Les Palmiers sauvages

 Les Palmiers sauvages, d’après la nouvelle de William Faulkner, mise en scène de Séverine Chavrier

   LES PALMIERS ssauvages-20140924-436-hrSéverine Chavrier travaille un théâtre ancré dans la littérature, et un espace scénique qui fait matière de tout : musique, voix, corps, vidéo,  scénographie, et qui semble  construit à l’arrache,  mais   en fait  très travaillé, à partir de rudes improvisations avec acteurs et musiciens sur le plateau.
Palmiers sauvages, décrit la passion brutale de deux êtres devenus marginaux: Charlotte a quitté son mari, ses enfants et sa vie plutôt bourgeoise, pour aimer Harry qui interrompt ses études de médecine et va  s’enfuir avec elle. Mais les feux de l’amour vont se transformer en descente aux enfers, vécue jusqu’au bout de la chair et de l’âme.
Charlotte finira par en mourir et Harry sera interné. «Une passion vécue comme une œuvre d’art, dit la metteuse en scène, n’est-elle pas une entreprise solitaire, vouée à l’échec? Charlotte nourrit une passion dévorante pour Harry, auteur de romans pornographiques commerciaux; il est aussi fort épris d’elle mais reste nostalgique de sa vie tranquille et accorde de l’importance à sa réussite sociale et financière.
Cette réflexion sur l’art, dit aussi Séverine Chavrier, est aussi un des moteurs de ce roman sensuel, terrien, plein d’odeurs, bruits et silences, avec une cavalcade dans de multiples paysages, entre les moments de vérité essentielle que disent, et se disent les amoureux : l’amour comme souffrance. Les relations existentielles font l’œuvre de Faulkner, mais  l’amour aussi fort  de ces êtres passionnés mais profondément désemparés ne les mènera qu’à la mort.
Le spectacle est construit comme le paysage chaotique d’une décomposition intérieure avec, chez ce couple, une véritable confusion des sentiments,  auxquels font écho les éléments de l’espace auditif et visuel extérieur: vent, tempête, sonorisés à outrance… Ceux d’un univers, urbain ou marin, peu charitable envers l’homme:  sensualité lourde d’une nature au mieux indifférente, le plus souvent menaçante, solitude existentielle aigüe, et sauvagerie irrépressible d’un monde auquel on ne peut échapper… Trajet des amants maudits et chemin de croix depuis une vie de bohème jusqu’au cabanon d’une plage!
Cris de secours, de haine ou de souffrance, et coups de marteau – tels ceux qu’on porte aux clous secs frappés d’un cercueil -, et signes saisis comme des éblouissements de la conscience…. Autant de rappels du Bruit et la Fureur (1929) et de Tandis que j’agonise (1930), autres œuvres de William Faulkner.
Dans un immense et poétique entrepôt, conçu avec un humour plein de santé par Benjamin Hautin, s’accumulent, comme dans les réserves d’un supermarché, des boîtes de conserve qui tombent sur le sol, une à une, dans la moquerie et la dérision de la vie, avec un bruit métallique… Symbole d’une industrialisation et d’une production à outrance, jusqu’à l’abandon total de ces objets commerciaux devenus inutiles et oubliés, comme dans un étrange grenier de la mémoire.
Une douzaine de matelas  jonche le sol, comme si la vie se réduisait à un lit tranquille, apte à recevoir les ébats des deux amoureux en proie à une passion effrénée. Il y a aussi une machine à écrire antique qui attend son écrivain de pacotille, et quelques photos pornos que filme Charlotte sont  projetées en fond de scène, ainsi que  les visages et corps des personnages, des rues, des nuages et des paysages ruraux, comme chez Krzystof Warlikowski.
La metteuse en scène possède une véritable culture du théâtre contemporain,  et cite des esthétiques  qu’elle sait reproduire avec précision. Des musiques diverses, dont des morceaux d’œuvres classiques pour piano, envahissent l’espace et ne le quittent plus; on ressent ainsi une osmose entre images et sons, comme sait en créer, par exemple, François Tanguy et son Théâtre du Radeau.
Les comédiens excellents, fous, engagés, sont heureux de jouer, comme Laurent Papot (Harry), clone du jeune acteur et metteur en scène Vincent Macaigne, (voir Le Théâtre du Blog) qui a cette même effervescence, cette même envie d’en découdre avec le monde et de le parcourir, de le maîtriser pour ensuite le dévorer… et le recracher. Deborah Rouach qui incarne pleinement la pétillante et fragile Charlotte, rappelle cette actrice singulière qu’est Norah Krief; ils y vont aussi à fond, sans distance aucune. Comiques malgré eux, dans leur nudité physique et avec leur micro H.F. collé au corps…
Un spectacle en forme de performance, à la fois sourde et obsédante, prend le cœur du spectateur, sans jamais lui laisser de répit. Pari scénique qui ne peut laisser indifférent, tant ici est pensée et mise en scène la matière foisonnante de cette nouvelle de William Faulkner, avec tous ses excès, où l’âme est malade…

