Roses
Roses, conception, mise en scène et scénographie de Nathalie Béasse, à partir de fragments de Richard III de William Shakespeare
Sur la scène nue, une longue table de huit mètres où l’on a placé une dizaine de verres à pied, pleins de vin rouge; une jeune comédienne/danseuse effectue quelques roulades avec une lenteur savamment calculée. Plus loin, des plantes vertes en plastique, une dizaine de chaises banales en tubes chromés, et, en fond de scène, un rideau gris plissé. » Je souhaite, dit, non sans prétention, Nathalie Béasse, remettre ce texte historique dans un quotidien. Je questionne les rapports entre les êtres. Par leurs dialogues muets, par les regards et la suggestion, je veux travailler les sous-textes. J’engage les corps des acteurs pour faire entendre les non-dits de la pièce.(…) Roses serait comme une fresque de Carpaccio ou de Piero de la Francesca, avec des histoires au premier plan (des batailles), et puis le regard se ballade dans le tableau et rencontre d’autres histoires en deuxième plan (un homme seul près d’une grotte) ».
Bref, on comprend vite que cette création, est une œuvre personnelle et non une mise en scène de Richard III, et qui appartient autant au gestuel et à la danse, comme à la sculpture et à la peinture (Nathalie Béasse en revendique le caractère profondément plastique: elle a été aussi élève d’une école d’art) qu’à celui du théâtre proprement dit.
Il y a ainsi des effets de rideaux, comme dans de nombreux tableaux de la Renaissance, une série de têtes d’animaux et d’oiseaux naturalisés comme dans les natures mortes, et elle prend un soin extrême de la corporalité de ses sept acteurs (trois femmes et quatre hommes) dans une sorte de chorégraphie, où on retrouve l’influence diffuse mais bien réelle, à la fois des avants-gardes russes, de Dada il y a cent ans déjà, des happenings des années 1950-60, des artistes qui prennent le corps comme objet (Orlan, etc…) et des auteurs de performances (Bruce Nauman, Marina Abramovic…), des artistes conceptuels, et sûrement du Living Theatre dont on sait toute l’importance qu’il donnait au corps.
Avec entre autres, cette belle ronde où chaque protagoniste court, à moitié nu, jusqu’à l’épuisement après avoir enlevé petit à petit un de ses vêtements. Bref, le corps, celui des animaux et des humains, le corps toujours et encore sollicité, est ici d’une importance capitale, pour dire toute la sauvagerie des trente-sept personnages de Shakespeare: Richard III et les autres personnages sont » interprétés » successivement par les quatre comédiens et les trois actrices qui disent plutôt qu’elles ne jouent Marguerite, Elisabeth ou la Duchesse.
Et le texte de Richard III dans tout cela? » Je ne suis pas inquiète, dit Nathalie Béasse, pour la compréhension de la pièce, on pourra s’échapper de l’histoire pour nous adresser au public ». Mais elle doit bien être la seule! Mieux vaut avoir relu la pièce, si on veut y comprendre un peu quelque chose. Tout se passe ici comme si le texte devenait ici matière à faire joujou avec Shakespeare, quitte à enfourcher sans scrupules- sous prétexte de modernité?- les vieux poncifs de la mise en scène contemporaine, comme le plateau nu, ces arrivées par la salle des comédiens déjà assis parmi les spectateurs, ou des répliques de théâtre dans le théâtre, etc…
Si on entend très bien ces fragments de texte, (c’est déjà cela!) comme cette phrase surprenante de Richard: « ‘ Ma conscience a mille langues différentes, Et chaque langue raconte une histoire différente », tout cela a un côté glacé, conceptuel, et on ne perçoit guère toute la violence de la pièce, et le caractère profondément inquiétant de ce roi dont la difformité est juste évoquée; « sa bosse est représentée comme un état intérieur, une difformité sournoise, que l’on devine sans la voir ». Bon!
En fait, on a la nette impression que Nathalie Béasse s’amuse à explorer Richard III en quatre vingt-dix minutes! Si cette quête personnelle de la pièce peut se justifier dans le parcours d’une metteur en scène, elle aurait dû rester un travail de laboratoire confidentiel. Même si, par instants, on sent le frémissement d’une scène en train de naître, ces fragments de texte, tels qu’il sont donnés, pour ne pas dire manipulés, même si les acteurs font leur travail, ne peuvent jamais donner à voir un véritable spectacle.
Le texte de Shakespeare ne se laisse donc pas faire, et le public a applaudi très mollement. Dommage, Richard III est une pièce fabuleuse mais ici on est vraiment trop loin du compte, et on ne vous poussera pas du tout à aller voir ces Roses.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Bastille 74 rue de la Roquette 75011 Paris. T: 01 43 57 42 14