Geschichten aus der Wiener Wald,(Légendes de la forêt viennoise)
Geschichten aus der Wiener Wald, (Légendes de la forêt viennoise) d’Ödön von Horvárth, mise en scène de Michael Thalheimer, en allemand sur-titré
Ödön von Horvárth s’en prend à l’image d’une Autriche idyllique et a donné pour titre à ce sombre mélodrame, celui d’une célèbre valse de Johann Strauss (1836), aussi enjouée que le propos de ces Légendes de la forêt viennoise est noir. C’est dans la pénombre que commence le spectacle mais dans la salle très éclairée, résonne longuement la musique, dont les paroles fleur bleue reviendront d’ailleurs souvent dans la bouche des personnages qui forment d’abord un groupe compact aligné au fond du plateau.
L’un après l’autre, ils s’en détacheront pour venir à l’avant-scène, comme pour se présenter au public, tout en entrant dans le vif de l’action. On va fêter les fiançailles d’Oscar le boucher et de Marianne, la fille du marchand de jouets mais visiblement, la promise n’aime pas son fiancé. Alfred, qui vit lui, aux crochets de Valerie, une riche veuve marchande de tabac, aura tôt fait de séduire Marianne pendant une baignade au bord du Danube. Il abandonne la riche veuve, et part avec Marianne que son père renie et qu’Oscar, lui, se jure de récupérer. La jeune femme donne naissance à un petit garçon, et le couple sombrera dans la misère. Pour Marianne, la déchéance n’est pas loin…
La pièce, procède par tableaux où les personnages s’affrontent souvent par deux. Le metteur en scène, à partir de cette construction, agence les déplacements des acteurs, et fait alterner les mouvements d’ensemble et les duos, dans une savante chorégraphie. Tout se déroule dans un lieu unique; seul décor pour figurer le quartier, la campagne, le cabaret, la maison des grand-mères du fils de Marianne: des variations de lumières et la disposition des corps dans l’espace.
Le groupe est toujours présent, cercle social «choisi», emblématique de la petite bourgeoisie, qui, en pleine crise économique, vit replié sur lui-même, reproduisant à l’infini, la mesquinerie, la grossièreté et le racisme. « Ne croyez pas que j’aime les Juifs », profère quelqu’un.
Ödön von Horvárth, avec ces Légendes de la forêt viennoise, écrite en 1930, au moment de la montée de l’extrême-droite à Berlin, où il s’est installé à la fin des années 1920, n’entend pas dénoncer le fascisme rampant, mais le démasquer dans le comportement de ses contemporains. Il détourne à cet effet la forme du Volksstück (pièce populaire), pour montrer la brutalité collective derrière la façade d’opérette de son pays natal, l’Autriche. «Je veux montrer les gens tels qu’ils sont, c’est-à-dire comme je les vois. Je ne les vois pas de manière satirique. Je ne suis pas non plus un auteur comique (…) écrit-il, dans son Mode d’emploi (au public), ajoutant : « Je hais la parodie. La satire, la caricature, oui parfois (…) Mon unique objectif est de démasquer la conscience. (…) Il faut bien entendu jouer ces pièces de manière stylisée, le naturalisme et le réalisme les tuent. (…)»
Michael Tahlheimer prend ces directives à la lettre, en couvrant progressivement les visages des comédiens de masques en carton grossiers et inquiétants. Pantins atroces et déshumanisés, ces figures composent une clique bête et méchante, participant au lynchage social d’une victime innocente, Marianne, à l’instar du garçon boucher, couvert de sang, qui, au tout au début, rêve de planter son couteau dans la petite fille qui n’a pas aimé son boudin : « Et si, en plus, elle courait dans tous les sens comme la truie d’hier, qu’est ce que ça me ferait plaisir. », se délecte-t-il. Saigner la truie est, avec les paroles de Geschichten aus der Wienerwald, l’un leitmotiv de la pièce.
La mise en scène donne une lecture juste mais univoque de cette œuvre. La direction d’acteurs ne fait pas dans la nuance : gesticulations, voire jeu hystérique pour Valérie qui se traîne et se roule par terre comme un chatte en chaleur, tout est stylisé à l’extrême, souvent caricaturé. Jusqu’à la prononciation du texte, qui accentue à l’envie les gutturales et les chuintantes.
A part la comédienne qui joue Marianne et qui garde un peu d’humanité dans sa gestuelle et son expression, les autres protagonistes s’en tiennent le plus souvent au grotesque. Quelques scènes muettes comiques se démarquent de l’ensemble, plus poétiques, mais se prolongent un peu trop. Dans cette mascarade, il y a un moment de grâce et d’émotion qui fait exception: une séquence du cabaret où, sous une pluie de confettis colorés, Marianne, devenue danseuse, découvre timidement sa poitrine, avant de se faire arrêter et jeter en prison pour vol.
«Dans toutes mes pièces, je n’ai rien embelli, rien enlaidi. J’ai tenté d’affronter sans égards la bêtise et le mensonge ; cette brutalité représente peut-être l’aspect le plus noble de la tâche d’un homme de lettres qui se plaît à croire parfois qu’il écrit pour que les gens se reconnaissent eux-mêmes », constate Ödön von Horvárth.
Si c’est la bêtise qu’il s’agit de démasquer, le but n’est pas ici vraiment atteint par ce carnaval outrancier, qui loin de la débusquer, l’exhibe. Même s’il est bien orchestré, et malgré le talent évident des comédiens du Deutsches Theater de Berlin (là même où la pièce avait été créée avec grand succès en 1931), le spectacle ne donne pas à entendre les finesses d’un écrivain que Peter Handke aime comparer à Shakespeare et Tchekhov.
Mireille Davidovici
Théâtre de la Colline, jusqu’au 19 décembre T. 01 44 62 52 52 www.colline.fr