Entretien avec Claire Lasne Darcueil

 

Entretien avec Claire Lasne-Darcueil, directrice du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique.

Fred Pickerin

 

Son prédécesseur Daniel Mesguisch avait dû faire face à une révolte des élèves et à un malaise chez les enseignants, ce qui rendait évidemment impossible son maintien à la direction de cette école historique où rêvent d’entrer de nombreux candidats à une aventure théâtrale.
D’abord comédienne, Claire Lasne-Darcueil avait fait son apprentissage à l’ENSATT puis dans ce même Conservatoire national. Elle mit en scène en 1996, Platonov de Tchekhov au Théâtre Paris-Villette que dirigea avec une rare acuité Patrick Gufflet; cette réalisation exemplaire, unanimement saluée, la fit connaître au grand public, puis elle devint avec son mari Laurent Darcueil,  aujourd’hui disparu, directrice du Centre dramatique de Poitou-Charentes. Comme autrefois Jean Dasté le fit autour de Saint-Etienne, elle alla au devant du public avec un chapiteau, là où il n’y a pas de salles, dans de petites villes ou villages de la région. Puis elle dirigea la Maison Maria Casarès.

  Elle s’est toujours  passionnée pour la pédagogie théâtrale, et les anciens élèves de l’Ecole du Théâtre national de Chaillot se souviennent encore du remarquable stage sur Tchekhov qu’elle avait animé. On la sent déterminée, solide, munie de l’indispensable expérience, et de l’énergie pour diriger cette école qui dispose de moyens, et d’enseignants de grande qualité, mais à laquelle on a souvent reproché, et non sans raison, de prélever les meilleures des jeunes pousses en France, d’avoir un enseignement teinté d’un certain conformisme et de « produire » chaque année, trop d’élèves formatés, et de n’être pas toujours en phase avec le théâtre le plus vivant…
Le Conservatoire national a eu longtemps le quasi-monopole de l’enseignement, dit supérieur, de l’art dramatique, ce qui n’est plus heureusement le cas. Les services du Ministère de la Culture n’ont jamais fait preuve d’imagination ni d’intelligence et ont toujours eu une politique des plus conservatrices, quand il s’agissait de prendre les bonnes décisions à long terme. Heureusement, les lignes sont en train de bouger.

  En fait, les enseignements artistiques n’ont jamais passionné la classe politique ni les énarques et assimilés. Du coup, que soit pour  l’enseignement des arts plastiques, de la musique, du théâtre ou du cinéma, on revient de loin.
Claire Lasne-Darcueil nous fait part ici des réformes qu’elle entend mener.

- Cela fait un an que vous êtes arrivée aux commandes du Conservatoire National. Quel bilan?

- J’ai d’abord accompagné le programme de Daniel Mesguich mon prédécesseur; puis, en octobre dernier, j’ai commencé à mettre en place une nouvelle pédagogie, dont un des éléments mais pas le seul  est constitué par une école gratuite de préparation aux concours du Conservatoire mais aussi des Ecoles nationales, ce qui me parait important.
Mais j’ai bien conscience que c’est une question  épineuse: on peut passer facilement pour quelqu’un qui se donne bonne conscience, qui est dans la démagogie. Qu’importe, j’y tiens et on va le faire, c’est tout; mais je ne veux pas en parler  davantage, les choses ne sont pas encore avancées.

-Vous le savez bien, en France, le nombre des écoles de théâtre, à la fois publiques et privées a, depuis dix ans, beaucoup augmenté, ce qui change fondamentalement le paysage de l’enseignement. Puisque les jeunes gens qui en sortent  doivent souvent faire preuve de nombre de compétences pour avoir du travail…

-Oui, bien sûr, et on beaucoup de questions à se poser au plan national,  sur l’insertion professionnelle, mais ici ce n’est pas vraiment un problème. Notre école, très ancienne, est à Paris et a acquis depuis longtemps une vraie légitimité quant à l’enseignement du métier théâtral, mais, s’il y a une dizaine de bonnes écoles en France, qui s’en plaindrait? La Bolivie (dix millions d’habitants), en possède une seule…
Si j’ai posé ma candidature  à la direction du Conservatoire, c’est pour moi une façon d’agir concrètement. Quant au reste: une politique théâtrale en France dans son ensemble, ce n’est pas de mon ressort. L’état du théâtre en France, la nécessaire évolution des Centres dramatiques et des scènes nationales, cela me concerne sûr mais encore une fois, ce n’est pas mon travail…
Ma mission à moi, est claire et précise: former de jeunes gens capables de donner des réponses intéressantes, les rendre forts, confiants en eux, et capables de saisir le monde avec  autorité mais aussi avec bienveillance envers les femmes et les hommes qui étaient là avant eux dans la profession.
Pour moi, disons que j’ai eu beaucoup de chance, et ce que j’ai pu vivre dans l’institution théâtrale, a été complètement heureux, je tiens à le dire, et je crois avoir été fidèle à mes rêves d’enfance. J’ai mené cette expérience avec des gens que j’aimais et que j’appréciais.
Si je n’étais pas là, je serais en validation d’acquis en art-thérapie à la Sorbonne, et je suis très reconnaissante aux gens qui m’ont suggéré d’être candidate à ce poste; l’avoir obtenu est un immense cadeau de la vie…

