Haine des femmes

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Haine des femmes, adaptation et mise en scène de Mounya Boudiaf, d’après Laissées pour mortes, témoignage de Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura, recueilli par Nadia Kaci.

 

Une histoire vraie : celle de la difficile et nécessaire émancipation des femmes dans le monde. Schéma classique, en Algérie comme ailleurs : le père quitte un jour la maison, laissant femme et enfants appauvris. Ils se débrouillent, forcément moins bien qu’en famille « complète ».
À la seconde génération, même histoire : la fille se marie, forcément. Non que ce soit un mariage forcé, mais disons que sa famille l’y a un peu poussée. Enfants, divorce, re-mariage, répudiation et re-divorce : c’est la misère. Même le bidonville est trop cher, et trop dur, pour une femme seule avec deux enfants. Pourtant, là-bas, à Hassi Messaoud, il y a du travail pour les femmes. Là-bas, il y a du pétrole, des sociétés étrangères, on peut gagner de l’argent.
On laisse les enfants à la grand-mère, c’est dur, mais c’est possible. Jusqu’à ce 13 juillet 2001, où, à la suite d’un prêche de l’iman local, entre trois cents et cinq cents hommes, frustrés, furieux, se livrent à un gigantesque lynchage des femmes seules. Dans leur folie, ils ne veulent pas savoir de quoi vit une femme sans mari. Apparemment, elle n’a pas le droit de vivre. « Prostituées », « fornicatrices » (avec qui ? On se le demande, mais le péché est toujours du côté de la femme) : toute une nuit, ces femmes discrètes, pudiques, sont tabassées et violées.
On devine les dégâts. Deux seulement sont allées jusqu’au bout des trois procès intentés contre des agresseurs qui niaient tout. Nadia Kaci, elle-même actrice, a recueilli leur témoignage que Mounya Boudiaf  transmet avec justesse et sobriété. Autant certains spectacles sont prétentieux et vides de sens, autant celui-ci est sans prétention et riche de sens.
On peut discuter du travail scénique avec les objets, trop peu mis en scène. Mais la circulation de la parole entre  Christophe Carassou et Mounya Boudiaf, est exactement « au bon endroit », comme on dit. On glisse du théâtre- récit, incarné juste ce qu’il faut, à un théâtre documentaire jamais démonstratif : les faits, et l’émotion retenue -on ne sait si elle appartient à la personne, à l’acteur ou au personnage- ont assez de force en eux-mêmes.
Qu’à certains moments, l’acteur porte des paroles de femme –y compris avec humour- n’a, bien sûr, rien d’anecdotique. Comme le fait de raconter la vie de l’un de ces survivantes, et non uniquement ce qu’elle a subi, ce choix théâtral dit beaucoup d’une humanité sans haine, capable d’espérer.

Le récit des horreurs commises, et qui le sont tous les jours pas si loin de nous, glace le cœur. Ce qui émeut, c’est la foi en la vie, l’espoir chevillé au corps. Si le théâtre, c’est une parole, une pensée partagée avec un public qu’il ne laisse pas indemne, alors on a vraiment ici du théâtre. Contre les fascistes de tout poil qui ne savent que répéter « viva la muerte ».

 Christine Friedel

Maison des métallos, 01 47 00 25 20, jusqu’au 18 janvier, dans le cadre du focus Femmes et violences.

 


Archive pour 8 janvier, 2015

Fragments de Beckett

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Fragments, de théâtre I de Samuel Beckett, Berceuse, Acte sans paroles II, Ni l’un ni l’autre, Va-et-vient , mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

