Wolfgang
Wolfgang, de Yannis Mavritsakis, traduction Dimitra Kondylaki et Emmanuel Lahaie, mise en scène Laurence Campet
À pas de loup, Wolfgang tourne autour de la petite Fabienne. Il l’aime bien, elle se confie à lui. Cet homme encore jeune, sensible, capable de parler avec une enfant, n’a rien d’extraordinaire : il taille sa haie un peu moins bien que le voisin, s’agace des visites répétées de sa mère, se laisse aller parfois à sortir avec à ami, bricole la vieille voiture de son père…
Ce n’est que la façade terne de la vie, il rêve d’autre chose. Déçu par une rencontre d’un soir, il s’engage dans la quête d’un amour absolu, total, entièrement à sa main. Il enlève la petite fille. Sans violence : il lui a préparé un « refuge » où elle sera complètement protégée de la guerre qu’il invente pour la garder. Dans un même mouvement, elle accepte cette protection et n’accepte pas de ne rien savoir, réellement, du dehors. La lumière du soleil, la liberté de mouvements l’appelleront un jour, inévitablement.
Ce qui est frappant, c’est à quel point les fantasmes de Wolfgang parlent de la réalité du monde, sous leur nuage de fiction : la guerre, dont il se fait le conteur, existe bel et bien, au moins dans les représentations de tous ceux qui ont la chance de ne pas y être pris physiquement. Et l’homme, qui se veut seul maître de lui-même, sait bien au fond que le fantôme de son père existe et le tire par les pieds, comme le regard perçant de sa prophétesse de mère le cloue à sa destinée. Il sait aussi qu’il n’échappera pas lui-même à la fatalité du tyran, à la tentation de briser celle qu’il croit posséder.
C’est un conte, et une tragédie. Et, comme dans les contes, on connaît la suite et la fin. Mais, quand l’événement attendu se produit, il est d’une théâtralité saisissante. D’autant que la scénographie et la mise en scène sont d’une parfaite sobriété. De petites haies se transforment discrètement en écran ou en cage : aucun objet inutile, rien de trop.
On n’aura, comme la jeune séquestrée, que le petit luxe d’une fée clochette sautillant comme un insecte sur une projection de fleurs légères, petit moment d’échappée dans l’enfance. Le jeu des comédiens est exemplaire : presque trop rentré au début, il s’ouvre à mesure que la tragédie avance, droit et sans fioritures. En même temps, ils nous laissent entendre les résonances psychologiques, sociales, (on oserait presque dire anthropologiques) de la pièce.
Laurence Campet l’avait découverte et mise en lecture en 2013, à l’occasion de la manifestation Traduire Transmettre, à l’Atalante, consacrée cette année-là à la Grèce. Impossible d’échapper à une pièce aussi forte, et à un auteur mis à l’honneur (mérité) au dernier festival d’Avignon : elle l’a saisie d’une main ferme, et humaine.
Christine Friedel
Théâtre de l’Atalante T: 01 46 06 11 90, jusqu’au 12 décembre.Les lundis, mercredis et vendredis à 20h30; les jeudis et samedis à 19h, et les dimanches à 17h. Relâche les mardis. Matinée supplémentaire le 11 décembre à 15h30.
Et du mercredi 1er au dimanche 12 avril 2015; matinée supplémentaire le jeudi 9 à 15h30.