Oncle Vania mise en scène de Pierre Pradinas
Oncle Vania d’Anton Tchekhov, traduction d’Elsa Triolet, mise en scène de Pierre Pradinas
Oncle Vania n’a peut-être pas la célébrité de La Mouette, des Trois Sœurs ni surtout celle de La Cerisaie mais pourtant quelle pièce! Et, comme Platonov, Vania attire régulièrement les metteurs en scène. On a pu voir il y a peu la réalisation très inégale d’Eric Lacascade, mais surtout il y a quelques années, celle, tout à fait remarquable, du Théâtre de l’Unité pour le plein air, et qui doit maintenant atteindre la quatre-vingtième! (voir Le Théâtre du Blog).
« Sa modernité, dit Pierre Pradinas, n’est pas seulement dans l’abandon du récit traditionnel, de l’histoire, elle est aussi dans la mise en évidence des micro-comportements, des détails incongrus, des coqs-à-l’âne dont nous sommes coutumiers et qui relèvent de notre fantaisie”. Le tout en quatre actes sans découpage par scènes, ce qui est une vraie nouveauté à l’époque.
On ne fait pas assez attention aux sous-titres mais celui d’Oncle Vania: Scènes de la vie de campagne est clair: pas vraiment de drame ici, rien de tragique, sinon des moments de vie teintés de tristesse et de solitude dans ce microcosme rural, où tout le monde se connait et s’observe; les gens venus de la ville semblent mal dans leur peau, passent leur temps à vouloir qu’on les aime, ou du moins que l’on s’intéresse à eux. Toujours touchants mais un peu ridicules avec leur soif de vivre, voire grotesques, ou du moins comiques, mais ni plus ni moins que les gens de la campagne…
Ici, dans cette famille, les sources de conflit ne manquent pas: affaires d’argent et de terres, comme dans La Cerisaie; on parle très souvent fric: emprunts à long terme, dettes et factures chez Tchekhov, mais aussi affaires d’amour, ou du moins de désir amoureux… On est, à la fin du XIXème siècle, dans le domaine de Sonia, la nièce de Vania et la fille du professeur Sérébriakov venu en villégiature avec sa seconde femme, la belle Elena, plus jeune que lui; Sonia est seule et amoureuse depuis longtemps mais sans retour d’Astrov, un médecin de campagne visiblement très attiré par Elena.
Vania, lui, à quarante sept ans, a trimé dur toute sa vie pour envoyer les revenus de la propriété à son beau-frère Sérébriakov, qu’il admirait mais qui l’a terriblement déçu! « Tous tes travaux, que j’aimais tant, ne valent pas un sou. Tu nous as trompés ». Le professeur lui, est à la retraite ; il est venu ici en villégiature avec Elena mais il se sent vieillir et n’arrête pas de se plaindre, de la vie en général, et de sa vie à lui.
Il y a aussi dans cette galerie de personnages, Marina, la nounou de Sonia, et Maria sa grand-mère et mère de Vania, et donc aussi la belle-mère du professeur qu’elle admire aveuglément. Téléguine, dit Gaufrette, à cause de la petite vérole qui a ravagé son visage, est un propriétaire ruiné qui vit à la ferme, aux dépens de Sonia et Vania.
Bref, la vie s’écoule lentement et Tchekhov sait rendre magnifiquement avec un grand souci du détail la vie de ces gens.
Elena surtout et son professeur de mari comprennent qu’ils n’ont pas leur place ici et repartiront plus vite que prévu. Sérébriakov et Vania échangent des excuses mais une page se tourne: Sonia et Vania retournent à leur destin de célibataires, et dans la dernière scène, on les voit s’occuper des comptes et des factures de la propriété. Bref, la vie normale, un instant bouleversée par l’arrivée du couple, reprend son cours: « Nous allons vivre, oncle Vania, dit Sonia fataliste. Passer une longue suite de jours, de soirée interminables, supporter patiemment les épreuves que le sort nous réserve». Le temps passera et ils sont bien conscients qu’ils deviendront vieux (c’est l’obsession de Vania) et qu’ils vont mourir, le thé chaud et la vodka surtout servant de calmant, quand ils repenseront à leur échec personnel.
Pierre Pradinas, loin du snobisme scénographique d’Eric Lacascade, propose pour sa dernière création à Limoges, puisque c’est Jean Lambert-wild qui va lui succéder, un Oncle Vania, simple, avec un décor presque traditionnel, signé de son frère Simon, avec terrasse, salon, salle à manger et chambre. Cela pourrait être une de ces vieilles demeures, souvent un peu vétustes et pas trop bien entretenues de la province française, comme on en voyait encore jusque dans les années 60, (la manie des chambres d’hôtes ne faisait pas encore fureur), où le temps semblait s’être arrêté. Et on regarde fasciné ces personnages si loin de nous et, en même temps, si proches.
Pierre Pradinas sait faire sonner, comme rarement, ce texte formidable de vérité que l’on connaît à force, presque par cœur. Sans criailleries, sans vidéos inutiles, sans effets lumineux, sans micros HF. Bref, du beau et solide travail théâtral. Malgré une distribution inégale: Scali Delpeyrat est un Vania un peu trop effacé et Romane Bohringer bouge très bien mais aurait tendance à minauder, et à jouer un peu trop les belles plantes. On comprend bien les intentions du metteur en scène quand il veut donner un accent impressionniste à cette pièce qui doit rester une comédie mais, au soir de la première, ce Vania n’avait pas encore trouvé tout à fait son rythme et sans aller à la vitesse (ce qui tourne vite au procédé) à laquelle Christian Benedetti soumet les dialogues de Tchekhov, on aimerait que les choses s’installent un peu moins.
Reste une mise en scène solide que le public de Limoges a longuement, et avec raison, applaudie.
Philippe du Vignal
La pièce a été créée au Théâtre de l’Union à Limoges du 9 au 17 décembre; elle sera jouée les 14 et 15 janvier à la Comédie de Caen – CDN de Normandie; du 20 au 23 janvier à La Coursive-Scène Nationale de La Rochelle ; les 26 et 28 janvier, à Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy.
Le 5 février au théâtre Princesse Grace de Monaco; du 11 au 14 février à la Comédie de Picardie d’Amiens; les 24 et 25 février, au Théâtre-Scène Nationale de Narbonne;
Du 3 au 6 mars au Théâtre de la Manufacture-CDN de Nancy-Lorraine ; les 10 et 11 mars à la Scène Nationale d’Albi; le 15 mars au Théâtre d’Ajaccio; et du 19 au 21 mars au Théâtre du Jeu de Paume d’Aix-en-Provence.