- Quelle est votre équipe actuelle et quels sont les grands axes de votre politique pédagogique?

-  Il y a trente et un intervenants dont bon nombre que vous connaissez, puisque vous avez parlé à plusieurs reprises dans Le Théâtre du Blog  des travaux d’élèves: Sandy Ouvrier, Daniel Martin, Robin Renucci, Nada Strancar, Lucien Attoun… Mais je tiens aussi à inviter des artistes comme Thomas Ostermeier, Fausto Paravidino, Stuart Seide, Bernard Sobel…
Par ailleurs, je considère que la musique et le chant, comme dans  toutes les écoles des pays  de l’Est, et primordiale. Nous avons maintenant six professeurs de chant,  et trois accompagnateurs qui sont impliqués dans l’enseignement, et il y a aussi un piano dans chaque salle. Enfin, je considère aussi que l’activité physique, et l’échauffement avant un cours d’interprétation sont très importants; les heures de cours de danse ont donc été doublées.
Je suis convaincue d’un indispensable retour à la valorisation des enseignements plus « techniques » comme le chant, la danse, le clown, le masque… et à l’idée de progression,  à partir d’une première année fondamentale. La troisième et dernière année étant plutôt réservée à des ateliers de pratique. Quant au concours, il me semble aussi utile d’avoir un petit entretien avec les candidats, ce qui nous permettra de les faire parler des raisons qui les ont conduit là.
Nous sommes par ailleurs en dialogue avec des metteurs en scène comme Matthias Langhoff, Jean-Pierre Vincent ou Philippe Adrien qui nous apportent à la fois leur point de vue et leur expérience pour le cycle de formation à la mise en scène. Le Conservatoire accueille en effet depuis deux ans,  des élèves comédiens et/ou metteurs en scène dans le cadre d’une formation de deuxième cycle, pour une durée de deux ans; en juin dernier, cinq élèves ont pu ainsi présenter leur projet au Théâtre 95 de Cergy-Pontoise.
Mais, pour le moment, nous avons fait le choix de ne pas recruter d’élèves dans le cadre existant. Et nous élaborons un nouveau cursus d’enseignement avec cours, stages et ateliers de réalisations collectives.
Par ailleurs, existe déjà un diplôme national de comédien délivré par le Conservatoire, ce qui permet aux élèves qui l’obtiennent de pouvoir obtenir conjointement une licence mention Arts du spectacle théâtral à l’université Paris VIII. Quelques élèves peuvent aussi demander à effectuer leur deuxième année dans un établissement supérieur français ou étranger.
Enfin, SACRE ( Scineces, Arts, Création, Recherche), formation doctorale créée en 2012, est le résultat de la coopération entre notre maison, le conservatoire national de danse, l’Ecole des arts déco, la Fémis, l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. C’est une sorte de plate-forme d’échanges entre sciences exactes, sciences humaines et littéraires,  et pratiques de création avec,  à terme, la création d’un doctorat.

- On entend dire dans la profession que les élèves du Conservatoire ne représentent pas vraiment la société d’aujourd’hui  et seraient issus des classes sociales privilégiées, et très peu des banlieues? Est-ce exact?

-Non; en effet, la moitié de ces élèves, ce qui est déjà beaucoup, a droit à une bourse du CROUS sur dix mois, et non imposable; il y a aussi des aides d’urgence versées par le ministère de la Culture  si leur situation personnelle le justifie, et des aides ponctuelles versées par le Conservatoire  pour tous les élèves boursiers ou pas. Et enfin un accord avec la ville de Paris a été conclu et dix logements sociaux sont attribués chaque année. Tout cela étant bien entendu très contrôlé.

- Vous avez un peu plus de cent élèves. Arrivez-vous à les connaître?  

-Ce n’est pas facile mais je m’efforce de les rencontrer personnellement. Il me semble que c’est aussi mon rôle, et il y a un retour formidable de leur part.