 Fragments, actes divers et autres dramaticules, telles sont les appellations à la fois simples et recherchées de ces petites pièces en un acte, avec ovic08032921u sans paroles, du grand Sam, égrainées précieusement au fil du temps par les heureuses éditions de Minuit. Et mises en scène ici par Peter Brook, frère de cœur et de langue de Samuel Beckett  et par Marie-Hélène Estienne.
  Le spectacle en anglais, au sur-titrage adapté du texte français de Samuel Beckett, est composé de ces joyaux scéniques que sont ces Fragments de théâtre I, Berceuse, Acte sans paroles II, Ni l’un ni l’autre, Va-et-vient. Instants cardiaques forts, bribes de vie vraie saisie par un, deux ou trois personnages; ce sont des scènes dont l’esprit miroitant de boule magique fait tourner le temps qui passe.
   Quelques humbles objets, soutenus par les lumières vives et malicieuses de Philippe Vialatte, suffisent à investir pleinement   l’« espace vide »  pour reprendre le titre du livre de Peter Brook, Ainsi, la poésie d’un  vieux  banc brut pour un morceau de théâtre pur, Va-et-vient,  où trois femmes d’âge mûr médisent les unes les autres, tout en pensant à leurs rêveries enfantines d’écolières : « Comme ça, nous trois, sans plus, comme jadis, chez les sœurs, dans la cour, assises côte à côte ». Joués par une femme et deux hommes, elles ont une allure désuète : robe longue, boucles d’oreilles et chapeau insolite. Une sébile et un violon suffisent au mendiant musicien de l’ouverture qui ne désire pas encore se donner la mort car il ne s’estime pas suffisamment malheureux…
  Le sourire, et même le rire franc, sont au rendez-vous de la scène beckettienne, quand vivre est le seul bien qui nous soit échu existentiellement : l’or en vrac d’un trésor. L’homme en question est un aveugle sensible, face à un unijambiste qui est lui, goguenard et indifférent et que rien, à l’exception d’une boîte de corned-beef, n’attire pas même autour de lui, un brin de verdure, reste de nature quémandé par l‘aveugle.
  On retrouve dans Acte sans paroles II les deux mêmes figures scéniques; l’un est cette fois-ci clairvoyant, et l’autre dispose de ses deux jambes, ainsi Jos Houben et Marcello Magni, anciens acteurs historiques de la compagnie anglaise du Théâtre de Complicité, comiques lumineux à la Laurel et Hardy, forment un duo bien rôdé, avec un chevalier à la triste figure et un joyeux drille.
  Ils surgissent benoîtement d’un grand sac ou bien se cachent tandis qu’un aiguillon venu des cintres s’applique à les piquer avec facétie pour les en faire sortir. Auparavant, ils avaient déposé leur bagage sommaire bien plié sur le sol nu: un costume, une paire de chaussures et un chapeau. En chemise et en slip, ils revêtent consciencieusement leur habit, enfilent leur pantalon, puis se chaussent pour croquer une carotte, que l’un recrache, et l’autre la déguste royalement. Puis, chacun son tour, «ramasse les deux sacs et les porte, en titubant sous le poids, les dépose, ausculte sa montre…» Une affaire de point de vue, c’est à quoi se réduit l’ironie de la vie…
  Berceuse, un acte remarquablement interprété par la britannique Kathryn Hunter, à la voix grave, et dont le visage grave se compose à volonté, est un monologue féminin sur l’attente et l’absence de l’autre. Elle dit et répète la douleur lancinante éprouvée par la violence du manque et de la frustration dans l’acte de vivre : « à l’affût d’un autre d’un autre comme elle un peu comme elle d’une autre âme vivante d’une seule autre âme vivante. » « More/Encore… », le ressassement infini de l’attente insatisfaite déclenche le rire,  jolie chanson pour endormir l’accablement de la nuit des vivants et des morts.
Le corps est ici l’obstacle que chacun porte et surmonte, tandis que le silence intérieur est amoindri, grâce au monologue sonore qu’on s’autorise, dans une parole qui tente de circonscrire en vain l’énigme insondable de notre être-là au monde.

 La parole de Beckett, forte et claire, et  la verve gestuelle et physique des comédiens dégagent un rayonnement solaire inépuisable. Ce spectacle est comme un coup de fouet donné au bonheur de vivre non monnayable.

 Véronique Hotte

 Théâtre des Bouffes du Nord, du 6 au 24 janvier. T : 01 46 07 34 50

 

 

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