle,  et s’imagine que quelque chose est en train de se passer entre elle et  lui. Il y aussi Stan, un metteur en scène. Tous ont déjà travaillé ensemble et se connaissent visiblement très bien.

“ A partir de là, j’ai essayé de montrer, dit Pascal Rambert, comment à l’intérieur d’un regard, je pouvais établir un monde et ce monde, et comment je voulais le faire imploser. On est dans différents niveaux de réalité. J’ai souvent l’impression que ce qu’on appelle la vérité ne se tient pas nécessairement dans ce qu’on appelle la réalité mais plus fréquemment à l’intérieur même des fictions”. Quel bavardage! Bref, Pascal Rambert fait joujou, (sans en être dupe) avec deux vieilles ficelles usées du théâtre occidental: le théâtre dans le théâtre (voir Shakespeare, Corneille, Molière, Marivaux etc…) et les histoires de couple. Mais  au jeu des ruses, mensonges et trahisons en tout genre, l’auteur des Fausses Confidences reste toujours imbattable…
Pascal Rambert possède une grande aisance quant au traitement de l’espace, sait maîtriser l’énergie de ses acteurs, et diriger ce bouillonnement du langage qu’il leur impose et qui est devenu un peu comme sa marque de fabrique. Et, comme pour mieux dire l’importance du corps, c’est Claire Zeller, une jeune acrobate et jongleuse qui vient, à la fin et sans dire un mot, jouer avec deux cerceaux et un faisceau de rubans dont elle tire de belles figures. Elle clôture ainsi symboliquement cette histoire d’amour de la vie et du théâtre, comme avec un clin d’œil au titre: Clôture de l’amour.
  Il a voulu marquer son texte de quelques repères, ceux des voyages qu’il a récemment effectués à Moscou, Tbilissi, Kiev, Yalta… Mais aussi parler du théâtre et de la vie réelle, de Staline et de ce grand poète que fut Mandelstam, et dire comment des idéologies ont basculé, comment nous sommes aussi peu lucides quant à notre perception du monde contemporain. Pourquoi pas?  Mais on a un peu de mal à s’y retrouver…
Et cela fonctionne? Oui, au tout début, avec Audrey Bonnet très en colère contre les trois autres, mais moins ensuite: son monologue dure quelque trente minutes! Et, à la fin aussi, quand Stanislas Nordey, juste et profondément attachant, se lance face public dans une belle envolée lyrique et réussit à faire passer une véritable émotion.
Pour le reste, cela tourne à vide dans une impitoyable logorrhée: on parle beaucoup ici, des sentiments, de la vie du  théâtre, du théâtre dans la vie, et des  souvenirs communs! Mais Pascal Rambert reste l’incorrigible bavard, ce qu’il était déjà, quand il montait ses premiers spectacles à la Ménagerie de verre, il y a trente ans.

  Malgré une qualité d’écriture, cette suite de monologues interminables ne fait en rien théâtre, comme disait Antoine Vitez, même et surtout, comme il le croit un peu naïvement, quand il parle du théâtre et de la vie. Cela bavasse à propos de tout et de rien, et ce spectacle n’a, ni l’évidence, ni la force de Clôture de l’amour.Tous aux abris!
Bref, on a souvent l’impression que Pascal Rambert s’est fait plaisir, sans se demander une seconde si le plaisir qu’il avait, lui, à écrire ce semblant de pièce pouvait aussi intéresser le public de Genevilliers, et pas seulement les amis des quatre comédiens qui font ici un remarquable travail et qui devront s’y remettre chaque soir pendant un mois!.  (On sentait parfois chez  Emmanuelle Béart comme une certaine lassitude, et il y a de quoi!)

   Bon révélateur, comme dirait notre amie Christine Friedel: un groupe de jeunes gens a déserté vite fait, devant ces lapalissades sur le théâtre qui deviennent, et de façon irréversible, un monument d’ennui! C’est bien joli de s’envoyer des fleurs! Pascal Rambert parle en effet de son spectacle, comme d’une “chose extrêmement structurée à travers la langue mais la langue extrêmement structurée peut donner forme à cette révolte “pure” de l’être humain qui dit “je suis”.  (Sic!) Mais cette Répétition dépasse rarement, soyons lucides, un très médiocre bavardage esthético-philosophique.
  L’auteur et metteur en scène peut dire un grand merci à ses quatre acteurs, mais, à mission impossible, nul n’est tenu, et nombre de spectateurs sommeillaient! On voit donc  mal  quelques  bonnes  raisons de vous conseiller d’aller à Gennevilliers, sinon pour les acteurs. Vous pouvez y aller avec votre grand-mère (pas grave, elle s’assoupira vite) mais surtout pas avec des lycéens! C’est le genre de spectacle à les dissuader de revenir un jour dans un théâtre quel qu’il soit…
Enfin cela aura permis à notre aimable ministre de la Culture et de l’Economie numérique de découvrir un texte sans avoir à le lire. On aimerait bien savoir ce qu’elle a pu penser de ce pensum.

