Candide ou l’optimisme
Candide si c’est ça le meilleur des mondes…, d’après Voltaire, adaptation de Maëlle Poésy et Kevin Keiss, mise en scène de Maëlle Poésy
À côté des Lettres philosophiques et de son Dictionnaire, publié trente ans plus tard, Candide ou l’Optimisme (1759), considéré comme le chef-d’œuvre de Voltaire, revient sur la définition de ses idées sur la liberté, la politique, la religion, la littérature...
Effectivement, le héros éponyme de ce conte, pour retrouver la jeune fille qu’il aime, parcourt le monde dont il va éprouver l’horreur: massacres, injustices, fanatismes religieux, intolérance et esclavage. Sans compter les catastrophes naturelles: violents tremblements de terre et tempêtes suivies de naufrages.
Ce Candide mis en scène avec un esprit inventif, se présente comme une aventure urgente, vivement narrée, et comme une leçon implicite de scepticisme élaborée à partir des choses pratiques de la vie et du monde. Ainsi l’amour du jeune Candide pour Cunégonde est ici bousculé par les préjugés sociaux et la réalité des guerres infernales que les hommes aveuglés entreprennent absurdement.
Au passage, Voltaire égratigne les croyances religieuses rivales qui se proclament vérités, imposées aux habitant d’un monde misérable où règne la folie des grandeurs. Et certains rêvent, une fois au pouvoir, de conquêtes menées à coups de brutalités guerrières et massacres. Les relations des hommes entre eux ne connaissent d’autre alternative que celle du maître et de l’esclave ; les blancs, du côté du maître et les noirs, de l’esclave.
Le jeune Candide, un bâtard, est éduqué par un précepteur, Pangloss, au château d’un baron de Westphalie qui l’a recueilli enfant et élevé auprès de son fils et de sa fille Cunégonde, même s’il ne saurait y avoir entre ces jeunes gens la moindre complicité sociale. Pangloss, en bon disciple du philosophe Leibniz, est convaincu que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Mais le baron chassera Candide, qui avait osé tomber amoureux de Cunégonde. Le jeune homme errera de par le vaste monde, mu par une seule obsession : la retrouver…
Cette épopée multiplie récits, événements réels, apartés, dialogues, commentaires de Candide lui-même qui achève son initiation. Candide est donc un véritable défi pour qui veut le porter à la scène. Devant un rideau de fortune, des personnages qui portent leur ballot de vêtements, la fête commence, avec, au sol, des projecteurs frontaux. Les acteurs déclament, et vivent ici avec fureur la succession des événements : mises en demeure oratoires, courses effrénées, hommes qui, comme des paons, font mentalement la roue dans leurs conquêtes exterminatrices, effondrement des victimes comme Candide et ses amis. Mais ils se réveilleront avec la volonté d’en découdre et de ne pas se soumettre aux vainqueurs.
Gilles Geenen, Marc Lamigeon, Roxane Palazotto et Caroline Arrouas jouent avec gourmandise tous les personnages: bourreaux, victimes, hommes et femmes, jeunes et vieux. Jonas Marmy, heureusement inspiré, n’incarne pas, lui, un Candide naïf et passif mais conserve un tonique esprit de révolte contre la folie d’un monde décevant… Un vrai Candide de notre temps, vif, réactif et autonome.
Les personnages imaginés par Voltaire étranglent leur tristesse, oublient leurs souffrances, dansent leur joie, puis rassemblent leur énergie. Paisibles dans telle scène, indisciplinés et turbulents dans telle autre, mais… jamais là où nous les attendons. Les voici au Portugal soumis aux fureurs volcaniques: ils se tiennent à peine debout, tombent puis se rattrapent au dernier moment.I ls déplacent les structures en barreaux de fer sur roulettes, installent les micros ou traînent la poussette éclairée d’une loupiotte, d’un protestant hollandais vagabond, ou font glisser le trône d’un puissant Jésuite et prédateur au Paraguay.
Dans une tempête, les passagers d’un bateau se tiennent à un bastingage fragile et brinquebalant d’un côté à l’autre sans répit : le tournis atteint le public et les interprètes jamais à bout de souffle continuent à se battre pour exister. En assistant à ce Candide à la vitalité scintillante et incarnant les événements du monde, le public devient lui aussi philosophe…
Véronique Hotte
Théâtre de Vanves, du 28 novembre au 2 décembre. T : 01 41 33 92 91.