Histoire d’Ernesto et La pluie d’été
Histoire d’Ernesto, version pour marionnettes et comédiens de La Pluie d’été de Marguerite Duras et La Pluie d’été, adaptation et mise en scène pour comédiens de Sylvain Maurice
Le metteur en scène et directeur du Centre Dramatique National de Sartrouville s’est amusé, comme avec des poupées russes, à monter deux spectacles d’après La Pluie d’été de Duras: Histoire d’Ernesto qui penche vers un théâtre forain et La Pluie d’été qui souligne la dimension existentielle de l’œuvre. L’art de Marguerite Duras, dont on fête cette année le centenaire de la naissance, tient à cette manière bien personnelle de poser le désir – la libre sensation d’être – sans jamais l’épuiser. Aussi son théâtre s’épanouit-il paradoxalement dans une impression d’inassouvissement qui se dégage des répliques approximatives et lointaines de ses personnages rêveurs. Dans une tension d’autant plus tragique que ce qui est inexprimé, fort comme la pression de la vie qu’on ne peut contenir, gagne en réelle intensité. Un jeu intérieur séduisant se dessine à travers lequel le sujet-penseur joue à cache-cache avec lui-même, comme avec les autres.
Marguerite Duras parle de l’urgence d’un questionnement existentiel, face à la dureté du monde. Les personnages de prédilection de ces romans parlés vivent le plus souvent dans des lieux marginaux. Si l’auteure a vécu son enfance au Vietnam, dans une situation familiale et sociale décalée, elle rapproche inconsciemment cette épreuve fondatrice pour sa construction d’adulte, de l’initiation même d’Ernesto de La Pluie d’été, enfant de Vitry, entouré de ses frères et de ses parents alcooliques.
L’écriture de ces exclus- parole élaborée puis jouée de manière brute sur la scène, est une écriture à la limite de la transgression, et dégage un admirable tremblement dansé entre une conscience de soi qui est de plus en plus prégnante, à côté d’une apparence formelle traditionnelle.
C’est un regard singulier, étrangement pertinent, et on apprécie d’emblée l’exclusivité d’une parole libre et la petite musique de Duras: «M’man…j’t dirai m’man, je retournerai pas à l’école parce que à l’école, on m’apprend des choses que je sais pas. Voilà.».
À l’instituteur qui lui demande pourquoi il refuse d’aller à l’école, l’enfant rétorque : «Disons parce que c’est pas la peine… D’aller à l’école.(temps). Ça ne sert à rien.(temps). Les enfants à l’école, ils sont abandonnés. La mère elle met les enfants à l’école pour qu’ils apprennent qu’ils sont abandonnés. Comme ça, elle en est débarrassée pour le reste de sa vie. » La pensée du locuteur suit les battements de son cœur, avec silences et redites. Le monde est décidément loupé : ce sera pour le prochain coup!
Le premier de ces deux spectacles, destiné à tous les publics à partir de 9 ans, est une adaptation pour marionnettes manipulées par les élèves de l’École nationale supérieure des arts de la marionnette. Les figurines de Pascale Blaison éloquentes, au corps minuscule représentent le père et la mère d’Ernesto, adultes inachevés, malgré leur tête grandeur nature, celle du comédien qui joue à l’extrême des expressions du visage; un autre interprète, habillé de noir et placé derrière lui, manipule bras et les jambes de la marionnette. Ces parents peu sérieux ont un sourire amusé et Ernesto, lui, est joué indifféremment par tous les comédiens, toujours sur la brèche. Quant à l’instituteur, c’est une marionnette-tête, très agrandie, plutôt mélancolique, lassée par ce monde lourd à porter, parfois avec un « Maman, bobo… » à la bouche, comme dans la chanson d’Alain Souchon.
À la fin du parcours, Ernesto, moralement et philosophiquement libre et libéré, apparaît en figurine filiforme et agrandie, sculpture beckettienne, façon Alberto Giacometti (qui avait dessiné le fameux arbre d’En attendant Godot!). Entre les scènes de narration et de jeu, résonne une musique cristalline de comptine …
Cette Histoire d’Ernesto porte haut et beau le spectacle vivant pour tous publics dès 9 ans. Quant à La Pluie d’été, sa mise en scène, tendue et épurée, se présente comme un cheminement existentiel enfantin qui va du possible à l’impossible, puisqu’Ernesto a compris à l’aide d’un grand livre brûlé, L’Ecclésiaste, que tout n’était que vanité.
Ici le rire et l’humour sont souvent au rendez-vous à travers la trivialité et le parler populaire des parents : Catherine Vinatier est une mère enfantine, ludique et onirique et Pierre-Yves Chapalain est un père sensible et terrien dans sa maladresse. Philippe Duclos joue un instit, bon joueur et fantasque, et Philippe Smith, un journaliste rieur et à vélo. Julie Lesgages incarne la jolie sœur juvénile, complice d’Ernesto interprété par le troublant Nicolas Cartier, entre jeunesse et maturité.
Pour cette Pluie d’été, Marie La Rocca a imaginé un podium de grandes lattes de parquet sombre, que des lumières et des couleurs révèlent à travers des ouvertures de soleil.
C’est un travail raffiné et poétique au cœur de l’interrogation existentielle de l’enfance.
Véronique Hotte
CDN de Sartrouville, jusqu’au 19 décembre. Nouveau Théâtre d’Angers CDN, du 6 au 9 janvier. Théâtre National de Toulouse CDN, du 13 au 17 janvier. Théâtre de Bourg-en-Bresse, le 20 janvier. Le canal de Redon, le 23 janvier. La Comédie de Béthune du 28 au 30 janvier.
Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, les 3 et 4 février. Théâtre des Quatre Saisons à Gradignan, le 7 février. Les Scènes du Jura à Lons-le-Saunier, le 10 février. Comédie de l’Est à Colmar CDN, les 18 et 19 février. NEST CDN Thionville-Lorraine, du 25 au 27 février.
CDN de Sartrouville, du 2 au 7 mars. TJP-Strasbourg, les 24 et 25 avril.