Lancelot

Lancelot du Lac de Florence Delay et Jacques Roubaud, mise en scène de Julie Brochen et Christian Schiaretti

 

20142015_Spectacles_GraalTheatre_LancelotDuLac_©BELONCLEFranck_001Dans une belle mise en abyme qui appartient à la poésie de leur projet singulier, Florence Delay et Jacques Roubaud soulignent la posture amusée de Blaise, le scribe du Graal Théâtre et ici de Lancelot du Lac. Simple moine, ce scribe, (interprété avec malice par Fred Cacheux), ne  cherche pas en effet à suivre bêtement une histoire jusqu’à sa fin mais à construire une tapisserie, où tous les fils se mêleraient savamment pour en faire apparaître les  motifs : « L’histoire de la Table Ronde forme un arbre dont les branches sont les chevaliers et les fleurs les dames et les demoiselles. Suivant les saisons les fleurs viennent contre les branches ou s’en séparent et se renouvellent. Quant aux branches, elles viennent et vont de l’arbre à l’arbre, et aucune n’existe toute seule séparée du tronc et de la sève. Cet arbre sera toute la forêt de Brocéliande ».
La recherche de Florence Delay et Jacques Roubaud, ces deux scribes contemporains, aura duré une trentaine d’années jusqu’à la publication de Graal Théâtre en 2005, inspiré de textes médiévaux français, gallois, anglais, allemands, espagnols, portugais et  italiens.
Cette suite  théâtrale, composée de dix branches ou pièces, est initiée par la fondation des deux chevaleries, l’une céleste, celle de Joseph d’Arimathie, l’autre terrienne, celle de l’enchanteur Merlin. Chevaleries qui se rejoignent autour du roi Arthur et de la reine Guenièvre autour de la Table Ronde. Viennent ensuite les Temps Aventureux,  avec, pour héros: Gauvain, Perceval, Lancelot, Galehaut, et les fées Viviane et Morgane…
Lancelot du Lac clôt ainsi, en 2014, le cycle des chevaliers du Graal Théâtre, après Merlin l’enchanteur (2012), Gauvain et le Chevalier Vert (2013) et Perceval le Gallois (2014); ces créations des troupes du Théâtre National de Strasbourg et du Théâtre National Populaire de Villeurbanne, ont été mises en scène par Julie Brochen  et Christian Schiaretti.
Septime de Lorette (Hugues de la Salle) note que Lancelot (Clément Morinière), fils de roi, a été enlevé très jeune par la fée Viviane (Marine Desgranges) qui l’élève sous le lac, dans l’ignorance de ses origines. L’enfant de quinze ans n’a que de vagues idées du monde interdit, et est réduit à chasser les biches et les renards. Lancelot garde quelque chose de troublant de son enfance passée dans un univers féminin et magique.
Élevé dans le secret, il a donc l’étrangeté fuyante de celui qui ne sait pas, et il provoque chez tous, éblouissement et séduction. A la fois, chevalier valeureux et tendre garçon, amoureux de la douce Guenièvre (Jeanne Cohendy) et du viril compagnon Galehaut (Julien Tiphaine).
L’amour passionné de Lancelot et de la reine Guenièvre fait de ce couple, le symbole de l’amour courtois. Chevalier exemplaire, Lancelot qui se détourne de Dieu, à cause de cette passion terrestre,  fait de lui un rival du roi Arthur (Xavier Legrand) mais la transgression de l’interdit le conduira à l’échec de sa quête, et à la fin du royaume.
Ce Lancelot du Lac  théâtral se lit comme un  conte moyenâgeux, dont le public tournerait lentement les pages, avec des  illustrations peintes à grands traits, à mesure que se succèdent les scènes fondatrices de la légende.
La scénographie et les beaux accessoires de Fanny Gamet et Pieter Smit déploient un monde de conte merveilleux pour enfants : murailles de château-fort couvertes d’échelles d’assaillants, tombes anciennes de cimetière gothique, tentes militaires façon jouets, appel de cloches rustiques au combat, bouquets de lances comme dans La Bataille de San Romano de Paolo Uccello, figures héroïques et poétiques vêtues de blanc, dont Lancelot, le Chevalier à l’écu noir aux trois bandes blanches, soldats de plomb incarnés portant le heaume, l’écu et la lance, dames élégantes à l’allure de fées, aux chevelures libres et aux robes longues, rivière dans la  forêt pour le bain des jeunes garçons et filles, soit ici un canal étroit dans le parquet de bois, et la Cour du roi Arthur enfin, avec un soleil aux rayons immenses qui monte dans le ciel, exact reflet de la Roue du Temps, en forme de Table Ronde suspendue.
Les enluminures chatoyantes des livres de scribes s’animent quand, sur un visage, apparaît Merlin (François Chattot), masque humain en vidéo qui commente, et commande le destin. Tout a  débuté pour Lancelot dans un panier de Moïse, sous le lac de la Dame Viviane, là où les murs reflètent à l’infini les scintillements de l’eau.
L’aventure théâtrale donne vie à la poésie de ce beau livre d’images.