Véronique Hotte

Nouveau Théâtre de Montreuil, jusqu’au 12 décembre. T: 01 48 70 48 90


Archive pour 7 décembre, 2014

La Casa de España

La Casa de España : Maguy Marin dans le quartier de la Petite Espagne, conception et mise en scène de Maguy Marin

Ces « pièces d’actualité », confiées à des artistes par le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers répondent à la question : la vie des gens d’ici, qu’est-ce qu’elle vous inspire? Il s’agit, pour Marie-José Malis, sa nouvelle directrice, de « renouveler l’idée du théâtre comme  agora ». Maguy Marin, auteur de la pièce d’actualité n° 2, a choisi de se plonger dans le monde de la Petite Espagne, un quartier de Seine-Saint-Denis, terre d’accueil pour de nombreux émigrés venus d’au-delà des Pyrénées.
La chorégraphe nous entraîne dans un lieu de spectacle insolite : le Hogar de los Españoles. Ancienne salle de patronage, fermée depuis 2012, au grand dam et malgré les vives protestations de la communauté espagnole, et située dans l’enceinte de la Casa España, à la Plaine Saint-Denis, elle appartient à l’Etat espagnol. La réouverture temporaire de ces locaux d’apparence modeste mais chargés d’histoire, augure peut-être de leur réhabilitation, et c’est avec émotion et espoir que le public s’y presse. Ici, on parle espagnol, dans la salle comme sur scène.
Maguy Marin a réuni ici des amateurs, de différentes générations et d’horizons divers mais tous immigrés hispanophones de plus ou moins longue date, et leur a proposé de partager leurs expériences et la mémoire de tout un peuple. Tout commence et se poursuit par des chansons, qu’on entonne autour d’une table où un repas coloré se prépare : poivrons, tomates…
Airs populaires, berceuses, chants de la guerre civile, et même Marseillaise en espagnol, rythment le spectacle, ainsi que des poèmes comme le magnifique Caminante, no hay camino d’Antonio Machado : « Toi qui marches, ce sont tes traces/ le chemin, et rien de plus / toi qui marches, il n’y a pas de chemin/ le chemin se fait en marchant/ en marchant se fait le chemin… »  Ce  poème, choisi par Maguy Marin, évoque le destin des êtres mais aussi sa manière de créer.
Chaque acteur a aussi sa propre histoire à raconter en direct, tandis qu’on projette des moments du témoignage filmé d’une vieille dame - la mère de Maguy Marin-  qui raconte la fuite de sa famille à Toulouse et la dictature du général Miguel Primo de Rivera à la tête de l’Espagne de 1923 à 1930. « Je suis moi-même fille d’émigrés espagnols, dit-elle, et cette histoire est aussi la mienne. »
Ces paroles d’exilés, toutes émouvantes, composent d’un siècle à l’autre une mémoire commune de souffrances mais aussi de résistance et de luttes, avec des récits mis en scène par petites séquences, où chacun des protagonistes se détache du groupe, toujours occupé aux préparatifs du dîner. Ensemble, ils se déploient aussi dans l’espace, chœur disparate de corps alertes ou fatigués, tous bien présents. On découvre avec eux des vies singulières.  «Gracias a la vida » (Merci la vie) ! Comme le dit la chanson de Violeta Parra joliment interprétée ici par Emilie Hériteau, qui a rejoint le groupe pour le final, avant que l’on serve la soupe à l’assistance.
Maguy Marin a toujours montré de l’intérêt pour les gens face à l’oppression. « Cette indignation constitue le moteur de mes pièces,  dit-elle, et sur le plateau, nous essayons de donner forme à cette colère qui vient de la violence du monde ». Ici, l’ambiance est plus apaisée, plus bon enfant que dans ses dernières œuvres, et elle s’est surtout attachée à fédérer un groupe autour d’une mémoire commune, à faire voir et entendre des personnes, portant le poids de leur vécu dans leur corps et dans leurs dires.
Une expérience qui nous dévoile un aspect méconnu du travail de Maguy Marin et nous fait découvrir un quartier, témoin de l’histoire ouvrière du XXème siècle, aux confins d’Aubervilliers et de Saint-Denis, derrière le Stade de France. Pour toutes ces raisons, il faut y aller.