- Quelles sont vos relations avec des Ecoles comme celle des Arts Déco,  dont la section scénographie, sous la direction de Guy-Claude François, a longtemps collaboré avec l’Ecole du Théâtre National de Chaillot?

-Ces relations déjà anciennes continuent aussi à exister chez nous , en particulier pour les décors des travaux des élèves de troisième année. Avec la FEMIS, elles ont été renforcées  et il y aura un atelier commun annuel de réalisation  avec les élèves de nos deux écoles pendant une semaine; l’an prochain, il y aura aussi  une collaboration importante avec le Conservatoire national de musique et de danse pour la mise en scène du ballet du Malade imaginaire de Molière, avec nos élèves, et les élèves musiciens et peut-être danseurs. Et, à terme, nous travaillerons probablement avec l’Ecole Nationale des Beaux-Arts, même si c’est sans doute un peu plus compliqué.
Il me semble aussi important que nous ayons une réflexion sur le fonctionnement du théâtre contemporain, à l’heure où les créations scéniques se font souvent  en relation directe avec les nouvelles technologies. Une école comme le Conservatoire ne peut en faire l’économie et l’enseignement du théâtre doit aussi prendre en compte l’évolution de la société, du public et des technologies: on ne peut plus aborder une création, comme on le faisait, il y a quarante, ni même vingt ans…

Philippe du Vignal

Prochaines présentations publiques des ateliers  danse  et clown:  les 18, 19, 20 et 21 mars.

 



Archive pour 17 décembre, 2014

Le Fantasme de l’échec

C-Louise-Kehl_carrousel_spectacle

Le Fantasme de l’échec, divertissement prosopographique, conception de Véronique  Bettencourt

Véronique Bettencourt est de ces artistes complets, certains disent protéiformes, qui sont capables d’écrire, de mettre en scène,  mais aussi de jouer, chanter, danser, et filmer. Sur la scène des Ateliers, lieu  confié depuis peu à Joris Mathieu, défenseur d’un théâtre ouvert à l’image, à la vidéo et à la musique, elle donne à voir un spectacle original qui  se veut un questionnement sur la réussite ou l’échec artistique.
  Pourquoi une œuvre ne peut-elle être appréciée qu’en termes de réussite? Qu’est-ce qu’un artiste reconnu? Celui qui vit de son art, voire fait fortune ? Ou celui qui survit tout juste ? Celui qui intéresse les critiques? Ou le grand public ? Celui qui croule sous les subventions et les commandes ? Celui qui sort de sa province pour se faire connaître à Paris (ne pas oublier que pour les provinciaux, aujourd’hui encore, après des décennies de décentralisation, il n’y a de consécration qu’à Paris !) ? Qu’est-ce qu’un artiste raté ? Celui qui vide les salles et s’enferme dans la solitude et l’amertume?
  Véronique Bettencourt a pris son bâton de pèlerin, enfin presque, puisqu’il s’agit d’un micro-perche géant, pour aller recueillir les propos d’artistes, en réalité, une savoureuse série de loosers qu’elle rencontre au cours d’une déambulation qui la mène de Lyon à Dijon, en passant par sa Bourgogne natale avec une incursion parisienne.
  Elle les interviewe et les filme en super-huit ou vidéo, caméra à la main plus qu’à l’épaule, comme le faisaient parfois les  artistes de performances des années 80.  Véronique Bettencourt soumet ici ces vrais/faux entretiens  à un sociologue (interprété avec humour par Stéphane Bernard) qui devrait la guider dans sa recherche mais  qui est lui-même obsédé par un échec, celui de La Laitière et le pot au lait, la fable de La Fontaine qu’il récite de façon récurrente, dans un grand numéro de jonglage avec des balles multicolores qui lui échappent de temps à autre.
   Le plateau est un assemblage d’écrans  où sont projetées les interviews. Mais, sous cet apparent bricolage, « ce bazar multi-média-povera », comme il nous est précisé, il y a un travail méticuleux et inventif. Un musicien (Fred Bremeersch), omni-présent, accompagne le spectacle. Certes, il n’y a pas vraiment ici de réponse au questionnement sur le fantasme de l’échec, mais on suit avec plaisir cette déambulation où Véronique Bettencourt sait utiliser avec habileté, la dérision et la poésie.

Elyane Gérôme

 Le spectacle a été joué au Théâtre des Ateliers, 5 rue du Petit David, 69002 Lyon, et le sera au Théâtre Saint-Gervais à Genève, du 10 au 21 mars.

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