 Véronique Hotte

 Théâtre National de Strasbourg, jusqu’au 3 décembre; Théâtre National Populaire à Villeurbanne, du 11 au 21 décembre.

Le texte est publié aux éditions Gallimard


Archive pour 2 décembre, 2014

La double Inconstance

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La double Inconstance de Marivaux, mise en scène d’Anne Kessler

  C’est l’une des premières pièces de Marivaux. Le thème: la raison d’État dans un papier de bonbon. Le Prince doit épouser une de ses sujettes, c’est une loi fondamentale du royaume : ainsi il épouse le peuple, et assure sa légitimité. Mais il est fort probable que Marivaux ne fait pas spécialement de la politique et qu’il voit là une condition intéressante à ce qui l’amusera toujours : l’expérimentation des sentiments.
Le choix du Prince qui n’a rien laissé au hasard, s’est porté sur Silvia. Elle aime Arlequin, est aimée de lui, mais quelle importance, que valent ces « petits hommes » devant la raison d’État ? Une fois les deux amoureux villageois enlevés et séquestrés au palais, toute la Cour s’y met : il s’agit de les séparer, et avec leur consentement.
On agira donc sur leurs points faibles : celui de Silvia, c’est la coquetterie et les rivalités féminines qui vont avec, celui d’Arlequin, les appétits de la chair: bonne table et jolies filles. La double Inconstance annonce La Dispute, une pièce de la fin, avec le même caractère expérimental, en moins systématique.
Pour prendre le pouvoir sur les cœurs, il faut séduire, et pour séduire, il faut dé-naturer ces indigènes que sont Silvia et Arlequin : c’est la stratégie de la cour. Ça va marcher, mais pas comme elle s’y attendait : le double escalier de l’amour montant et descendant, fonctionne exactement comme dans les autres pièces, le mensonge conduisant à la vérité (provisoire ?) et le sentiment arrivant tout juste avec les mots pour le dire. Ce qui fait rire : la rapidité des étapes du désamour, et l’embarras à avouer un nouvel amour. Humanité ordinaire.
Car la pièce rappelle magistralement, en particulier dans la bouche d’Arlequin  une chose inouïe et oubliée : les hommes sont égaux. Un homme en vaut un autre, une femme en vaut une autre. Silvia sait que l’attrait pour un joli visage est plus fort que les frontières de classe, et Arlequin sait qu’un prince qui contraint les sentiments est un tyran. Celui-ci n’est pas Dom  Juan face à Charlotte et Mathurine : lui qui semble avoir plus ou moins « eu » toutes les dames de la cour, est amoureux. Et l’amour est un danger, comme les bons sentiments, ce qui nous vaut une belle scène entre le Prince et Arlequin, au bord du vide d’un balcon qui les jetteraient dans la salle, c’est-à-dire presque dans le réel.
Mais cette gravité-là est sous-jacente à la représentation de la Comédie Française. On a plutôt devant soi un très joli spectacle dans un emballage-cadeau, avec des costumes modernes, décalés, très « comité Colbert », d’avant-garde chic et choc. L’idée qu’il s’agit d’une répétition au foyer des comédiens donne un petit côté entre-soi charmant et agaçant, un peu inutile aussi : on n’a pas besoin de ce prétexte pour entrer dans l’artifice de la comédie.
Cet envers du décor, reconstitué par Jacques Gabel, est du reste très joli, et, pour ce qui est du spectacle, on est gâté : un petit bout de comédie musicale dansé avec grâce et exactitude, de piquantes micro-chorégraphies  aux révérences décalées, et des plateaux de cocktails…
Les comédiens sont beaux, talentueux, précis, avec l’étincelle d’humour qu’il faut, avec aussi  un jeu rapide et net qui ne traîne pas à distiller les vérités. Ça pétille, c’est vif, même si  le plateau est un peu encombré; c’est luxueux et agréable comme du champagne.
Avec ce qu’il faut d’acidité et avec aussi, un arrière-goût intéressant d’amertume.

 Christine Friedel

 Comédie Française,  salle Richelieu, en alternance jusqu’au 1er mars.

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