 Mireille Davidovici

Théâtre de la Casa  España, 10 rue Cristino Garcia, Saint-Denis, jusqu’au 14 décembre. Navette gratuite depuis le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. T: 01 48 33 16 16

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Nuits blanches

Nuits blanches d’après Sommeil, nouvelle d’Haruki Murakami, adaptation et mise en scène d’Hervé Falloux, texte français de Corinne Atlan

 admin-ajaxHaruki Murakami a 65 ans; il a enseigné la littérature japonaise dans diverses universités aux Etats-Unis, puis  est rentré au Japon, après le tremblement de terre de Kobé en 1995, et l’attentat du métro de Tokyo.
Il a traduit F. Scott Fitzgerald, Raymond Chandler… et a écrit de nombreux romans et nouvelles
, comme entre autres Écoute le chant du vent (1979), La Fin des temps (1992), La Ballade de l’impossible (1994), Après le tremblement de terre (2002), Kafka sur le rivage (2006), Saules aveugles, femme endormie (2008),  Les Attaques de la boulangerie (2012) et Underground (2013).
Sommeil, est une nouvelle qui a pour thème, la grave insomnie dont souffre une jeune femme qui va prendre conscience de l’urgente nécessité pour elle de changer de vie. Ce qu’a vécu aussi Hervé Falloux: « Le désir de la porter à la scène, dit-il, est d’abord lié à ma propre histoire. Apparemment je vivais une vie agréable et équilibrée. Ma femme me souhaitait une bon
ne journée, quand j’accompagnais mes filles à l’école tous les matins et nous lui répondions: « Bonne journée », en agitant les mains. Ma vie était encombrée de petits rituels et devenait de plus en plus monotone. J’étais ensommeillé, endormi, mort à moi-même.
Cette nouvelle a été un révélateur de la morbidité de ma vie et a accompagné mon chemin vers ma nouvelle vie ». On comprend bien qu’un metteur en scène puisse trouver une résonance de son parcours personnel dans l’écriture d’un grand écrivain mais reste l’ét
ernelle question; comment faire passer sur un plateau une œuvre des plus littéraires qui soient, à la fois délicate et complexe, où pointent souvent humour et tendresse, et où l’onirisme et la banalité de la vie quotidienne forment un curieux couple.
Comment aussi rendre crédible le personnage, aussi énigmatique  que touchant, de cette femme qui a perdu le sommeil pendant dix-sept nuits, et donc la notion de l’espace et du temps. Elle  ne cesse de s’interroger sur elle-même, et sur le curieux état où elle se trouve plongée: « Je ne peux pas dormir, tout simplement, dit-elle,  pas même un petit somme. A part cela, je suis tout à fait dans mon état normal. Je n’ai pas sommeil, ma conscience reste parfaitement claire… Je ne suis pas fatiguée… Simplement je ne dors plus »
Ici, malgré la belle présence de Nathalie Richard, passées les dix premières minutes, on a du mal à  être en empathie avec  son personnage, et le spectacle ne fonctionne pas bien. La faute à quoi? D’abord et surtout à une adaptation assez pesante (mais c’était sans doute mission impossible!)  où on ne retrouve ni l’esprit  ni la finesse d’écriture d’Haruki Murakami,  à laquelle ne correspond en rien une mise en scène palote et une direction d’acteurs beaucoup approximative.
Pourquoi, entre autres, laisser l’actrice aussi souvent statique? Elle mérite beaucoup mieux que cela! Pourquoi cette absence de rythme, pourquoi ces effets vidéo sur trois hauts châssis qui rappellent vaguement la peinture de Nicolas de Staël?  Et une nouvelle, si elle n’a pas été réécrite par l’auteur pour qu’elle soit montée au théâtre, (ce qui est rare!), a souvent le plus grand mal à supporter l’épreuve d’un plateau. N’est pas Tchekhov qui veut! Il avait adapté, entre autres, Les Méfaits du tabac ou La Demande en mariage, avec un sens de la parole théâtrale des plus remarquables… Il n’y a pas d’adaptation innocente, dit avec raison, Gérard Genette, et  celle-ci, bavarde et réductrice, même
en soixante minutes parait bien longue  et n’a rien de convaincant: on décroche donc assez vite!
L’interrogation de cette jeune femme sur ses choix de vie et sur son indépendance, adaptée en monologue (avec leçon de morale en conclusion: femmes insomniaques, évitez d’aller traîner sur les quais la nuit si vous ne voulez pas vous attirer) a eu bien du mal à nous concerner vraiment et n’en finit pas de finir!
Alors à voir? Soyons francs: on ne voit pas bien les raisons de vous pousser à y aller, même si vous aimez bien Nathalie Richard et/ou Haruki Murakami….  Mieux vaut sans doute relire cette  nouvelle, et ses romans .

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Oeuvre, 55 Rue de Clichy, 75009 Paris, du mardi au vendredi à 19h, et  les samedi et dimanche à 18h. Sommeil est publié chez Belfond, et dans la collection 10-18.

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