 Philippe du Vignal

 T2G de Gennevilliers/Centre Dramatique de création contemporaine jusqu’au  17 janvier. T: 01 53 45 17 17.

 

Entretien avec José Martinez

Entretien avec  José Martinez, directeur de la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne.

José Martinez« La danse  chez nous, dit José Martinez qui viendra avec sa compagnie au Théâtre des Champs-Élysées en janvier, a été affaiblie par la crise que connait l’Espagne et toute l’Europe,  et le nombre de  spectacles a été réduit de quarante pour cent en trois ans. À l’exception de la compagnie nationale, subventionnée principalement par l’État et qui a doublé le nombre de ses représentations : soixante-dix dates en Espagne, depuis mon arrivée en 2012, du fait de l’élargissement du répertoire (y compris classique). Nous faisons de grandes tournées et disposons de quarante-quatre danseurs, dont dix-huit Espagnols, tous payés par l’État, grâce à un budget de fonctionnement.
En revanche, les budgets consacrés aux créations et aux  tournées se réduit d’année en année mais le public est très réceptif à tous les répertoires: classique comme contemporain ».

Parmi les projets, un Don Quichotte pour lequel José Martinez fera aussi appel à quelques autres danseurs. Sa compagnie est itinérante mais dispose d’un lieu de répétition et travaille avec trois théâtres de  Madrid. Ce qui permet de toucher un public plus vaste. Mais quand il lui arrive de se produire au Teatro Real, le prix des places est très élevé.
« En Espagne, dit José Martinez, les artistes, malgré les difficultés économiques que nous connaissons, gardent un esprit créateur : ils font plus, avec moins.  Et  notre compagnie a aussi une fonction sociale. Ouverte au plus grand nombre, elle propose des cours aux autres danseurs qui ne sont pas de la maison et, deux fois par mois, le public est invité à des répétitions. Ainsi, l’argent de l’État bénéficie  à tous ».

C’est un peu le contraire de ce qui se passe à l’Opéra de Paris, ce que ne dira pas José Martinez, qui y était  lui-même danseur-étoile,et qui viendra donc trois jours à Paris avec une trentaine de danseurs qui interpèteront des créations représentatives de son répertoire : l’une de Mats Ek, une autre de l’espagnol Alejandro  Cerrudo, avec un  retour au ballet  classique. Et enfin celle d’Itzik Galili, un chorégraphe issu de la Batsheva Dance Company d’Israël qui mettra en valeur l’engagement physique de ses danseurs, en contre-point de la pièce d’Alejandro Cerrudo, plus fluide, composée sur une musique de Philip Glass.

  « Mon but, dit José Martinez, est de montrer notre compagnie dans des modes d’expression très différents. Casi Casa de Mats Ek, qu’on pourrait traduire par «presque maison» et qui parle de la vie quotidienne, a pour base Appartement, que j’avais créé à l’Opéra de Paris en 2000. À partir d’un solo,  il a conçu une pièce très écrite, sans place pour l’improvisation, presque comme pour un  ballet classique. Quelques scènes d’Appartement seront d’ailleurs recréées, et ce ballet sera interprété par les danseurs du Bolchoï, sous la direction de Mariko Aoyama qui a été l’assistante de Mats Ek pour cette transmission ».
José Martinez nous a aussi parlé du désir du grand chorégraphe suédois qui a participé aux répétitions, de prendre sa retraite en 2016, et de son envie de reprendre auparavant avec  lui, La Maison de Bernarda. Mais Mats Ek sera là au Théâtre des Champs-Élysées.Ses créations, dit-il, sont comme du sable que l’eau emporte avec le temps. Nous allons donc commencer à perdre les pièces de Mats Ek!

Jean Couturier

Trois spectacles différents les 27, 28, et 29 janvier, au Théâtre des Champs-Élysées, avenue Montaigne, Paris.

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